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Constructeurs

Le “Made in France” a-t-il encore de l’avenir ?

Publié le 30 janvier 2015

Par Christophe Jaussaud
12 min de lecture
Après les polémiques à l’époque du ministère du Redressement productif, revenons, à froid, sur la production automobile dans l’Hexagone. Après avoir touché le fond en 2013, celle-ci va reprendre peu à peu, grâce à une réorganisation et une modernisation des sites initiées par les constructeurs français. Mais il ne faut pas s’y tromper, l’âge d’or est terminé. La production annuelle française sera voisine de 2 millions d’unités à l’avenir.
Après avoir fermé Aulnay, PSA poursuit la réorganisation de ses sites français. Ainsi, ceux de Mulhouse et Poissy vont passer en monoflux pour renouer avec la rentabilité et un meilleur taux d’utilisation.

A l’image des immatriculations, la production nationale, après avoir touché le fond en 2013, va légèrement rebondir en 2014. En effet, IHS estime qu’elle devrait atteindre 1,8 million d’unités cette année, soit enregistrer une hausse de 4 %. Est-ce le début d’une embellie ? Faut-il y voir les prémices d’un retour du “Made in France” ? Avant de répondre, un état des lieux et l’analyse des causes qui ont conduit à produire si peu s’imposent.

Selon les chiffres compilés par le CCFA, la production française a représenté 1,740 million d’unités (- 11,6 %) en 2013, soit 2 % de la production mondiale, qui a totalisé 87,3 millions (+ 3,6 %). La part des constructeurs français dans cette production totale atteint quant à elle 6 %. L’internationalisation de PSA et Renault explique logiquement ces deux chiffres. Pour Inovev, un cabinet qui scrute l’automobile, la production nationale des deux groupes français, Renault-Nissan et PSA, a représenté, en 2013, 13 % de leur production totale, soit 1,4 million sur 10,5 millions. Pour l’Alliance Renault-Nissan, la part de la production hexagonale est tombée à 6 % alors qu’elle était de 9 % en 2010 et même à 18 % en 2000. Pour sa part, PSA “fait mieux” avec 33 % de ses véhicules produits dans l’Hexagone, alors qu’ils étaient 38 % en 2010 et 60 % en 2005. La réduction de la part française va mécaniquement se poursuivre, selon le cabinet, du fait de l’internationalisation croissante de ces deux acteurs. Cela se confirme d’ailleurs en 2014 avec la production grandissante de PSA en Chine, pays qui est d’ailleurs devenu son premier débouché. Chez Renault, l’internationalisation est plus ancienne (Corée, Roumanie, Brésil, Inde, Maroc, etc.), mais va encore croître avec l’ouverture de sa première usine en Chine en 2016. A titre de comparaison, les constructeurs allemands ont produit, en 2013, 33 % de leurs véhicules sur leur sol contre 50 % en 2005. Mais contrairement aux Français, leur production nationale a également augmenté sur la période. Produire de plus en plus à l’étranger n’est donc pas forcément une mauvaise chose, comme en témoigne l’activité d’Audi. En effet, la marque d’Ingolstadt a, pour la première fois de son histoire, produit plus de voitures à l’international (53 %) qu’en Allemagne (47 %) en 2014. Et ce sera la même chose pour BMW et Daimler à l’horizon 2020. Pour autant, on ne peut pas dire que ces trois fleurons du Premium allemand soient en difficultés !

Le choix de la périphérie

L’effritement de la production nationale de PSA et Renault tient aussi à l’évolution du marché en Europe et particulièrement en France, où les modèles des segments A et B dominent le marché avec 53 % des ventes en 2013 (29 % en Allemagne et 41 % en moyenne en Europe). Les faibles marges qu’offrent ces véhicules, combinées à une guerre des prix toujours plus féroce et des coûts toujours plus élevés en France, ont poussé les constructeurs français à produire ce type de véhicules en périphérie de l’Europe, au détriment des usines françaises, pour retrouver des marges de manœuvre. PSA et Renault ont donc investi en République tchèque, en Slovaquie, en Slovénie ou encore en Turquie. Ainsi, le tableau montrant l’évolution de la production des Renault Clio et Peugeot 206/207/208 symbolise ce déplacement de production. En 2013, 73 % des Clio ont été produites dans l’usine turque de Bursa alors qu’en 2007, celle de Flins s’adjugeait encore 60 %. Peugeot ne fait guère mieux avec sa 208 puisque, aujourd’hui, 65 % d’entre elles sortent du site slovaque de Trnava et seulement 30 % de Poissy. Les patrons français ont expliqué cette évolution en la résumant, principalement, aux coûts de production trop élevés en France. En effet, Carlos Ghosn et même Carlos Tavares, alors qu’il était encore son bras droit, avaient indiqué qu’une Clio “Made in Turquie”, livrée en France, coûtait 1 300 euros de moins que la même produite à Flins. Depuis les accords signés avec les syndicats, permettant de faire baisser le coût d’une Clio sortant de Flins de 300 euros, le CICE et le Pacte de responsabilité ont fait leur apparition, mais la situation tarde à évoluer. Contrairement à l’Espagne où, après des accords syndicaux et des incitations politiques, les annonces de nouvelles affectations de modèles s’enchaînent avec notamment le nouveau SUV compact de Renault. Une Espagne qui arrive, elle, à produire de nombreux modèles du segment B, comme l’Opel Corsa, la Seat Ibiza ou la Volkswagen Polo. Ajoutons à cela les Renault Captur, Citroën C4 Picasso, C4 Cactus, C-Elysée, Peugeot 301 et autres Opel Mokka, Ford Mondeo et C-Max pour comprendre que nos voisins espagnols ont trouvé la bonne formule. Citroën devrait d’ailleurs encore attribuer un modèle à l’Espagne puisque le futur C3 Picasso devrait être assemblé avec le futur Opel Meriva dans l’usine GM de Saragosse. Un jeu de “chaînes musicales” qui laisserait ainsi de la place à la remplaçante de la C3 dans l’usine de Trnava. Les choses ne vont donc pas s’arranger pour les petites françaises.

