Jean-Pierre Ploué, Homme de l’Année !
...et auréolé d'un important capital sympathie, l'homme est aussi naturellement associé au renouveau de Citroën, une marque qu'il a su revitaliser et rajeunir. En outre, la récente présentation de la C5, berline comme break, a frappé les esprits.
Les membres du jury ont beaucoup débattu, longuement discuté… Pour savoir si le succès de Porsche, notamment la prise de contrôle de Volkswagen, relevait du seul capitaine Wiedeking ou du plus insaisissable, bien qu'omnipotent, Ferdinand Piëch. Ou encore pour savoir si la réussite de Toyota, sur un mode papier glacé laissant peu de place à l'affect, pouvait vraiment être attribuée à un homme, en l'occurrence Katsuaki Watanabe, plus qu'à un implacable système, frisant certes l'excellence mais de façon désincarnée. Toujours pour savoir si Ratan Tata, son macro-empire et sa nano-voiture, était bien l'homme de l'année 2007 ou s'il valait mieux attendre un an pour que sa "candidature" devienne impossible à prendre en défaut. Mais rien ne sert de courir, il faut partir à point. Ce qu'a fait Jean-Pierre Ploué ! Le responsable du design de Citroën a su s'appuyer sur des soutiens de première heure pour finalement profiter du halo d'interrogations entourant les autres pressentis et rafler la majorité des voix dès le 1er tour. Une première à plus d'un titre : d'une part, parce que depuis plusieurs années, l'élection se jouait à une ou deux voix près et d'autre part, parce qu'il s'agit tout simplement du premier designer distingué par un prix le plus souvent "réservé" aux grands patrons ou aux tenants de l'économie et du commerce.
FOCUS Les membres du jury |
Liberté de pensée
En fait, ce n'est nullement une surprise, car le nom de Jean-Pierre Ploué avait été régulièrement avancé au rang des nominés lors des trois précédentes éditions. Il est vrai que l'homme jouit d'un immense capital sympathie. Jeune quadra enjoué, à la fois timide et malicieux, modeste et brillant, il se rend toujours disponible, alors que son emploi du temps est un casse-tête chinois de niveau noir. A mille lieues de l'image d'Epinal du designer diva et de la morgue élevée au rang d'art de la posture par certains de ses confrères, Jean-Pierre Ploué promène avec naturel un style direct et accessible. Pourtant, dieu sait s'il collectionne les prix de design depuis quelques années ! Cette attitude, tout en affabilité et en dynamisme, est somme toute révélatrice de la liberté de pensée qui caractérise l'homme et le designer. "En peinture, je suis séduit par les impressionnistes, mais mon artiste préféré reste Van Gogh. Ce sont les couleurs qui m'émeuvent au premier chef. Couleurs que Cézanne a aussi sublimées dans certaines de ses toiles. En revanche, je suis peu réceptif à l'abstraction ou à l'art conceptuel", nous confiait-il récemment dans un entretien avant d'ajouter : "Je n'appartiens pas à un courant de pensée donné, pas plus qu'à une école de style. Je crois d'ailleurs que ce phénomène d'appartenance n'a plus cours dans l'automobile, même si à une période, certains revendiquaient une proximité avec le Bauhaus par exemple. Je crois que nous cherchons avant tout un langage formel adapté à une marque donnée. Quand je suis arrivé chez Citroën, avant de développer un langage formel à proprement parler, nous voulions marquer les esprits avec des produits forts. C3 et C2 en sont l'illustration. Puis, nous nous sommes attelés à fonder un langage formel commun à tous les véhicules de la marque. Cela ne doit pas forcément passer par une récurrence de motifs ou de formes immédiatement identifiables. L'air de famille peut, et doit, être transmis par un esprit qui anime et se retrouve sur tous les véhicules".
