L’Empire du Milieu devient le centre du monde
En l’espace de deux ans, si on prend le dernier Salon de Shanghai comme repère, la Chine s’est sans surprise affirmée comme le premier marché mondial. En 2010, cela s’est vérifié au niveau des ventes de véhicules légers, environ 18 millions, comme de la production, plus de 18 millions d’unités, soit près du quart de la production mondiale (77,6 millions). Le fait que la croissance puisse parfois conjoncturellement ralentir, comme ce fut le cas au premier trimestre (environ 8 % contre 32 % sur l’exercice 2010), ne remet aucunement en cause les perspectives de croissance vertigineuses de ce marché (20 millions d’unités en 2020 puis plus de 30 millions en 2020). Dès lors, la plupart des constructeurs se focalisent sur l’extension de leur capacité de production : GM, Ford, PSA, Volvo, Nissan, etc. “Nous devons continuer à investir pour combler le fossé entre la demande des consommateurs et notre capacité de production”, synthétise Carlos Ghosn au moment de dévoiler au monde la Nissan Tiida. Au chapitre des ambitions commerciales, les majors annoncent tous plus ou moins un doublement de leurs ventes d’ici cinq ans. Ce qui signifie mathématiquement qu’il y aura des perdants… Tout Eldorado qu’il soit, le marché chinois n’est pas extensible à l’infini. D’ailleurs, certains analystes portés sur la grande prospective brandissent déjà le spectre de la surproduction, à moyen terme naturellement, et invitent l’industrie automobile à ne pas répéter ses erreurs passées.
Le gant du gouvernement chinois en guise de main invisible
Citant Deng Xiaoping, “Peu importe que le chat soit blanc ou noir… Si le chat attrape la souris, c’est un bon chat”, Michael Dunne, président du cabinet Dunne&Company, met en avant le pragmatisme qui régit ce marché. Le rôle du pouvoir chinois est et restera primordial. D’une part, pour garder le contrôle, le gouvernement chinois peut régler le curseur de la croissance et le ralentissement évoqué au premier trimestre s’explique en partie par la fin de certaines “incentives” d’Etat. D’autre part, Michael Dunne stigmatise “une forme de tension entre le pouvoir central de Pékin et chaque province qui veut être acteur de cette industrie et des richesses qu’elle peut générer”. En outre, le pouvoir chinois n’a jamais fait mystère de sa volonté de disposer de constructeurs chinois puissants sur leur marché domestique et à terme, armés pour prendre une stature mondiale de premier plan. “Mais entre le départ d’une feuille blanche et les premiers développements rapides du marché, les choses ont évolué”, souligne Michael Dunne, avant d’ajouter : “Au-delà de la solidité de certains JV, on a aussi assisté à l’émergence de nouveaux entrants, de nature indépendante, privée. Les BYD, Geely et consorts n’étaient pas prévus dans les plans initiaux du gouvernement”. Actuellement, le débat politique et industriel porte notamment sur l’interdiction des deuxièmes JV pour les constructeurs étrangers, ou tout du moins pour un encadrement beaucoup plus strict de ces structures… Il convient de rappeler qu’actuellement, les marques chinoises détiennent environ un tiers de leur marché, principalement sur les segments d’entrée de gamme. “Mais cette part pourrait passer à 50 % à un horizon 2015”, glisse Michael Dunne. En effet, les constructeurs chinois vont désormais chercher à monter en gamme, mais dans le même temps, les groupes internationaux cherchent à capter les consommateurs les moins aisés. Pour ne pas écorner l’image de leurs marques, ils lancent de nouvelles marques : Baojun pour General Motors, Venucia pour Nissan, Li Nian pour Honda, Kaili pour Volkswagen, en attendant de connaître le nom de celle que lancera PSA avec Changan. De son côté, Daimler et BYD lanceront une nouvelle marque dès 2013 et selon Paul Lin, porte-parole de la marque chinoise, on peut attendre “un SUV et un modèle plus compact. Avec une version électrique qui sera commercialisée de façon traditionnelle, c’est-à-dire que le module de batteries ne sera pas loué”. Bref, la consolidation annoncée de l’industrie automobile chinoise, qui compte encore plus de cent constructeurs par exemple, peut encore attendre. “Là encore, la concentration sera supervisée par le pouvoir. Mais l’heure est toujours au pragmatisme, “money is money” !”, explique Michael Dunne.
