La longue marche de l’électrification
Le feu d’artifice annoncé depuis plus de sept ans désormais n’a toujours pas eu lieu. Les festivités liées à l’avènement du véhicule électrique, sous toutes ses formes, sont reportées, presque sine die. Entendons-nous bien, ce constat brut, sans mauvais jeu de mot, n’est nullement synonyme de jugement peu amène et moins encore, définitif. Cependant, les chiffres sont têtus et le marché mondial du véhicule électrique demeure epsilonesque. Ainsi, aux Etats-Unis, premier marché mondial pour le véhicule électrique, sur les onze premiers mois de l’année, les ventes, certes en progression de l’ordre de 26 % par rapport à la même période de référence 2013, plafonnaient à 83 647 unités. Si la Nissan Leaf domine le marché (25 010 ventes), nous constatons aussi que les modèles à prolongation d’autonomie (la Chevrolet Volt et ses 15 767 ventes) et les modèles hybrides rechargeables (Toyota Prius PHEV et Ford Fusion Energi PHEV toutes deux au-delà de 10 000 ventes) trustent plus de 50 % de cette niche, ce qui n’est pas anodin sous l’angle de la sempiternelle question de l’autonomie.
En Europe, les modèles 100 % électriques prennent le pas sur les hybrides rechargeables
En Europe, sur les dix premiers mois de l’année, l’estimation de 72 419 immatriculations de véhicules électriques est retenue. Le Mitsubishi Outlander PHEV arrive largement en tête des ventes (environ 17 000 unités), devant la Nissan Leaf (12 363) et la BMW i3 (8 164). Vient ensuite la Renault Zoe (7 400) devançant d’un souffle la Tesla S. Notons qu’en Europe, les modèles 100 % électriques prennent le pas sur les hybrides rechargeables (2/3 – 1/3 du marché). En France, sur les onze premiers mois de l’année, 12 818 véhicules électriques (VP et VUL) ont été distribués, soit un volume comparable, à quelques unités près, à celui de la même période 2013. C’est maigre… Malgré la forte présence de Bolloré et surtout de Renault, ce dernier ne ménageant de surcroît pas ses efforts de communication. Malgré les promesses du Grenelle de l’environnement “post-crise” de 2009. Malgré le fameux Livre Vert de 2011. Malgré les avantages proposés aux flottes. A ce propos, ouvrons une brève parenthèse pour nous intéresser à l’expression de “véhicule image” : assumée publiquement, elle garantit quelques livraisons aux grandes flottes (hors cas spécifique de l’Ugap), mais elle trahit surtout ce qu’elle veut cacher ! A savoir que l’équation économique du véhicule électrique n’est toujours pas viable pour les flottes, ce que reconnaissent la plupart des gestionnaires de parcs en coulisses. Malgré encore le bonus ou le super bonus accordé aux particuliers. Le lobbying - que d’ombres de Jules Quesnay de Beaurepaire dans les commissions ad hoc - ne parvient à faire gonfler les volumes. Tout juste oblige-t-il quelques élus écologistes à de savoureuses circonvolutions autour de la question du nucléaire, cet allié supposé du véhicule électrique sur l’enjeu névralgique du bilan du “puits à la roue”. Par ailleurs, jetons encore un œil sur l’Allemagne, marché de référence en Europe. Début décembre, la Plateforme nationale pour l’électromobilité a remis son rapport annuel à la chancelière Angela Merkel en soulignant que “l’engouement limité pour la voiture électrique en Allemagne rend inatteignable l’objectif du pays d’un million de véhicules de cette nature sur ses routes d’ici 2020, à moins d’efforts supplémentaires”. Or, jusqu’à présent, la coalition au pouvoir n’a jamais envisagé de mettre en place de nouvelles incitations financières, notamment un bonus à l’achat pour les particuliers.
