Entretien avec Pierre Loing, Vice-président de Nissan Europe
...limitée à la rentabilité.
Journal de l'Automobile. Quel bilan tirez-vous de ces 8 premiers mois d'activité ?
Pierre Loing. Au niveau européen, notre mission est assez claire : nous devons être rentables. Les trois grandes régions couvertes par Nissan, c'est-à-dire les Etats Unis, l'Europe et le Japon sont en compétition entre elles. Dès que l'une d'entre elles dégage une rentabilité suffisante, la société lui fournit les ressources nécessaires pour développer ses idées. Ainsi, l'Europe doit mettre l'accent sur la rentabilité, simplement pour avoir les ressources nécessaires pour financer son futur développement. C'est de cette manière que nous avons réussi à obtenir les ressources pour faire une voiture comme Qashqaï. C'est-à-dire une voiture faite pour l'Europe, même si elle a vocation à être vendue dans d'autres zones de l'univers Nissan.
JA. A ce propos, vos véhicules, comme le Note par exemple, sont essentiellement des produits développés pour le Japon ou les USA. Pourquoi n'y a-t-il pas de vraies "créations" européennes ?
PL. Tout d'abord parce que pendant longtemps, l'Europe n'arrivait pas à justifier un retour sur investissements suffisant. En effet, Note est une voiture qui a été développée en premier lieu pour le Japon. Ceci dit, le niveau d'adaptation pour l'Europe est assez conséquent : une nouvelle face avant ou encore des motorisations Diesel et une banquette coulissante inexistante sur les véhicules japonais. Le Qashqaï est, encore une fois, un véhicule développé par et pour l'Europe. Il s'agit donc bien d'une création. Mais pour reprendre ce qu'a coutume de dire Carlos Ghosn, nous ne travaillons pas dans le caritatif. Nissan est une entreprise qui doit faire des bénéfices en exploitant les opportunités qui lui sont proposées. En l'occurrence, jusqu'à présent, eu égard à notre taille et à notre rentabilité moyenne en Europe, la meilleure manière consistait en des partages de véhicules
JA. Et hormis le Qashqaï, y aura-t-il, à court terme, d'autres Nissan typiquement européennes ?
PL. Notre stratégie se situe ailleurs. En Europe, nous avons deux "piliers" qui, je pense, fonctionnent bien. Le 4x4, sur lequel nous avons une gamme assez étendue et les voitures particulières, segment sur lequel Micra a su parfaitement trouver sa clientèle. En bon "marqueteur", nous avons décidé, il y a trois ans, de construire un pont entre ces deux forces : le Crossover. C'est ainsi qu'est né le Murano, véhicule qui nous a confortés dans l'idée de développer ce troisième pilier. Qashqaï est donc l'une des fondations de ce pilier et aura vocation à être adapté, selon les opportunités, au marché européen. Pour l'heure, nos projets européens s'arrêtent là.
JA. Que deviennent alors les "Old Ladies" de Nissan telles que l'Almera ou la Primera ?
PL. Pour résumer, nous avons arrêté l'Almera dans la plupart des pays. Pour la Primera, nous ne faisons plus de Diesel parce qu'au regard des volumes réalisés, nous avons décidé de ne pas passer en Euro IV. De facto, nous n'en vendons quasiment plus dans un certain nombre de pays. En fait, avons-nous réellement besoin de couvrir l'ensemble des segments ? Si j'étais chez Volkswagen ou Renault, je tiendrais probablement un discours différent. Mais en ce qui nous concerne, le quasi abandon de ces véhicules n'a pas eu d'effet notable sur nos volumes. Il a même eu un impact plutôt positif sur notre rentabilité. Donc, est-ce que l'on remplacera l'Almera ? Non. Nous n'avons pas aujourd'hui la prétention de pouvoir réaliser des volumes égaux à ceux d'un Ford ou d'un Opel, donc à développer un modèle de véhicule par gamme existante. A contrario, notre stratégie réside dans notre faculté à développer un seul véhicule, mais pour une cible très large. Ainsi, le Qashqaï s'adapte à une clientèle jeune, familiale et post-familiale parce que nous nous sommes efforcés de faire un 4x4 qui gomme les inconvénients que certains clients trouvent généralement à ce type de véhicule, comme la surconsommation, l'aspect ostentatoire, etc.
JA. Quels sont objectifs de ventes pour le Qashqaï ?
PL. Nous avons annoncé un peu plus de 100 000 voitures par an en moyenne, sur 5 ans de vie, pour la zone Nissan Europe.
JA. Comment analysez-vous la baisse de vos ventes, tant en France qu'en Europe, par rapport à 2005 ?
PL. Je pense que c'est un peu conjoncturel. C'est-à-dire que nous avons arrêté, dans les grands pays, Almera, Primera et Tino. Certes, Note monte en puissance, mais nous n'avons, pour l'heure, qu'une seule voiture. La deuxième n'arrivant qu'à la fin du mois de février prochain. Par ailleurs, dans des pays comme la Russie où nous ne vendions, il y a 4 ans, pas plus de 5 000 voitures, nous devrions finir l'année à 80 000 unités. Il est d'ailleurs possible que l'an prochain, la Russie soit notre premier marché en Europe. Alors que dans le même temps, les gros marchés traditionnels sont en baisse. Pour une raison simple : toutes les marques, pour assurer leur rentabilité en Europe, ont dû nettoyer le business, c'est-à-dire mettre un frein aux locations, aux voitures immatriculées zéro kilomètre… A bien y regarder, la vision que les statistiques donnent du marché depuis des années en Europe, est biaisée. Elle ne reflète pas la réalité du marché.
JA. Dans ce cas, où situez-vous la réalité de Nissan ?
PL. Je pense que nous ne sommes pas loin aujourd'hui d'avoir un business sain. On ne peut décemment pas se stabiliser à 4,5 ou 5 % de rentabilité en faisant beaucoup d'opérations du genre de celles que je viens de citer. Opérations qui permettent d'afficher des résultats de ventes corrects, mais qui cachent une rentabilité lamentable. Pour la France, c'est la même chose. Si nous nous attachons aux chiffres révélés par les vrais achats de vraies voitures dans les concessions, le business du réseau est stable. Notre stratégie de développement se situe davantage dans la continuité. Et concrètement, nous sommes aujourd'hui dans une logique de renouvellement de notre offre. Nous n'avons pas pour projet de décréter des objectifs à la Toyota, c'est-à-dire de vouloir réaliser 10 % du marché européen presque du jour au lendemain.
JA. Donc vous êtes a priori plutôt optimistes pour la fin de l'année ?
PL. En volume, sur la totalité de l'année 2006, nous devrions croître modérément sur le périmètre européen par rapport à l'an dernier. Nous avons dû faire 541 000 véhicules l'an dernier, et à mon avis, nous ne ferons pas beaucoup plus de 560 000 unités cette année. Mais je pense qu'il n'y aura pas de baisse et notre rentabilité devrait être encore meilleure en 2007 eu égard à notre actualité produit. Maintenant, nous avons un choix à faire. Nous détenons 2,5 à 2,8 % du marché européen… devons-nous viser les 3 % ? Pourquoi pas…
Propos recueillis
par Ambre Delage
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