"Si ce marché doit se structurer, vaut mieux qu’il le fasse à l’européenne"
JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Pouvez-vous nous dire quelles étaient les motivations de votre voyage d’observation en Chine ?
Michel Vilatte. J’ai tout simplement été invité par les organisateurs d’Automechanika. Il y a deux ans, je m’étais déjà rendu sur le Salon de Pékin, mais vu qu’il était très orienté sur l’équipement de garage, j’avais été, entre guillemets, déçu. Cette fois, les visites et les rencontres furent très instructives. J’ai notamment pu nouer des contacts intéressants avec plusieurs organismes professionnels chinois et rencontrer des fabricants chinois pour l’OES et l’IAM. Ce qui est intéressant, c’est que nombre d’entre eux travaillent pour être référencés par les constructeurs en Europe, pour l’OEM comme l’OES, et qu’ils sont fournisseurs de nos grands équipementiers. En outre, j’étais vraiment en prise directe avec les interlocuteurs, car j’ai eu la chance d’être accompagné par un acheteur d’un de nos groupements adhérents, qui parle parfaitement le chinois et a auparavant travaillé en Asie.
JA. Face à la profusion des exposants, comment avez-vous procédé sur le Salon ?
M.V. Nous avons fait le tour des stands de manière très prosaïque, en posant des questions simples sur les produits disponibles, les réglementations, notamment l’adéquation avec des normes européennes comme le R90 pour les plaquettes. Ensuite, nous cherchions aussi à savoir quels étaient les clients des exposants et là, bien entendu, tout le monde n’a pas voulu répondre ! Mais le grand constat, c’est qu’un nombre certain des fabricants chinois fournissent l’OES des constructeurs européens, et donc des constructeurs français. Dans certains cas, ce ne sont pas des fabricants, mais des entreprises servant de plate-forme pour des constructeurs de manière à établir des cahiers des charges pour solliciter ensuite des fabricants locaux. Que les constructeurs européens, et surtout français, fassent appel à ces acteurs n’est pas choquant en soi, mais ce qui nous dérange, c’est le décalage entre le discours officiel, notamment porté auprès de nos élus, et la réalité. On peut parler de double langage.
JA. Faites-vous le même constat au niveau des équipementiers ?
M.V. Nous avons aussi pu constater que presque tous les grands équipementiers sont clients des sociétés chinoises. Or s’il y a des produits de très bonne qualité, il y a aussi une forte disparité au niveau de la qualité. Pour les produits destinés à nos marchés, on sait que les cahiers des charges sont respectés, mais une nouvelle fois, on peut estimer que nos grands équipementiers devraient faire preuve d’une plus grande transparence par rapport à leurs clients, groupements et distributeurs…
JA. Mais in fine, n’est-ce pas une simple logique économique ?
M.V. On sait que les acteurs évoqués n’achètent pas tout là-bas et qu’ils se fournissent surtout en compléments de gammes. C’est effectivement économique : on va dans les pays low-cost faire fabriquer des produits pour améliorer les marges, même si c’est dommage pour nos industries nationales, notre balance commerciale et nos emplois. Dès lors une question se pose aussi : que doivent faire nos adhérents distributeurs ? Continuer à rester fidèles aux fournisseurs traditionnels ou aller acheter à la source ? Vaste question… Difficile à trancher… L’enjeu n’est pas de diversifier systématiquement le sourcing, mais de parvenir à une meilleure transparence avec nos fournisseurs équipementiers d’une part et de faire tomber le masque des constructeurs d’autre part. En effet, au bout du compte, c’est bien le consommateur qui paye l’addition, et il la paye deux fois : il achète le produit final aussi cher sans profiter du coût de fabrication moins élevé et en tant que contribuable, il doit ensuite renflouer le déséquilibre de la balance commerciale. On peut même parler de triple peine, si on pense au chômage.
JA. Au-delà de ces objections, quels sont les principaux enseignements que vous tirez de ce Salon ?
M.V. On constate que les clients chinois qui ont accès aux véhicules neufs modernes sont très fidèles à la pièce d’origine. Par ailleurs, au niveau de la distribution, la situation n’est pas comme en France, mais elle s’apparente à celle d’autres pays, comme la Turquie par exemple. Des échoppes regroupent les fabricants par familles de produits ou des produits pour des marques données ou encore des produits pour des modèles de véhicules donnés. Il y a beaucoup de petites entreprises, comme il y a aussi beaucoup de petits réparateurs. Enfin, et cela ne surprendra personne, mais on ne peut pas le taire pour autant, il faut souligner le potentiel impressionnant de ce marché !
JA. Vous évoquez un marché très atomisé, va-t-il, selon vous, se structurer rapidement ?
M.V. C’est l’un des grands enjeux qui nous est proposé. Nous envisageons d’ailleurs de retourner sur le Salon cette année pour renforcer nos contacts avec les organismes locaux, afin de les aider à s’organiser et à se structurer. En effet, si un marché doit se structurer, mieux vaut qu’il le fasse à l’européenne plutôt qu’à la japonaise, une organisation trop centrée sur les constructeurs, ou qu’à l’américaine, un système très libéral mais aussi fragile.
JA. Certes, mais comment expliquez-vous la frilosité des Français sur le Salon, quasiment aux abonnés absents ?
M.V. Il est vrai que la présence des groupes américains est bien plus forte que celle des Européens et effectivement des Français. Je pense que nous ne sommes pas assez tournés vers l’extérieur. C’est presque culturel. C’est quelque chose qu’on ne retrouve pas en Allemagne et même en Italie. Pourtant, avec le soutien des CCI ou d’UbiFrance, beaucoup de choses sont possibles… C’est vraiment dommage car le marché chinois serait très ouvert à certains concepts après-vente développés en France. Il y a donc là un réel enjeu pour les enseignes françaises.
JA. Dès lors, la Feda ne pourrait-elle pas avoir un rôle plus moteur et organiser des voyages professionnels en Chine ?
M.V. Le Feda peut inciter les entreprises à s’intéresser au marché chinois, mais notre rôle ne va pas au-delà. Nous pouvons aussi le faire pour l’Amérique du Sud ou l’Afrique, sachant qu’en Europe de l’Est, nos adhérents sont d’ores et déjà bien implantés. Par ailleurs, nous pourrions envisager d’identifier les bons contacts sur le marché chinois, des contacts susceptibles de jouer les intermédiaires et que nous mettrions en relation avec nos adhérents.
JA. Pour conclure, quel regard portez-vous sur le fait que le remanufacturing soit déjà parmi les thèmes centraux du Salon ?
M.V. C’est un sujet important pour la Chine, qui réalise de gros achats de matières premières. D’ailleurs, la Chine rachète déjà des carcasses de véhicules aux casses d’autres pays. En revanche, ce n’est pas une opportunité de business évidente pour les Européens, car le circuit Europe-Chine est difficile. Pour les Européens, c’est plus simple avec le Maroc ou des pays de l’Est. A ce propos, je souligne que le remanufacturing est aussi un besoin français, car il s’appuie sur la main-d’œuvre et permet de produire à nouveau. L’activité est déjà bien développée, mais c’est encore un vrai sujet.
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