Les véhicules électriques se contentent de 0,4 % du marché chinois
Pour clôturer ce volet chiffré, impossible de ne pas se tourner vers la Chine, durable premier marché automobile mondial, mais qui se préoccupe dorénavant aussi de son indépendance énergétique globale et de ses problèmes de pollution devenus très aigus. En croisant plusieurs sources non officielles, on peut estimer que 45 000 véhicules électriques ont été vendus dans le pays entre janvier et octobre (N.D.L.R. : ces chiffres ne tiennent pas compte des données avancées par Kandi Technologies Group. En effet, les chiffres de Kandi sont pour l’heure difficiles à vérifier. Or, les volumes mis en exergue par Kandi représentent environ 50 % du marché chinois). S’il faut garder à l’esprit le fait que cela représente moins de 0,4 % du marché global chinois, il est intéressant de noter que ce sont les constructeurs domestiques qui tirent leur épingle du jeu sur ce segment. Ainsi, dans le top 5, hormis Tesla, on trouve BYD, Chery, Zoelte et BAIC.
Si loin du compte…
En somme, il apparaît clairement que si le marché des véhicules électriques progresse, il reste très nettement en deçà des prévisions qu’on lui promettait il y a seulement cinq ans. Là où les analystes évoquaient un million de véhicules électriques à la route aux Etats-Unis en 2015, on en recense aujourd’hui environ 210 000. Des deltas considérables s’appliquent aussi à l’Allemagne (environ 20 000 véhicules roulants pour une prévision d’un parc de 1 million en 2020) ou à la Chine (environ 70 000 véhicules roulants pour une prévision d’un parc de 500 000 en 2015). C’est encore plus saisissant pour le véhicule 100 % électrique : avec environ 0,3 % du marché mondial on est loin des 10 % que pronostiquait Carlos Ghosn en 2009 pour le jalon 2020, même s’il a dans l’intervalle, rendons-lui justice, reconnu une erreur d’appréciation calendaire. Même le plus frileux des grands dirigeants sur le sujet, Martin Winterkorn, président du groupe Volkswagen, tablait à l’époque sur un modeste 2 %.
Le problème de l’autonomie limitée a largement été sous-estimé
Pour expliquer ce significatif retard à l’allumage, plusieurs raisons peuvent être mises en avant. Inutile de trop s’y attarder cependant, car elles n’ont guère varié au fil des ans. Sans prétendre à l’exhaustivité, mettons en exergue que l’offre des produits disponibles sur le marché s’est certes élargie et améliorée, mais demeure néanmoins restreinte, surtout dans une perspective de véhicule unique et polyvalent. Par ailleurs, le développement du réseau de bornes de recharge, tous modes confondus, se poursuit, mais à un rythme lent et souvent dynamisé par des initiatives privées. Dans un registre similaire, on peut avancer que la question pourtant tranchée du “droit à la prise” continue d’être un obstacle. Un chiffre vaut parfois mieux qu’un long discours : en France, plus de 9 véhicules électriques sur 10 vendus à particuliers le sont à des foyers vivant en habitat individuel alors que le parc immobilier est constitué à 45 % d’immeubles. En outre, malgré tous les discours du monde, fussent-ils frappés au sceau du bon sens, le problème de l’autonomie limitée a bel et bien été sous-estimé. Ce qui explique notamment la très faible pénétration des modèles 100 % électriques.
Des grandes tendances mondiales favorables
En somme, il appert que le marché des véhicules électriques n’a, pour l’heure, pas tenu ses promesses. Toutefois, le report du feu d’artifice n’est pas assimilable à la théorie du pétard mouillé et plusieurs éléments, notamment structurels, plaident encore pour ces technologies. Ainsi, la démographie mondiale devrait dépasser le cap des 9 milliards d’individus d’ici 2050, toujours plus concentrée dans les mégapoles et les grandes villes (environ 70 %). Or, avec un taux de motorisation encore relativement faible dans les pays en forte croissance, comme la Chine par exemple, on touche déjà aux limites d’une pollution locale supportable. Malgré un prix du baril actuellement très bas et l’exploitation de nouveaux pétroles, cette dernière réactualisant la gestion de la courbe de Hubbert, la pression des enjeux environnementaux va aller crescendo. En Europe ou aux Etats-Unis, les normes Euro et CAFE en sont déjà une illustration. Il convient d’ailleurs de souligner que d’une manière générale, le législateur représente sans doute la clé maîtresse de l’équation des véhicules électriques. A titre indicatif, dans des pays volontaristes, pour des raisons de différente nature, comme la Norvège ou les Pays-Bas, la pénétration des véhicules électriques s’établit déjà, respectivement, à 6,4 % et 4 %. En clair, si un pays comme la Chine décidait de mettre en place une politique durable pour lutter contre la pollution urbaine, cela aurait un effet de levier très marqué pour les véhicules électriques, avec des conséquences mécaniques sur l’échelle de production et par extension, les prix des produits. En outre, il ne faut pas négliger l’émergence de nouveaux usages de mobilités, souvent liés aux énergies alternatives. L’autopartage en est un parfait exemple et il est appelé à croître pour des raisons technologiques, environnementales et générationnelles.
