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Constructeurs

"Nous sommes, aujourd’hui, plus dans une problématique de volumes que de marges unitaires"

Publié le 30 octobre 2012

Par Benoît Landré
12 min de lecture
Patrice Duclos, directeur Fiat France - La gamme 500, qui vient de s’enrichir de la 500 L, porte à bout de bras une marque transalpine en difficulté, en France comme en Europe. Tandis que le groupe Fiat se reconstruit, la marque panse ses plaies et doit surtout composer avec un réseau qui se fait de plus en plus vindicatif.
Patrice Duclos, directeur Fiat France - La gamme 500, qui vient de s’enrichir de la 500 L, porte à bout de bras une marque transalpine en difficulté, en France comme en Europe. Tandis que le groupe Fiat se reconstruit, la marque panse ses plaies et doit surtout composer avec un réseau qui se fait de plus en plus vindicatif.

JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. La 500 L et la Panda 4x4 sont vos deux nouveautés sur le Mondial de l’Automobile. Qu’attendez-vous de ces modèles ?
PATRICE DUCLOS.
La 500 L, que nous avons lancée le 8 octobre, est un vrai nouveau véhicule qui vient étendre la gamme 500. Il s’agit d’un petit monospace citadin qui s’adresse aux familles, avec principalement une cible féminine, à hauteur de 55 % à 60 %. La 500 L est l’un des gros piliers de la stratégie de la marque Fiat autour de la 500, dont nous verrons les autres déclinaisons dans les vingt-quatre prochains mois. Ce véhicule devrait vraisemblablement représenter un peu plus de 5 000 voitures sur 2012, et nous attendons un volume de 12 000 à 13 000 unités sur une année pleine.
La Panda 4x4 suscite une vraie attente car il n’existe pas de concurrent sur son segment dans cette configuration tout terrain. Nous devrions commercialiser 8 à 12 % de Panda en versions 4x4 et Trekking, cette dernière déclinaison se situant à mi-chemin entre la version deux roues motrices et 4x4. Sur une année pleine, nous serons entre 800 et 1 200 unités, à parts égales entre la version 4 roues motrices et Trekking.

JA. A fin septembre, la marque est en recul de 28,9 %. Vous attendiez-vous à une telle chute de vos ventes en 2012 ?
PD.
C’est un gros recul, mais nous nous y attendions. Les tendances du dernier trimestre 2011 avaient laissé présager que l’exercice 2012 serait difficile. Le plus inquiétant pour nous, et le plus surprenant également, est que la situation s’est dégradée au fil des mois. La période post-présidentielle s’est fait ressentir et le marché s’est tendu de trimestre en trimestre. La marque Fiat est particulièrement présente sur les deux plus petits segments du marché, les segments A et B, qui sont les plus touchés, avec une baisse de plus de 30 % sur le segment A. Pour autant, malgré cette difficulté, nous sommes moins impactés que nos concurrents car nos parts de marché se maintiennent, voire progressent. La 500 reste un fer de lance et nous a permis de maintenir des volumes en ligne avec nos attentes, sans que nous ayons eu besoin de modifier notre politique commerciale puisque la voiture n’est pas sensible à la remise. Finalement, nous ne nous en sortons pas si mal que ça par rapport à d’autres.

JA. Quelle est votre lecture de ces difficultés que rencontre le marché français ?
PD.
La vérité est que le marché des commandes est beaucoup plus en retrait que ne le laisse paraître le marché des immatriculations. Nous avons des mois qui ne répondent plus. Septembre, par exemple, a été particulièrement difficile pour tout le monde. Nous sentons que le marché reste bien sensible à la nouveauté, à la remise, mais cela ne suffit pas. Malgré une course effrénée à la remise, les commandes ne sont pas reparties à la hausse, et nous ne voyons pas forcément de corrélation entre les moyens rajoutés et la hausse des ventes. Aussi, il ne s’agit pas seulement d’un problème de marque, mais avant tout d’une problématique structurelle et de marché.

JA. L’absence de véhicules sur le segment supérieur n’est-elle pas pénalisante dans ce contexte ?
PD.
Oui, c’est certainement une explication à nos résultats, mais je pense que c’est loin d’être la seule. Nous pouvons toujours nous cacher derrière un chiffre d’affaires et une marge unitaire à la voiture moins élevés, mais ce n’est qu’une partie du problème à l’heure actuelle. Certains constructeurs qui ont des gammes plus larges que la nôtre n’offrent pas forcément des rentabilités supérieures à leur réseau. Nous sommes, aujourd’hui, plus dans une problématique de volumes que de marges unitaires.