Une crise d’obsolescence

L’écart entre la France et l’Espagne semble si important qu’on ne peut s’arrêter simplement sur les coûts salariaux. Certes, ils sont plus bas qu’en France, mais ce n’est pas non plus la Roumanie. Et se pose alors la question de l’investissement. En effet, le point commun des pays où la production a bien évolué est l’investissement. C’est le cas en Espagne, mais aussi en Allemagne, choyée par ses grands groupes automobiles. Ainsi, le groupe Volkswagen va investir plus de 30 milliards sur ses sites, productifs ou non, d’ici à 2019. De quoi “mettre à jour” ces usines pour éviter une crise d’obsolescence. Car c’est sans doute sur ce point que les constructeurs français ont péché dans le passé en laissant vieillir leur outil de production. En effet, produire en France dans une usine moderne et bien organisée, c’est possible. Même des petites voitures ! Toyota et smart le démontrent depuis 1997 et 2001. Et les Yaris “Made in France” s’exportent dans toute l’Europe et même en Amérique du Nord. PSA et Renault ont toutefois réagi ces dernières années en lançant, au plus fort de la crise, une vaste réorganisation de leur outil de production. PSA, durement touché, a fermé l’usine d’Aulnay-sous-Bois, mais également entrepris de revoir ses usines françaises restantes en y investissant 1,5 milliard d’ici à 2017. Le site de Rennes, dont la pérennité à moyen terme ne semble toutefois pas définitivement assurée, a reçu une enveloppe de 90 millions d’euros quand ceux de Mulhouse et Sochaux vont recevoir respectivement 400 et 300 millions. Ces dernières semaines, le constructeur a également annoncé un investissement de 153 millions à Poissy. PSA a ainsi annoncé plus de 940 millions sur son enveloppe destinée aux usines. Une fois remis aux normes actuelles, le site de Poissy va pouvoir produire sur une ligne 320 000 unités par an, ce qui lui permettra de retrouver une certaine rentabilité et d’afficher un taux d’utilisation proche de 100 %. PSA vise d’ailleurs un taux d’utilisation de 100 % en Europe en 2015 alors qu’il n’était que de 72 % en 2013.

Renault : à sa façon et à façon

La démarche est sensiblement la même chez Renault, qui assure diriger 40 % de ses investissements en France. Le Français a profondément revu l’organisation de ses sites, dont les plus symboliques sont ceux de Douai et Sandouville, où il annonce avoir investi 420 et 230 millions d’euros. Jadis spécialisé dans les véhicules luxueux du losange, Sandouville est aujourd’hui destiné aux VUL après le début de la production en 2014 de la nouvelle génération du Trafic. De plus, il y a et aura des compléments de production avec les partenaires de Renault, comme Nissan, ou grâce à des accords comme celui signé avec Fiat, qui délègue ainsi la fabrication de la prochaine génération de son petit fourgon Scudo. Les premiers exemplaires sortiront au second semestre 2016 et le contrat entre les deux constructeurs porterait sur 100 000 unités d’ici 2022. De la même manière, l’usine de Flins, devenue le pôle électrique du Français avec notamment la production de la Zoé en plus de fabriquer les versions hautes de la Clio, s’est vue attribuer une partie de la production de la future Nissan Micra. Là encore, la production démarrera en 2016 pour un volume annoncé de 132 000 unités sur le cycle de vie. Une nouvelle production qui a assuré également un surplus d’activité à l’usine Renault du Mans, qui va fournir de nombreuses pièces du châssis de la petite nippone. Les sites de pièces ne sont d’ailleurs pas oubliés dans ce vaste plan puisque Cléon, qui fabrique des moteurs, a reçu une enveloppe de 300 millions. Enfin, l’usine de Douai est, pour Ronan Noizet, Senior analyste production véhicules légers en Europe pour IHS, l’exemple de la future production française. En effet, ce site va être capable de produire sur une même ligne cinq silhouettes différentes reposant sur la nouvelle plate-forme CMF de l’Alliance Renault-Nissan. Le premier produit frappé du losange à en sortir sera le nouvel Espace, ce printemps, avant la remplaçante de la Laguna ou encore le prochain Scénic.