Encore des divergences de prévisions selon les analystes
L’avenir des véhicules électriques n’est donc pas compromis, mais il reste encore à déterminer le juste calendrier de leur développement. Et à nouveau, les avis divergent au gré des analystes. Pour Damien Festor, directeur de Xerfi France, présentant une étude de Pierre Paturel, “les conditions sont réunies pour le décollage de l’électrique : chute du prix des batteries, conversion du haut de gamme à l’hybride, déclin amorcé du Diesel en Europe, frémissement du marché en Chine, etc. Actuellement, les véhicules électriques et hybrides représentent 2,3 % du marché mondial, mais on peut envisager un marché de masse à l’horizon 2020, surtout via les hybrides. En attendant une deuxième vague, avec l’avènement de la pile à combustible”. Dans une étude publiée il y a plusieurs mois, François Jaumain, associé PwC, responsable du secteur automobile et Josselin Chabert, analyste Autofacts, soulignent eux que “la croissance mondiale profite aux moteurs thermiques qui ont réalisé des progrès très significatifs et continuent de faire l’objet d’investissements lourds des constructeurs. Nous n’envisageons donc pas d’émergence massive des véhicules électriques à court terme. Ainsi, pour 2020, en tablant sur une production mondiale de 108 millions de véhicules, nous plaçons le 100 % VE à 960 000 unités, soit encore moins de 1 % de pénétration et les hybrides à 5 millions d’unités, soit moins de 5 % de parts de marché”. A leurs yeux, les véhicules électriques se développeront pour que les constructeurs répondent aux différents seuils d’émissions de CO2, mais le phénomène ne prendra pas une ampleur notable, surtout dans le cas des 100 % électriques qui ont en l’état trop de limites intrinsèques. “Une forte croissance des véhicules électriques, sans même aller jusqu’à la pile à combustible, qui nécessite encore des investissements considérables et de résoudre de nombreux problèmes, ne pourra venir que d’une impulsion politique franche ou de chocs géopolitiques”, concluent-ils.
2020-2030 comme nouvelle terre promise
Chez IHS, si on retient différents scénarios d’évolution (Rivalry, Vertigo et Autonomy), les analystes tablent sur le fait que les véhicules hybrides et électriques représenteront 1 véhicule produit sur 10 dans le monde en 2020, contre 1 sur 50 en 2010. Après un premier palier à 2,8 millions en 2015, la progression s’intensifierait ensuite pour aboutir à un total de 7,8 millions d’unités en 2020. Sur le segment du 100 % électrique, c’est l’Europe qui connaîtra le développement le plus marqué (plus de 300 000 unités en 2020), devant la Chine (290 000 unités) et l’Amérique du Nord, le Japon et la Corée du Sud restant en retrait. On retrouve une tendance similaire pour les hybrides rechargeables avec l’Europe aux avant-postes (plus de 500 000 unités en 2020) devant la Chine (environ 400 000) et l’Amérique du Nord (environ 300 000). En revanche, pour les véhicules hybrides, le Japon et la Corée du Sud régneront sur le segment (près de 3,5 millions d’unités en 2020), loin devant l’Amérique du Nord (plus de 1 million), l’Europe (750 000) et la Chine. “Par la suite, les véhicules électriques rencontreront une nouvelle phase d’essor entre 2020 et 2025 avec le durcissement des standards d’émissions de CO2 dans plusieurs régions du monde. Et une nouvelle poussée de croissance est attendue après 2030 avec l’arrivée de nouvelles technologies de batteries”, indique Ben Scott, senior analyste chez IHS. En attendant le bouquet final.
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