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Constructeurs

L’étau se resserre autour des constructeurs

Publié le 5 octobre 2012

Par Frédéric Richard
8 min de lecture
Depuis une dizaine d’années, les constructeurs se voient confrontés à une concurrence effrénée sur l’après-vente. Réseaux indépendants, centres-autos, spécialistes…, tous veulent leur part du gâteau au titre de la libre concurrence que les lois françaises et européennes garantissent.
Depuis une dizaine d’années, les constructeurs se voient confrontés à une concurrence effrénée sur l’après-vente. Réseaux indépendants, centres-autos, spécialistes…, tous veulent leur part du gâteau au titre de la libre concurrence que les lois françaises et européennes garantissent.

Les niveaux de rentabilité des concessions sont désormais intimement liés à la performance en après-vente des affaires surtout en cette période de vaches maigres côté ventes. Ainsi, jusqu’à il y a peu, farouchement arc-boutées sur des pratiques historiques, les marques usaient de certains privilèges sans fondement juridique, que la réparation indépendante est déjà parvenue, pour partie, à faire tomber…

La bataille de la disponibilité des informations techniques, nécessaires à l’entretien des véhicules modernes et jadis jalousement protégées par les constructeurs, est désormais gagnée. L’ensemble des acteurs de la filière réparation peut donc avoir accès à ces précieuses données, même si quelques manquements subsistent ça et là. Au législateur de les faire respecter.

A la faveur du règlement européen de 2002, les marques ont aussi perdu la jouissance exclusive de l’appellation de “pièce d’origine”, dont ils usaient, et parfois abusaient, pour arguer de la qualité, prétendue supérieure, des produits qu’ils commercialisaient, alors qu’ils sont fabriqués par des équipementiers sous-traitants.

Depuis quelque temps, c’est à l’un des derniers prés carrés des constructeurs que s’attaquent les fédérations d’indépendants. Elles contestent le monopole des marques quant à la distribution des pièces de carrosserie visibles (ailes, capots, vitres, rétroviseurs…). Et ce qui agace par-dessus tout, c’est que les tarifs de ces pièces fluctuent énormément d’une année sur l’autre, parfois du simple au triple sur une même pièce, comme si les constructeurs s’en servaient pour ajuster leurs résultats. Et comme la concurrence n’existe pas dans ce domaine, le champ est libre. Dans le même temps, le marché global de la carrosserie se contracte, et les indépendants ne veulent plus passer à côté de ce qu’ils considèrent comme une atteinte à la libre concurrence.

A force d’articles dans les médias, d’études contradictoires, l’Autorité de la concurrence (ADLC) s’est autosaisie, et a conduit une enquête. A l’issue de cette première étape, le pré-rapport a établi que certaines entraves à la libre concurrence entre réseaux constructeurs et indépendants existaient bien. Immédiatement, le CNPA (Conseil national des professions de l’automobile), le CSIAM (Chambre syndicale internationale de l’automobile et du motocycle) et le CCFA (Comité des constructeurs français d’automobiles) ont fait message commun pour dénoncer une instruction portée exclusivement à charge, accusant l’Autorité de n’avoir pas consulté l’ensemble des protagonistes du dossier.

De la légitimité du monopole

Selon les fédérations proches des constructeurs, le monopole des pièces de carrosserie en France se justifie, se référant à des lois qui touchent à la propriété intellectuelle et à la protection des dessins et modèles. Faux, rétorque la Feda (Fédération des distributeurs automobiles), qui admet que le design soit protégé et rémunéré sur le véhicule neuf et entier, mais pas sur des composants unitaires ! L’autre argument consiste à avancer les risques d’une casse sociale importante si ouverture du marché il y avait : 2 500 emplois chez les seuls constructeurs, scande-t-on ! Des pertes d’emplois finalement pas si nécessaires, puisque, dans le même temps, les marques automobiles rappellent que la concurrence sur le secteur de l’après-vente est déjà réelle et intense dans de nombreux domaines (hors carrosserie).

Un peu d’histoire

Force est d’admettre que, si les réseaux de réparateurs agréés des marques étaient jadis incontournables, la montée en puissance des indépendants a quelque peu érodé leurs parts de marché. Depuis trente ans, la filière de la réparation auto a vu l’arrivée des centres-autos (Norauto, Feu Vert, Roady), mais également des chaînes de réparation rapide (Speedy, Midas) et les réseaux des grands groupements de distribution de la pièce détachée (Top Garage pour Groupauto, Garage AD pour l’AD, Précisium…), sans oublier les réseaux fédérés par les équipementiers (Bosch Car Service, Delphi Service Center…). Autant de concurrents supplémentaires, de surcroît de mieux en mieux organisés, par rapport aux MRA d’antan, pour faire face aux cathédrales des marques. Ils sont montés en compétence grâce à l’accompagnement de leurs têtes de réseau et à la faveur des combats remportés pour faire valoir leurs “droits à la réparation”. La plus spectaculaire et récente preuve de la baisse de l’omniprésence des constructeurs sur le marché de l’après-vente est le déchaînement médiatique auquel se livrent aujourd’hui les enseignes de la nouvelle distribution pour rappeler à tout consommateur qu’il a légalement le droit d’entretenir son véhicule hors du réseau de marque, dès le premier jour et ce, même si le véhicule est sous garantie.

En conséquence, aujourd’hui, la part de marché des indépendants dépasse celle des réseaux constructeurs pour les véhicules de plus de 10 ans (une clientèle que les marques tentent désormais de capter avec des réseaux multimarques et des offres de pièces détachées dépositionnées, N.D.L.R.).

