Profession : équipementier et designer
...des équipementiers, on a parfois tendance à traiter un peu hâtivement les constructeurs automobiles de simples assembleurs, qui ne font que mettre ensemble les éléments apportés par leurs fournisseurs. D'autant qu'aujourd'hui près de 70 % de la valeur d'un véhicule est produite par les équipementiers. Reste toutefois aux constructeurs des valeurs sûres telles que le prestige de la marque, la capacité d'intégrer toutes les fonctions du véhicule, de choisir les meilleurs composants au meilleur prix, de définir le positionnement marketing du véhicule et, surtout, d'en assurer le design. Véritable signature d'un constructeur, moyen d'identification immédiat d'une marque, ce dernier constitue l'un des premiers critères d'achat d'une voiture et, à ce titre, fait l'objet d'un soin évident. Il fait partie des droits quasi régaliens des grandes marques automobiles et l'on imagine difficilement qu'il soit sous-traité auprès de fournisseurs quelconques. Pourtant, même si les constructeurs conservent le "final cut" et un pouvoir de décision intangible en la matière, ils font néanmoins appel, à l'occasion, à de prestigieux studios de design extérieurs qui donnent un petit coup de neuf à leurs véhicules. Giugiario, Pininfarina ou Bertone, pour les plus connus, interviennent ainsi régulièrement chez certains d'entre eux. Or, depuis quelque temps, ce sont les équipementiers eux-mêmes qui viennent apporter un soutien à leurs clients pour le design de nouveaux véhicules.
En 2003, Faurecia se dote de sa propre équipe de designers
Le design industriel fait partie intégrante du développement d'une pièce et les constructeurs, qui demandent à leurs fournisseurs de rang 1 d'investir de plus en plus dans leurs capacités de R&D, laissent une marge parfois importante aux équipementiers dans la définition de la forme de celle-ci. Ceci est vrai pour les pièces qui se trouvent "sous le capot", les composants que l'automobiliste ne voit pas. Mais, aujourd'hui, une nouvelle tendance se dessine qui donne aux fournisseurs de systèmes d'intérieur la possibilité de participer également au design de l'habitacle. Chez Faurecia, la tendance a été rapidement comprise et l'équipementier, qui réalise plus de 70 % de son chiffre d'affaires avec l'intérieur des véhicules, a décidé de se doter, en 2003, de sa propre équipe de designers industriels. Une quarantaine de personnes travaillent ainsi dans les six studios de design de Faurecia répartis entre la France, l'Allemagne et les Etats-Unis. "L'activité "intérieur" est différente de celle des composants sous capot parce qu'elle joue un rôle plus déterminant dans le succès d'une voiture", souligne Laurent Hebenstreit, directeur de l'activité systèmes d'intérieur de Faurecia. C'est en partant de ce constat que l'équipementier français a décidé de faire du design l'une de ses fonctions stratégiques. "Le design est à la jonction de la perfection technique et de la passion de l'automobile, continue le représentant du groupe français. Notre rôle est de proposer une nouvelle porte, un nouveau cockpit ou un nouveau tableau de bord, afin que la voiture ait plus de succès." L'équipementier est cependant loin de se substituer au constructeur, il vient plutôt lui apporter un soutien technique et lui faire des suggestions de design.