Redonner allant et cohérence stylistique à Citroën
Né en 1962, Jean-Pierre Ploué, dont le rêve d'enfant était de devenir pilote de chasse, ne s'est pas destiné tout de suite au style automobile. "J'ai commencé mes études supérieures en architecture intérieure, mais j'ai rapidement voulu basculer vers le produit. Dans l'effervescence d'un groupe, d'une bande de copains que vous connaissez : Oleg Son, Anne Asensio, Thierry Metroz. Nous étions passionnés d'automobile, mais il a fallu pousser nos professeurs pour qu'ils acceptent que nous choisissions cette voie. Accepter, c'est un grand mot, disons tolérer... A l'époque, l'auto n'avait rien de noble, au contraire ! L'automobile, c'était vulgaire, c'était le garagiste plein de cambouis… Bref, il a fallu qu'on force un peu le destin. Dans la bande, certains l'ont d'ailleurs fait au détriment de leur diplôme !", explique-t-il. Mais une fois entré chez Renault, où il marquera les projets Twingo et les concept-cars Laguna et Argos, il prend vite de l'envergure. Et après un passage chez Volkswagen et Ford, il est débauché par Citroën pour relever un vaste défi : réinventer un langage pour la marque et lui redonner allant et cohérence stylistiques ! "Force est de reconnaître que lorsque je suis arrivé chez Citroën, la marque n'avait pas de produit très significatif, en termes de style s'entend. Puis, le design est peu à peu revenu sur le devant de la scène, battant en brèche la résistance de ceux qui considéraient notre activité comme une science occulte. Je tiens d'ailleurs à rendre hommage à Jean-Martin Folz et à Claude Satinet pour leur action dans ce domaine", se rappelle-t-il.
Le choc C5 !
D'emblée, il réorganise son département, profitant notamment de l'opportunité du déménagement dans l'écrin rutilant de l'ADN : "Auparavant, il y avait des responsables de plates-formes qui ne géraient pas l'intégralité de leurs projets. Désormais, nous n'avons plus de responsables de plates-formes, mais des responsables de gamme et ils conduisent leur projet de A à Z", explique-t-il. Pour donner le "la" de la nouvelle orientation stylistique de la marque, il n'hésite pas non plus à retoucher son logo. "Cette évolution était indispensable car l'ancien logo était associé aux "mauvaises" années de Citroën. Il fallait trouver un logo en adéquation avec notre nouvelle image", affirme Jean-Pierre Ploué. Une évolution qui ne fut pas simple, car en interne, l'attachement de certains à la version Delpire des chevrons était très fort. "C'est clair, nous avons cassé un tabou", lâche Jean-Pierre Ploué. Le lancement de C4, avec l'histoire étonnante de ses deux silhouettes, marque ensuite l'acte fondateur de Jean-Pierre Ploué et de ses équipes qu'on ne saurait oublier, puisqu'il les met toujours en avant. C'est le véritable début d'une success-story scandée par C6, le nouveau Picasso et en 2007, le choc C5. Même si l'unanimité n'existe pas en design, les nouvelles C5, qui font d'anciens ânes des chevaux de course, ont fait chavirer nombre des membres du jury. De surcroît, plusieurs d'entre-eux soulignent que le design joue, dans le cas précis de Citroën, un rôle évident dans le succès commercial de la marque et dans le - nécessaire - rajeunissement de sa clientèle. Enfin, on ne saurait oublier la galerie de concept-cars présentés par la marque ces derniers temps et qui lui confère un rayonnement de premier ordre sur la scène mondiale du design automobile. "C'est incroyable, parent-pauvre du style il y a encore quelques années, Citroën inspire et attire désormais des designers du monde entier", souligne un membre du jury. Autant d'éléments qui font de Jean-Pierre Ploué un Homme de l'Année 2007 applaudi de façon quasiment unanime, ce qui relève de la prouesse par rapport à sa discipline. Deux heures après son élection, Jean-Pierre Ploué répond au téléphone avec un indéfectible naturel : "Wouah, c'est pas vrai… Mais vous auriez pu attendre un an ou deux, car ce que nous préparons est encore mieux que ce que vous avez vu !"
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