Pour revenir à la problématique des pièces de carrosserie, les grands groupes automobiles, s’étant vu opposer les hausses de prix de leurs composants, se sont engagés auprès du gouvernement à ne pas pratiquer de hausse supérieure à l’inflation sur les pièces concernées. Mais cela n’a pas suffi à calmer l’ire de la Feda et de ses adhérents, qui continuent de demander à ce que l’ensemble de la profession puisse commercialiser ces pièces, comme c’est le cas en Italie, Espagne ou Pologne. Petit aparté avec l’Allemagne, qui pratique un jeu assez déroutant. Dans les textes, le marché n’est pas ouvert et les constructeurs sont protégés de l’arrivée d’acteurs étrangers. Néanmoins, dans les faits, la distribution “dissidente” des pièces n’est pas pénalisée. Ce qui permet à l’industrie allemande de se renforcer en vendant ses produits, tout en empêchant l’arrivée de fournisseurs d’autres pays. Un sujet qu’avancent également les constructeurs, affirmant que, dans le cas d’une clause de réparation, la fabrication des pièces concernées ne pourrait se faire en France si l’on veut présenter des niveaux de prix suffisamment dépositionnés face à l’offre constructeurs… L’exemple donné se situe en Angleterre où, lorsque le marché a été libéralisé, on a pu voir l’arrivée de pièces venues d’Asie, au détriment de l’industrie locale.

Emplois menacés ?

Les constructeurs affirment aussi qu’une baisse de leur chiffre d’affaires sur cette activité entraînera forcément et mécaniquement une perte d’emplois. Là encore, les indépendants s’insurgent. “Au contraire ! Il ne s’agit pas de leur retirer cette activité, mais de la partager, en libre concurrence. Nous estimons notre potentiel de prise de parts de marché à 25, voire 30 %, au maximum dans le cas d’une libéralisation”, martèle Yves Riou, délégué général de la Feda. Ce qui signifie que les constructeurs garderont une large part dans le domaine, qui justifierait le maintien de la quasi-totalité de leurs équipes en place. “D’autant que, pour gérer cette nouvelle activité, les industriels, les logisticiens, les distributeurs, les réparateurs… de la filière indépendante, auront besoin de bras supplémentaires”, ajoute-t-il. “Mais pas de la même valeur”, tranche François Roudier, pour le CCFA.

L’intérêt du consommateur

Pour les marques, il ne semble pas du tout avéré qu’une ouverture du marché permettrait au client de bénéficier de prestations moins onéreuses. Et François Roudier d’expliquer qu’une pièce qui n’est pas rigoureusement identique à celle d’origine peut poser des problèmes de montage, et donc se révéler plus chère sur la facture finale. D’autre part, ne prend-on pas le risque de dévaloriser le véhicule dans le cas d’une éventuelle revente ? Aujourd’hui, il est d’usage d’arguer d’un carnet d’entretien rempli de tampons constructeur, pour attester de son bon suivi. Il pourrait en aller de même pour les pièces de carrosserie. Enfin, les constructeurs tentent d’expliquer qu’en cas d’ouverture, les nouveaux entrants sur le marché se focaliseraient sur les pièces à forte rotation, ce qui ferait grimper le prix des pièces à faible rotation chez les constructeurs, au détriment du client. “Et alors ? répond Yves Riou. Pour quelle raison les clients d’une aile de la récente Peugeot 207 devraient-ils subventionner une partie de celle de l’ancienne Peugeot 405 ?”

En conclusion

Quoi qu’il advienne de la pièce de carrosserie dans les prochains mois et même si les indépendants grignotent des parts de marché grâce à leurs combats, leur organisation et leurs compétences, les réseaux constructeurs ont toujours un temps d’avance en tant qu’issus du concepteur des véhicules. Plus ces derniers se complexifient, plus les perspectives de formations sont délicates à gérer pour les petites structures. Sans parler de la confiance, qui reste encore placée dans le concessionnaire ou le réparateur agréé. La rechange indépendante, si elle est parvenue à monter en compétences et tient désormais son rang, pâtit maintenant de ce qui fait sa force, l’indépendance. Le multimarquisme moderne, avec tout l’outillage, les appareils de diag, le personnel qualifié, ses formations… qu’il impose, ne pourra survivre que si ces professionnels parviennent à encourager les synergies.

Les plus farouches indépendants rechignent encore souvent à confier à la plateforme technique indépendante la plus proche un véhicule dont la panne les dépasse. Pourtant, cette solution fiable existe et permet de ne pas refuser un client, qui, in fine, crédibilisera encore un peu plus la démarche du constructeur. Enfin, l’autre arme du constructeur, c’est bel et bien les services associés. De plus en plus de clients, entreprises ou grandes flottes signent des contrats d’entretien avec les réseaux constructeurs au moment de l’achat des véhicules, ce qui les rend, de fait, captifs.

D’ici quelques semaines, le rapport définitif de l’ADLC sera rendu, et fournira des recommandations dans le sens d’une meilleure concurrence, si elle détecte des dysfonctionnements. Si c’est le cas, les indépendants remporteront une bataille leur permettant au moins de ne plus se battre avec une main attachée dans le dos. Mais la guerre de l’après-vente est loin d’être gagnée et les marques disposent de sérieux atouts pour maintenir, voire renforcer, leurs positions.
 

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