Georges Douin, initiateur d’automobiles
...accordée aux cols blancs, on comprendra la difficulté à circonscrire le personnage en quelques lignes. Esquisse.
Un homme grand. Dégingandé. L'impression de faire face à un pilier supportant le poids du monde, d'un monde à tout le moins. Un accueil en demi-teinte. Méfiance, timidité, embarras, difficile à dire aussi rapidement. Georges Douin comme le confesse avec affabilité Louis Schweitzer n'est pas de nature extravertie. Lui-même reconnaît qu'il n'aspire pas à la médiatisation. Et lorsqu'on lui demande comment il a fait pour ne pas être sur le devant de la scène alors qu'il a participé à la réalisation des plus grands projets de Renault, sa réponse laisse rêveur : "Comme je suis grand, je suis très souvent au dernier rang". Une grande taille qu'il partage avec son président. Il est d'ailleurs curieux de les voir côte à côte dans les manifestations de Renault, Georges Douin toujours dans ce retrait qui lui est familier, Georges Douin toujours très présent également. Et c'est ce qui marque, lorsqu'on s'immisce dans sa carrière professionnelle, cette omniprésence rassurante et aussi "opérationnelle", citée à maintes reprises par ses collaborateurs et ses partenaires. Georges Douin est discret mais sur le terrain. Il se met peu en avant mais n'hésite pas à tester les produits et à discuter avec l'ensemble des personnels ayant participé à un projet. Il peut paraître distant mais c'est pour mieux cacher une sensibilité très forte.
L'équipe passe avant l'homme, il voudrait que la famille aussi…
Retour en arrière. Georges Douin est entré en automobile comme d'autres prononcent leurs vœux face à l'autel. Enfant, il se souvient avoir été un passionné de l'automobile, collectionneur de petites voitures, amateur de cartes routières et déjà curieux du mode de fonctionnement des véhicules. Un exemple. Alors que son père était attaché militaire en Tchécoslovaquie entre 1950 et 1955 et, du fait de son rôle dans le renseignement, toujours escorté par deux véhicules, Georges Douin raconte : "Il en fallait bien deux tant la nôtre était difficile à suivre sur tous les trajets. Ce type de différences entre les voitures me passionnait beaucoup". De là à dire que cet épisode a conduit Georges Douin à concrétiser sa passion en métier, ce serait un peu rapide. En revanche, les deux composantes de la passion, à savoir l'objet de plaisir d'une part et la technicité d'autre part restent gravés à jamais. C'est pourquoi, lorsqu'il arrive chez Renault aux essais, il trouve son bonheur. Le jeune polytechnicien apprend sur le tas, teste les techniques et fait la joie de ses collègues intrigués qu'un homme sorti d'une telle école s'attache à ce point au concret. Une dualité qui suscitera une véritable reconnaissance, jusque chez son concurrent le plus direct comme en témoigne Jean-Marc Nicolle, directeur stratégie et produit groupe de PSA (voir en page 32). Son intérêt pour la technique doublé d'un esprit d'équipe non feint constitue son passeport pour le Berex dont il prend la direction générale en 1978 à Dieppe. Le Berex s'avère pour les nostalgiques et les amateurs de rêves éveillés comme un lieu magique. Celui de tous (ou presque) les possibles, celui de la Berlinette et d'Alpine… Renault, celui où l'on conçoit, où l'on valide et parfois même où l'on suit la production de l'usine toute proche. Georges Douin y forgera son âme et s'il y paraît un peu froid au début, développe ses premières amitiés dont la fidélité sera la composante essentielle. Patrick le Quément, directeur du design industriel avec qui Georges Douin s'entretient régulièrement depuis des années - et pas seulement de la prochaine Alpine… - en témoigne en quelques mots : "Je le sens comme quelqu'un d'extrêmement droit, d'extrêmement honnête et fidèle en amitié". Une constante qui ne se dément pas. Lorsque nous avons contacté quelques-uns de ses collègues et collaborateurs, tous lui reconnaissent comme fondamental ce trait de caractère. Fidèle en amitié et "très famille". Une famille qu'il ne voit pas assez et pour laquelle il aurait eu ce mot charmant "Maintenant que je pars en retraite, je vais devoir épouser de nouveau ma femme, parce que je vais avoir le temps de m'en occuper".