JA. Au-delà de ce durcissement structurel, quelles sont les performances qui vous déçoivent dans votre gamme ?
PD.
Compte tenu de son historique sur le marché français, je pense que nous sous-performons avec la Punto. Nous subissons un déclin en performance depuis trois ans et le début des primes à la casse. Nous voyons nos parts de segment se réduire d’année en année alors que le produit, hormis avec les nouveautés Clio et 208, n’a pas à rougir face à la concurrence. Malgré un positionnement qui reste très agressif, nous avons du mal à sortir notre épingle du jeu. Durant les deux dernières années, la concurrence est vraiment venue chasser sur notre territoire. La course à la remise a atteint un niveau tel que nous avons été affectés.

JA. Le lancement de la Punto a été décalé, probablement en 2014, cela vous inquiète-t-il ?
PD.
Ce n’est pas une inquiétude, davantage une déception, notamment pour le réseau. Actuellement, Fiat construit un vrai groupe à dimension mondiale et repense sa stratégie industrielle globale. Si elle ne paie pas en 2013, elle paiera en 2014. Nous avons aussi décidé de repousser l’investissement pour nous donner le temps de proposer sur le marché un produit plus performant et alternatif à l’offre de nos concurrents du segment B. Evidemment, nous ne pouvons pas non plus éluder la crise que rencontre l’Europe.

JA. Le positionnement “prix” de Fiat a effectivement volé en éclat dans ce contexte de guerre commerciale. Comment la marque doit-elle réagir ?
PD.
Dans ce contexte, il y a à la fois des limites et pas de limites, nous sommes une entreprise responsable, mais nous devons également gagner de l’argent. Nous ne pouvons pas vendre à perte et positionner nos voitures en dessous du prix de production. En Europe, Fiat a perdu plus de 340 millions d’euros au premier semestre. Aujourd’hui, nous investissons dans un marché qui n’apporte pas la rentabilité ni le volume nécessaires. Nous essayons de nous aligner, c’est un combat de tous les jours. Notre axe est de travailler le volume avec notre réseau, ce qui implique d’afficher des prix remisés plus agressifs. L’une des forces que Fiat doit retrouver est un positionnement prix/visuel très agressif. C’est ce sur quoi nous œuvrons actuellement. Enfin, au-delà de la promotion, nous devons également parler des produits.

JA. Les premiers mois de commercialisation de la nouvelle Panda sont-ils à la hauteur de vos attentes ?
PD.
Sur le plan européen, la Panda a conservé sa première place sur le segment A. C’est un point positif. En France, nous avons gardé notre position de leader parmi les marques importées. Mais le segment A est celui qui souffre le plus et nous sommes en deçà de nos objectifs. De plus, nous avons maintenu l’ancienne Panda au catalogue, ce qui a, de fait, cannibalisé l’arrivée de la nouvelle version. L’année 2013 sera une année pleine et solitaire pour la nouvelle Panda. Nous avons fixé notre potentiel entre 8 000 et 10 000 voitures l’année prochaine.

JA. On a le sentiment que la réussite de Fiat repose plus que jamais sur la gamme 500. Est-ce le cas ?
PD.
C’est effectivement le cas en termes de positionnement de marque et d’image. Le nom 500 véhicule un certain nombre de valeurs et d’émotions. Depuis 2007, il est très clair que la marque a deux choses à gérer : 500 et le reste. Nous devons capitaliser sur ce produit pour nourrir le reste de la gamme. Je suis passé sur le stand Opel pour voir la nouvelle Adam, qui est un bon produit, mais qui reste très rationnel. On ne retrouve pas l’esprit, le charme, le côté rétro et à la fois moderne qui font la force du produit 500. Ce n’est pas une concurrence qui m’inquiète dans l’immédiat.

JA. La marque affiche une part de marché de 2,2 % en France. A quel niveau doit-elle se situer ?
PD.
Dans le contexte concurrentiel, nous devrions nous situer entre 2,5 et 3 % de parts de marché avec notre gamme actuelle. L’année prochaine, l’apport de la 500 L sera significatif.

JA. La santé financière de vos distributeurs n’est pas bonne. On parle d’une rentabilité moyenne pour le réseau Fiat qui se situerait autour de - 1,5 %. Comment expliquez-vous ces résultats ?
PD.
Effectivement, les rentabilités sont délicates au sein du réseau. De la même façon que le groupe perd énormément d’argent en Europe, les réseaux européens, et français en particulier, sont en difficulté. Nous sommes toujours plus forts à deux que tout seul et la notion de partenariat avec le réseau est fondamentale. Nous essayons de trouver avec eux les solutions nécessaires, même si nous n’avons pas la science infuse sur tous les sujets et raison sur tout. Nous n’avons pas trouvé de solutions miracles aujourd’hui. Nous déployons pourtant beaucoup d’actions afin d’essayer de soutenir les distributeurs. Nous les accompagnons via le lancement de nouveaux produits comme la 500 L, en mettant en place des politiques commerciales adaptées et des moyens dans le commerce. Actuellement, nous sommes dans une approche de simplification des politiques commerciales au quotidien. Evidemment, ce n’est jamais suffisant, mais nous faisons avec les moyens du bord. De son côté, le réseau fait un effort pour maintenir ses équipes de vente et la qualité des transactions.

