"Tout accord gagnant-gagnant est aussi donnant-donnant"
JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Vous produisez l’essentiel de vos VUL en France. Etait-ce une priorité pour Renault ? Pourquoi ?
JUAN JOSE PALOMO-CANTERO. La stratégie générale de Renault est de produire les véhicules où nous les vendons, et c’est encore plus vrai concernant les véhicules utilitaires qui se prêtent moins facilement au transport à grande cadence dans le monde. Ensuite, le marché français représente des volumes très conséquents pour Renault et il s’avère que nous avions la capacité de produire ces véhicules en France. La fabrication du Trafic à Sandouville était à la fois l’hypothèse la plus judicieuse, mais aussi la plus rentable.
JA. Cela représente-t-il un avantage concurrentiel ?
JJPC. Oui, mais l’avantage d’être plus proche du marché et de gagner en logistique n’est pas suffisant. Plus nos usines seront compétitives, plus nous allons assurer le futur de notre activité, c’est évident.
Par ailleurs, les avantages en termes de coûts qui résultent de la production de VUL dans les pays dits “low cost” peuvent être largement atténués par les frais de logistiques et les coûts de formation supplémentaires. Aussi, la différence de compétitivité n’est pas si forte.
JA. Contrairement à Maubeuge ou à Batilly, où vous produisez des véhicules pour Mercedes-Benz, Opel et Nissan, Sandouville ne produira que quelques unités du Vivaro. Etes-vous en recherche d’un partenaire supplémentaire pour l’usine normande ?
JJPC. Dans le cadre de l’accord de coopération, nous allons effectivement fabriquer une petite quantité du Vivaro à Sandouville, tandis qu’Opel produira dans son usine de Luton quelques rares modèles du Trafic. L’objectif est évidemment de ne pas doubler les investissements pour des petites quantités de véhicules. Les volumes, tels que nous les envisageons aujourd’hui, sont suffisants pour garantir l’activité de l’usine de Sandouville. Cela étant, toutes nouvelles opportunités qui se présenteront à l’avenir iront dans le bon sens pour réaliser des économies d’échelle. Rien n’est acté à ce jour, mais, dans le cadre de l’Alliance Renault-Nissan et la recherche de synergies communes, nous n’excluons pas d’assister dans le futur à un rapprochement avec Nissan.
JA. Quelle doit être la cadence minimum sur un an pour assurer la viabilité d’une usine ?
JJPC. Evidemment, les volumes aident beaucoup, mais il existe des usines à bas volume qui sont aussi rentables que des sites de production bien chargés. C’est le cas, par exemple, de notre usine brésilienne qui conçoit moins de 100 000 unités par an et qui est pourtant très rentable. L’important est que les ressources de main-d’œuvre directe, mais aussi de structure des usines, soient en adéquation avec les volumes fabriqués.
JA. Les raisons qui justifient l’accélération des rapprochements et des coopérations industrielles entre les acteurs sont-elles conjoncturelles ou davantage structurelles ?
JJPC. Les accords de coopération ont toujours existé du fait des montants d’investissement lourds nécessaires pour lancer un nouveau véhicule ramené aux volumes du marché. De plus, la conception d’un VUL fait appel à une technologie de pointe, en matière de trains roulants, de mécanique, de suspension, pour répondre aux besoins de robustesse et de fiabilité incontournables pour un véhicule à usage professionnel. Le partage du ticket d’entrée pour un projet donné est l’une des raisons principales qui justifient ces rapprochements. Ensuite, ces coopérations répondent également à une logique de développement à l’international.
La crise n’est pas le déclencheur de cette stratégie de coopérations, simplement un accélérateur. Elle nous a notamment obligés à rechercher toutes les pistes éventuelles pouvant apporter de la rentabilité, car la concurrence a fait diminuer les marges.
JA. Le véhicule utilitaire, qui répond davantage à des caractéristiques rationnelles, se prête-t-il plus facilement aux coopérations industrielles ?
JJPC. De plus en plus, le client perçoit également un véhicule utilitaire à travers son image de marque. C’est le cas chez Renault avec le Kangoo ou le Master, qui ont une position très forte en Europe. C’est la raison pour laquelle nous avons bien pris soin de distinguer le Kangoo du Citan, qui ont certes les mêmes gènes, mais au final des univers différents. Je pense que l’image de marque va peser de plus en plus dans la décision d’achat des professionnels. Nous cultivons cette image à travers la diversité de nos produits, renforcée par le développement des véhicules électriques, mais également notre réseau Pro + dédié et adapté au besoin des clients professionnels. Pro + est un vrai succès que nous allons décliner en Amérique.
JA. Quelle est la nature du partenariat qui vous lie à Opel ?
JJPC. Nous avons tous les cas de figure. Sur le Trafic, la participation est à 50/50. Nous avons partagé le ticket d’entrée et le produit appartient dès lors aux deux marques. Concernant le Master, Opel a seulement participé à la différenciation du véhicule. Mais, dans ces deux cas de figure, Opel a sous-traité l’ingénierie de Renault et nous a rémunérés pour cette activité. La seule caractéristique inhérente à l’ensemble de nos accords est qu’ils sont gagnants-gagnants.