Une fonction de soutien pour le constructeur
"La responsabilité du design demeure chez le client, mais, au final, le design, c'est l'intégration de plusieurs pièces et ça, c'est notre métier", confirme ainsi Laurent Hebenstreit. Faurecia assure en quelque sorte la traduction des envies des designers du constructeur en critères mécaniques pour les ingénieurs, il fait la liaison entre le dessin et la réalisation effective de la pièce. Pour cela, l'équipementier a développé ses propres méthodologies lui permettant de définir en fonction de critères objectifs des notions subjectives telles que la qualité perçue et l'ergonomie des systèmes d'intérieur. Cette qualité se situe à mi-chemin entre la qualité réelle du véhicule et sa qualité sensorielle, c'est-à-dire l'impression que la voiture donne lorsque le client entre dans l'habitacle. Hautement subjective, elle est déterminée par les 5 sens et comprend donc autant l'aspect visuel d'une planche de bord, par exemple, que la sensation tactile qu'elle procure, l'odeur qui se dégage, le confort etc. "Le choix d'un véhicule est un équilibre entre un aspect émotionnel et un aspect rationnel, confie-t-on chez l'équipementier. La qualité perçue fait donc partie intégrante de la décision du consommateur." Faurecia a ainsi intégré cette qualité perçue dans sa démarche design et a commencé à mettre au point une méthodologie pour l'évaluer. Pour cela, l'équipementier travaille avec des panels d'utilisateurs qu'il questionne précisément afin de mesurer leurs ressentis dans l'habitacle. A partir des réponses, l'équipe en charge de la qualité perçue peut établir des directives pour transposer les critères de qualité appréhendés dans ses produits et proposer des solutions conformes aux souhaits des divers constructeurs. La démarche sur l'ergonomie relève du même ordre d'idée que la qualité perçue, il s'agit aussi d'évaluer le degré de praticité des instruments dans l'habitacle, évaluation établie également à partir d'un panel d'experts. Les responsables de l'ergonomie ont la fonction, d'une part, d'évaluer le design proposé par l'équipementier à son client et, d'autre part, de proposer eux-mêmes des solutions ergonomiques innovantes. "Le fait d'être intégrés dans le service design constitue l'un de nos points forts", assure d'ailleurs la responsable de l'ergonomie de Faurecia Interior Systems, "car le design d'un produit doit comprendre l'ergonomie à la base, et le fait d'être si proches nous permet de trouver plus facilement le compromis." L'ergonomie comprend également une approche sensorielle des produits mis au point, les sensations ressenties étant quantifiées pour y appliquer une approche objective. La responsable de l'ergonomie prend l'exemple du soft touch, valeur en vogue notamment pour les planches de bord, dont l'aspect au toucher doit être mou pour donner une impression plus cossue et luxueuse. "Il nous faut déterminer précisément ce qu'est un soft touch parce que cela peut dépendre du client avec qui l'on parle", explique-t-elle. La mise au point de cette méthodologie permet ainsi de faciliter les discussions avec les constructeurs en partant sur des bases concrètes.
Une analyse des tendances du design, en renfort des constructeurs
Parallèlement à ces méthodes d'évaluation de la perception de l'intérieur d'un véhicule, l'équipe du service design doit analyser les tendances du design et éventuellement les devancer afin de devenir force de proposition auprès des constructeurs. Les couleurs, les matériaux, les différentes technologies sont ainsi étudiés par les designers qui les traduisent dans leurs ébauches avec, comme souci, à la fois d'être attractifs et innovants, mais aussi de respecter des coûts limités. "Nous anticipons la demande de notre côté, les constructeurs font la même chose, puis nous pouvons confronter nos idées, explique Frédéric Poisson, responsable design industriel de Faurecia Interior Systems. Nous pouvons ainsi recueillir des informations et développer les produits pour lesquels nous sentons un intérêt de la part de nos clients." Les équipes de Faurecia travaillent donc à ce que pourrait être l'évolution du design de l'habitacle d'une voiture en puisant leur inspiration dans diverses sources. Celle-ci peut venir de la technologie, Faurecia proposant par exemple des sièges avec un tissu sur lequel des formes sont moulées, ce qui évite les coutures. Elle peut également venir de nouveaux matériaux, comme ces plastiques translucides que l'on voit apparaître notamment sur les poignées de portes de la Citroën C2 ou sur la console centrale des Volvo S40 et V50. Mais elle peut aussi être issue d'autres domaines, comme la décoration intérieure. Un exemple de l'inspiration du studio design de Faurecia a été matérialisé dans un véhicule de démonstration qui présente un habitacle innovant : coloris peu fréquents dans l'intérieur automobile, une dominante de blanc en l'occurrence, nouvelles matières, mais aussi jeux de lumières donnent en aperçu de ce que l'équipementier sait faire et peut proposer à ses clients. Une démarche qui, finalement, s'inspire directement de la R&D des équipementiers. Sous l'impulsion de leurs clients, ils ont développé leurs capacités de recherche et les ont étroitement mêlées à celles des constructeurs, devenant tantôt force de proposition, tantôt coconcepteurs de nouvelles technologies. Le design semble aujourd'hui emprunter le même chemin.
Arnaud DumasSur le même sujet
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