JA. Craignez-vous des départs parmi vos distributeurs ?
PD.
Même si je comprends l’inquiétude de mes distributeurs, il faut préciser que le réseau Fiat n’est pas celui qui est le plus en difficulté aujourd’hui. Inévitablement, quand la situation se complique, les plus “faibles” sont logiquement les premiers à être pénalisés. Mais nous ne craignons pas particulièrement de désistements car nous avons un réseau historiquement solide, avec une bonne assise. Nous suivons de près la situation de nos partenaires qui sont en difficulté, nous les aidons et les soutenons financièrement. Quand la situation l’exige, nous essayons d’assouplir certains standards, sans affaiblir la représentation de la marque.

JA. Quels sont les marchés, les cibles sur lesquels Fiat peut progresser, et avec quels produits ?
PD.
Le canal des particuliers, qui représente 75 à 80 % de ventes par le réseau, reste de loin le plus important car notre offre de petites voitures s’y prête bien. Nous avons avec la 500 L la possibilité de développer de manière significative les ventes à sociétés et loueurs longue durée.

Propos recueillis par Benoît Landré

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LES AMIS ET LES ENNEMIS DE SERGIO MARCHIONNE

Lors de la table ronde organisée durant le Mondial, Sergio Marchionne a été autant confronté à des sujets de fond que de forme. En quelques mots.

Entre les groupes Volkswagen et Fiat, les trompettes des cavaleries montant à l’assaut surpassaient presque les commentaires portant sur les surcapacités de production, la crise et ses remèdes potentiels. Il faut dire que le patron de la communication de Volkswagen n’avait pas fait dans la dentelle en déclarant “insupportable la présence de Sergio Marchionne à la tête de l’Acea” (Association des constructeurs automobiles européens, N.D.L.R.) et en réclamant “son départ”*, quand le directeur financier du même Volkswagen avait, un jour plus tôt, jugé “déraisonnables les appels à une coordination européenne pour réduire les capacités de production”*. Et, évidemment, cela fut le premier sujet d’interrogation soumis à Sergio Marchionne. Nullement embarrassé, celui-ci a vivement regretté une telle passe d’armes, douté du procédé qui consiste, pour un membre de l’Acea, de passer par des collaborateurs pour distiller des messages, et affirmé que présider l’Acea sans un accord de l’ensemble des membres n’était pas un rôle qui l’intéressait. Il a aussi rappelé gentiment qu’il ne connaissait pas le responsable de la communication de Volkswagen et qu’il n’en avait cure, et que seules les déclarations de Martin Winterkorn faisaient sens en ce domaine. Depuis, les deux présidents ont montré, à la sortie d’une réunion de l’Acea, qu’ils s’étaient réconciliés par un “nous sommes amis” de Sergio Marchionne et un “c’est fini”* de la part de Martin Winterkorn. Nous voilà rassurés.

Carlos, Ratan, et les autres

A la question d’un journaliste sur la situation du marché, Sergio Marchionne a répondu en renvoyant la presse à la lecture de l’interview d’un autre de ses “amis”, Carlos Ghosn, qui déclarait dans le Figaro du jour que “l’Europe est confrontée à un super problème de compétitivité (…) il n’y a pas de doute qu’il y a des surcapacités”. Et a poursuivi que nous étions tous concernés par ce qui se passait en Europe, et tous responsables, y compris Volkswagen, s’entend. Qu’une solution unique n’existait pas et qu’il fallait que les présidents de groupe comme les chefs de gouvernement s’en mêlent. Avant d’assener qu’il ne voyait pas de retour à la normale avant 2013, 2014. Quant aux surcapacités de production et à ses engagements vis-à-vis des usines, Sergio Marchionne a rappelé que lorsqu’il était contraint de prendre la décision de fermer une usine, c’était avec beaucoup de précautions et l’implication éprouvée de leurs dirigeants dans la vie des sites de fabrication. Cela pour clore une éventuelle suspicion de “légèreté” dans la conduite des affaires des usines Fiat en Italie. Pour revenir au chapitre des amis, Sergio Marchionne a rappelé son affection pour Ratan Tata lorsqu’il fut question de la participation de Fiat en Inde, et des accords potentiels avec le groupe indien : “Ratan Tata est en retraite, mais c’est toujours un très grand ami.” Et de dire que des partenariats avec le groupe Tata devraient être trouvés. C’est de la même façon – ou presque – que le président de Fiat a commenté d’éventuels intérêts au Japon, notamment avec Mazda : “Tout est possible.” On n’en saura pas plus, sauf que Sergio Marchionne a beaucoup d’amis…

Hervé Daigueperce

*Cité par l’AFP
 

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