Des engagements a minima

Renault devrait donc arriver à atteindre son objectif de 710 000 véhicules produits en France à l’horizon 2017 contre 530 000 en 2012. A cette même échéance, PSA s’est également engagé à tangenter le million d’unités “Made in France” contre 930 000 en 2012. Des engagements a minima pour Ronan Noizet, dont la société, IHS, estime une production française voisine des 2 millions, selon les cycles produits, dans les prochaines années. Le pic de 2004 avec 3,6 millions d’unités semble bien loin, mais surtout inatteignable dorénavant. En effet, pour l’analyste, la réorganisation actuelle de l’outil productif des Français est en réalité un recalibrage, tant en capacités installées qu’en personnels, pour qu’il reste viable et rentable avec ce volume de 2 millions d’unités par an.

Le “Made in France” a donc un avenir. Mais un avenir où la qualité sera préférée à la quantité. En effet, le retour des segments A et B en France n’est en rien d’actualité, même si Nissan a misé sur Flins pour sa Micra. La nouvelle production française qui se dessine aujourd’hui veut mettre l’accent sur les modèles à valeur ajoutée. C’est louable. DS pourrait d’ailleurs en être un exemple, mais ce pari de la montée en gamme est encore loin d’être réussi.

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FOCUS

Dans une note publiée fin 2014, Alexandre Mirlicourtois, directeur de la conjoncture et de la prévision chez Xerfi, met en perspective la légère reprise européenne : “Six ans après la grande crise qui a vu la production européenne d’automobiles chuter de 25 %, la remontée naissante de l’activité n’est pas sans susciter des interrogations au sujet de certains pays”. Au sein du Big 5, l’Allemagne n’est pas concernée car le pays a retrouvé un haut niveau de production (5,5 millions de VP). Si les exportations ont nettement chuté, cela s’explique par le décrochage de certains marchés, au premier rang desquels figure la Russie.

Au-delà de l’Allemagne, on assiste à un scénario de destins opposés, avec la France et l’Italie dans le camp des perdants et le Royaume-Uni et l’Espagne en grands vainqueurs, même si c’est au prix d’importants sacrifices dans le cas des Ibères. “On peut y voir un certain paradoxe dans la mesure où la France et l’Italie ont l’atout d’avoir des constructeurs domestiques”, souligne Alexandre Mirlicourtois. Pourtant, le dynamisme est ailleurs. Notamment au Royaume-Uni qui a produit plus de un million de véhicules en 2014. Par le biais de marques comme Nissan, Toyota, GM, BMW, Ford, Honda et bien sûr, Jaguar Land Rover. “La faiblesse de la livre Sterling, qui est 15 % inférieure à son niveau de 2007, a naturellement renforcé cette tendance, mais cela n’explique pas tout. Le Royaume-Uni fait aussi valoir une fiscalité attractive et des coûts du travail compressé par exemple. Cette remarque est aussi valable pour l’Espagne où le coût horaire est de 26 euros, contre 45 euros en France…”, met en exergue Alexandre Mirlicourtois. Au final, si on sait que Fiat, PSA ou Renault ne quitteront pas tout à fait leur pays respectif, force est de constater que ce sont bien les usines espagnoles qui montent en régime.
A.G.

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Rectificatif

Toyota souhaite revenir sur les chiffres de production de la Yaris. En effet, le constructeur nous indique que la production sur la période 2010-2013 est nettement plus élevée que celle que nous avions indiquée. Ainsi, la moyenne annuelle sur ces quatre années est de 175 500 unités, ce qui replacerait le modèle à la deuxième place de notre classement (tableau) derrière la C3. Notre chiffre moyen de 116 400 unités n’est effectivement pas exact mais n’est pas faux non plus. En effet, il prend seulement en compte la génération apparue en 2011. En ajoutant la production 2010 et 2011 de la génération précédente, la moyenne annuelle de la Yaris est effectivement de 175 500 unités comme l’indique Toyota. Pour l’année 2014, ce chiffre grimpe à environ 225 000 unités selon le constructeur, ce qui permet à la Yaris d’être le modèle le plus produit dans l’Hexagone ces trois dernières années. De plus, Toyota indique que notre moyenne annuelle sur la période 2015-2017 (171 700 unités) est sous-estimée. Rendez-vous est donc pris pour fin 2017.
 

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