Une version libre du management
Son passage au Berex lui aura donné ses premiers galons de manager. Un patron sensible mais sans sensiblerie, un patron travailleur et surtout un expert qui sait écouter. Loin de l'attitude que préconisent les poncifs sur le polytechnicien dans sa tour d'ivoire, Georges Douin opte pour un management participatif sur fond de confiance mutuelle. Il discute avec ses équipes, entend leurs avis avec le même soin qu'il prend à donner ses propres commentaires à ses collègues ou supérieurs hiérarchiques. Une liberté que commente Rémi Kaiser, actuellement président de Delphi France et qui a travaillé sous ses ordres avant de lui-même diriger le Berex : "Georges Douin a un relationnel personnel assez fort et sait faire confiance. Il cherche à vous mettre au bon endroit tout en n'étant pas homme à créer des réseaux. On peut facilement lui parler, d'ailleurs, quand on a eu des choses à lui dire, on l'a toujours fait. Un autre de ses savoir-faire : il sait reconnaître assez facilement la valeur technique des gens, et plus généralement leurs compétences". Sans doute n'est-il pas le killer dont on redoute le pas dans le couloir, mais le respect pour l'homme compétent suffit à emporter l'adhésion. Peut-être aussi l'humour. L'humour, le dernier trait de caractère que l'on pourrait soupçonner en s'entretenant pour la première fois avec lui, mais, là aussi, une constante de sa personnalité attestée par tous, à commencer par Patrick le Quément, qui lui reconnaît cette étonnante capacité "à animer les discours, notamment auprès du personnel, à raconter des drôleries sur un ton extrêmement sérieux". Et c'est cette distorsion qui appelle le consensus, entre l'homme sérieux, qui peut même apparaître aux yeux des non-initiés comme gauche, et l'homme fédérateur qui sait parler aux "troupes", les faire rire tout en les respectant. Un homme également qui prend des décisions et fait des choix courageux qui l'engagent et dont il assume jusqu'au bout la responsabilité. En toute confiance.
Porte-parole de Renault à l'international
Outre son rôle de manager, Georges Douin a vécu un pan de l'histoire de Renault comme concepteur, comme gestionnaire de projets. Et c'est sans doute là l'une de ses plus grandes contributions à l'entreprise Renault. La dimension plan produit, le projet envisagé dans son ensemble comme une mise en œuvre globale, sont véritablement marqués de l'empreinte Douin. C'est ainsi qu'il s'est totalement investi dans la combinaison des différentes Mégane et plus encore dans la Clio Tricorps dont il tire une grande fierté comme le souligne Rémi Deconinck (voir en page 24). Conceptuel, réfléchi, sans doute inspiré, Georges Douin aurait pu rester à la barre de la division plan produit. C'était sans compter sans son président Louis Schweitzer qui lui promet de grandes choses à l'international. Etonné mais fidèle aussi au chef de file de Renault, Georges Douin accepte et marque une fois encore son empreinte. "Renault Samsung Motors c'est lui", n'hésite pas à dire le président de Renault en évoquant le rôle majeur que joue Georges Douin dans la construction de ce nouveau pôle. Un rôle que Paul Parnière, directeur de la stratégie à la direction des achats de Renault, lui accorde volontiers, rappelant son sens des opportunités adossé à une volonté stratégique clairement identifiée. A quoi s'ajoute une perception rapide et aiguë des civilisations qu'il croise. Ce dernier trait lui ayant été précieux alors qu'il cherche une alliance stratégique pour Renault. Abandonnant la Corée dont il sent trop les divergences d'objectifs, il se concentre sur Nissan et soutient le projet dont l'avenir nous a montré la pertinence. C'est à l'épreuve de ce nouveau développement que se révèle davantage encore l'un de ses principaux traits de caractère : la constance. Sans cesse sur le métier… Georges Douin aime la belle ouvrage et confond sa passion et son métier. Renault a misé sur un homme authentique dont on devrait entendre parler bientôt. Dans d'autres sphères.
Hervé Daigueperce
ZOOMUn homme du président Au regard des années que Georges Douin a passées chez Renault, nous n'avons pas résisté à la tentation de lui poser la question, non de ses préférences, mais de ce que les "patrons" de la marque au losange lui ont apporté. En bref mais non sans humour et émotion. "J'aurai connu 7 des 9 présidents de Renault ! Je me dis que c'est peut-être le moment de me retirer. Surtout quand je vais à Rétromobile qui présente une rétrospective de la R 16 sur laquelle j'ai travaillé ou quand je passe devant l'île Seguin qui n'existe plus alors que c'est là que j'ai commencé à travailler ! Pour évoquer les présidents : Pierre Dreyfus, je le croisais, en tant qu'ingénieur, lors de réunions. C'était un homme d'envergure tant au niveau industriel qu'au niveau politique, qui m'impressionnait. En revanche, je ne peux rien dire de Bernard Vernier-Palliez parce que je l'ai peu fréquenté directement. Le premier président que j'ai vraiment côtoyé, c'était Bernard Hanon. C'était un homme séduisant qui avait une grande connaissance du produit et beaucoup d'idées. J'ai regretté comme tout le monde que l'histoire se termine mal en 1984. Il y a eu ensuite Georges Besse. Je reste bien entendu sous le choc de sa fin tragique d'autant que j'étais dans le comité de direction qu'il avait réuni une heure et demie avant son décès. Georges Besse avait un contact très fort, intense. Sans culture automobile proprement dite, il a vraiment répondu aux exigences de survie de Renault de façon remarquable, avec courage et parfois des choix radicaux. Raymond Levy. C'est lui qui m'a promu et qui m'a fait confiance très tôt. Il avait un sens de la manipulation, au sens positif du terme, et une intelligence remarquables ! C'est avec lui que nous avons conçu la Twingo. Quant aux années "Schweitzer", je peux revendiquer le fait d'être un homme de Schweitzer, mais ces années-là sont connues". |
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