“Premium paradise”
Au niveau de la segmentation du marché, les petites voitures et les compactes restent les segments dominants, avec plus de 7 millions de ventes l’an passé. “Les goûts des consommateurs évoluent et parmi les nouveautés, on voit émerger des modèles bicorps, beaucoup plus compacts. La suprématie des tricorps n’est pas immuable et les choses changent très vite en ce moment sur le marché”, note un dirigeant de PSA Peugeot Citroën. Par ailleurs, la bataille fait rage sur le segment des berlines où Volkswagen devrait valider son temps d’avance avec le lancement de la nouvelle Passat (voir ci-contre). Les crossovers et les SUV ont aussi le vent en poupe, surtout qu’ils se révèlent parfaitement adaptés aux zones rurales et à leurs infrastructures. “Pour ces modèles, on note un réel downsizing. La motorisation n’est pas la priorité du client chinois en général et la valeur statutaire au même titre que l’identité des marques ont plus d’importance”, indique Michael Dunne. Enfin, le segment Premium et luxe demeure toujours aussi florissant. 727 000 véhicules ont été vendus l’an passé et ce chiffre devrait passer à plus de 900 000 unités en 2011, selon IHS qui table sur un potentiel de 1,6 million de ventes en 2015 ! Au-delà des marques d’exception, au sein du trio allemand, Audi reste le leader, porté par les résultats de son blockbuster A6L. “Les Chinois aiment les voitures longues et quoi qu’on en dise, notamment par rapport à l’environnement, c’est une tendance lourde qui n’est pas sur le point de s’inverser”, souligne Michael Dunne.
L’environnement, une vérité qui dérange toujours…
Environnement, le mot est lâché… Certes, Pékin a validé un plan de dix milliards d’euros pour les énergies alternatives d’ici 2020… Certes, des taxes sont mises en œuvre pour limiter l’engorgement de certaines villes et la pollution… Certes, “les Chinois ont tout pour être les rois du véhicule électrique”, comme le pronostiquait Michel Rollier il y a déjà trois ans… Mais concrètement, les ventes de véhicules à énergies alternatives ont représenté 0,3 % du marché l’an dernier. Les effets d’annonce sont légion, mais malgré la mise en place de vingt villes pilotes, avec une prime de 8 000 $US pour l’achat d’un véhicule électriques, “ce marché ne décolle pas”, dixit Michael Dunne. Et d’ajouter : “Le développement du véhicule électrique sera bien plus lent et progressif qu’on a voulu le faire croire. Regardez BYD, les dirigeants communiquent presque exclusivement sur l’électrique, mais plus de 99 % de leurs ventes sont des voitures thermiques… Cependant, c’est vrai que cette technologie a de l’avenir ici. En effet, la technologie hybride est maîtrisée par les constructeurs internationaux et la Chine ne veut pas de cette voie, par ailleurs plus complexe et onéreuse”. On en revient toujours au pragmatisme. Sur un marché en pleine croissance et de surcroît profitable, l’environnement ne doit pas jouer les trouble-fêtes. Même si la limite est parfois ténue, il ne s’agit pas de cynisme car d’un autre point de vue, comment refuser la mobilité à des millions de personnes qui y ont enfin accès… Michael Dunne estime d’ailleurs qu’il ne faut pas se tromper dans les termes du débat : “L’environnement n’est pas une préoccupation majeure des Chinois. Au niveau du pouvoir et de ses arbitrages, il compte même pour quantité négligeable par rapport à l’enjeu clé de l’indépendance énergétique. Or la Chine est aujourd’hui le plus gros importateur de pétrole. Ses dirigeants vont donc promouvoir des solutions alternatives”. Des solutions qui devraient représenter 10 % des ventes vers 2020.
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