JA. Ces rapprochements ne vous obligent-ils pas à concéder une partie de votre savoir-faire en termes d’ingénierie, de technologie ?
JJPC. Tout accord gagnant-gagnant est aussi donnant-donnant. Pour autant, ce n’est pas parce que nous avons partagé un produit, des plans, des pièces et une ingénierie que nous avons transféré notre savoir-faire. C’est beaucoup plus que cela. Par exemple, si on démonte complètement un véhicule, on peut comprendre la façon dont il est construit, mais cela ne suffit pas à saisir toute l’expertise et le travail accomplis en amont.
Par ailleurs, nous sommes dans un secteur fortement concurrencé et il n’existe pas de secret de fabrication qui perdure longtemps.
JA. Au-delà du bénéfice d’avoir un partenaire en plus sur l’usine de Maubeuge, quels sont les enseignements que vous avez tirés de ce partenariat avec Mercedes-Benz ?
JJPC. Nous avons compris quels étaient les éléments et les ingrédients qui importaient pour procurer et donner cette image de robustesse au produit. En d’autres termes, nous avons beaucoup appris sur la qualité perçue. De notre côté, je pense que nous leur avons montré comment concevoir un véhicule fiable et robuste à un coût imbattable.
JA. Ce rapprochement avec Mercedes-Benz était-il vital pour la survie de Maubeuge ?
JJPC. Nous aurions pu continuer sans Mercedes-Benz, mais cette opportunité permet d’améliorer la performance de notre produit et de renforcer notre stratégie.
JA. Votre homologue de Mercedes-Benz n’excluait pas d’étendre le partenariat avec Renault sur les véhicules utilitaires. Où en sont les discussions ?
JJPC. L’expérience sur le Citan est extrêmement positive et nous sommes ouverts à tout type de collaboration. Quand on regarde la gamme Renault et celle de Mercedes-Benz, nous ne pouvons pas envisager un rapprochement à court terme. Nous avons lancé le Master il y a deux ans et le Sprinter actuel a encore quelques années devant lui. Il existe un comité coopérationnel entre l’Alliance et Daimler où nous discutons de ce genre d’opportunités. Tout reste ouvert.
JA. Le marché des VUL est soumis à une très forte guerre commerciale. Comment Renault se positionne-t-il dans ce contexte ? Cette situation a-t-elle généré une baisse de vos marges et vos prix moyens ?
JJPC. Non seulement nous avons maintenu notre rentabilité en 2012, mais elle a surtout augmenté. Il faudrait qu’elle soit encore plus forte afin d’assurer notre capacité à investir pour le futur. Notre stratégie n’est pas de rentrer dans cette guerre de prix qui dégrade à la fois la rentabilité et la valeur de nos produits. Notre logique est plutôt d’adapter l’allure, les coûts fixes et les dépenses au contexte du marché, et ne pas aller à la chasse au volume qui met en péril l’avenir de l’entreprise.
JA. Quelle devrait être la part de marché de Renault en France et en Europe en cette fin d’année ?
JJPC. Notre pénétration devrait se situer autour de 15,5 %. Nous avons dans l’ensemble bien résisté à la concurrence avec une première partie d’année 2012 relativement positive et une seconde où nous avons observé une décroissance conséquente. Vu les tendances sur ce dernier trimestre, nous craignons une année encore compliquée en termes de volume en Europe l’an prochain et une nouvelle baisse par rapport à 2012. Dès lors, notre ambition sera principalement de maintenir notre part de marché et notre leadership en Europe tout en nous développant à l’international, et de compléter notre gamme avec les véhicules de la marque Dacia. Nous avons un développement fort en Amérique du Sud via nos usines de VUL à Cordoba, en Argentine, et à Curitiba, au Brésil, qui va bientôt fabriquer le nouveau Master. Ensuite, il y a la zone Euromed où nous sommes performants. Nous affichons notamment une croissance spectaculaire en Algérie, qui est devenue l’un des principaux marchés des VUL pour Renault, alors même que le Dokker vient seulement d’arriver.
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CURRICULUM VITAE
Juan José Palomo-Cantero a pris les rênes de la Direction du Véhicule Utilitaire (DVU) le 1er mai 2012, en lieu et place de Jean-Marie Hurtiger. Né en 1964, Juan José Palomo-Cantero entre chez Renault en 1989 à l’usine de Motores (Espagne), où il occupe différents postes à la logistique, au projet et à la fabrication. En 1998, il est nommé responsable du département Montage moteurs de l’usine. En 2006, il s’installe en France où il prend la sous-direction technique de l’usine d’organes mécaniques de Cléon. Il est alors responsable du lancement du moteur 2.0 dCi et de la boîte PK4. En 2007, il prend le poste de sous-directeur des fabrications de cette même usine. En 2009, il est nommé directeur de l’usine de moteurs de Valladolid (Espagne) qui, depuis 1965, a fabriqué plus de 20 millions d’unités moteurs et compte 2 144 employés.
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