Entretien avec Jean-Philippe Imparato, directeur général et administrateur délégué de Citroën Italia SpA.
Journal de l'Automobile. Quel regard portez-vous sur l'ampleur de la crise qui frappe l'Italie, alors que les prévisions n'étaient pas si alarmistes début 2008 ?
Jean-Philippe Imparato. Ecoutez, je suis arrivé en Italie le 2 janvier 2008 pour prendre mes fonctions et j'ai eu les chiffres du premier jour d'activité : - 22 % ! On ne peut pas dire que cela laissait augurer une année souriante… Par la suite, le marché a vécu sur un rythme facial de - 12 à - 13 % pendant dix mois, avant de plonger à environ - 30 % en novembre (exactement - 29,4 % sur les VP et - 24 % sur les VU). Mais en fait, le marché des véritables clients est en régression de 18 % à 20 % depuis le début de l'année. Le choc a été amorti, voire dissimulé, par de grandes manœuvres de "km 0", un phénomène qui représente environ 10 % du marché global. Citroën n'a pas voulu jouer ce jeu dangereux parce que c'est un peu les subprimes de l'automobile. On les paye deux fois, quand on les fait et quand on veut en sortir. Et justement, quand le marché a dû sortir des "km 0" en novembre, car il faut bien arrêter de faire n'importe quoi à un moment ou à un autre, on a vu que les marques qui travaillaient normalement et sainement s'en sortaient bon an mal an. Citroën a ainsi gagné un point net de pénétration en VP et pour d'autres raisons, atteint une pénétration historique en VU. Ceci dit, depuis trois mois, nous constatons tous une baisse de fréquentation dans les showrooms. Les clients sont de plus en plus inquiets et se posent des questions sur l'avenir. Ce n'était pas prévisible au mois de mars, mais personne n'avait alors prévu l'onde de choc qui frapperait les bourses en septembre, avec des valeurs du Cac 40 en chute libre de 30 % en un mois seulement. Ensuite, c'est l'effet domino sur la confiance des consommateurs et les comportements d'achat.
JA. Pratique des "km 0" ou non, jugez-vous la situation préoccupante en général ?
j-P. I. Oui, la situation est clairement préoccupante.
JA. Comment expliquez-vous la bonne résistance de Citroën sur le marché, alors que d'autres généralistes sont en bien plus mauvaise posture ?
j-P. I. Nous sommes bien installés dans le top 5 des constructeurs en Italie, les chiffres de l'UNRAI en font foi. Nos résultats satisfaisants sont en partie liés au dynamisme des équipes qui savent rester en effervescence et créer tous les mois quelque chose de nouveau. Mais la base de notre succès date de la C3, qui fait depuis 2003 une carrière impressionnante et a fondé une nouvelle image de marque. Par exemple, 50 % de nos clients sont des femmes. C'est exceptionnel. Et une grande majorité de nos acheteurs a aussi moins de 40 ans. A 73 %, ils disent que l'achat a été déclenché par ce qu'ils percevaient dans le style de la marque. Le style ne suffit pas, mais en Italie, il est essentiel de plaire. Au-delà de la C3, cela joue pour la C1, qui est en tête de son trio. C'est aussi valable pour le C4 Picasso qui, avec aujourd'hui 17 % des volumes sur le segment du M1, est un solide leader. Enfin que dire de la C5 (Ndlr : lancée en mai en berline et en août en StationWagon), qui n'avait pourtant pas la même audience qu'en France sur son segment bien entendu, et qui a dominé le segment M2 berlines à particuliers devant la Classe C et la Série 3 en octobre. Cela veut bien dire que ce modèle renforce encore le nouveau capital image de la marque. Elle est belle et vendue au prix juste, sans promos à tout va, mais avec un éventail large entre 25 000 et 35 000 e. Contrairement à certains de nos concurrents, il ne faut pas rajouter 15 000 e pour avoir une vraie belle berline… Du coup, nous pouvons ne pas parler de prix dans notre communication et le distributeur peut proposer son véhicule au client avant de parler de remise. Sur un marché italien assez gouverné par le cash, ça fait plaisir.
JA. Si vos performances à particuliers sont bonnes, vous êtes en retrait sur le marché des sociétés, comment comptez-vous rectifier le tir ?
j-P. I. C'est plus que jamais à l'ordre du jour, notamment avec la C5, sur un segment où 60 % des véhicules sont vendus à particuliers et 40 % aux flottes. Donc en 2009, nous devons nous développer impérativement sur le BtoB : flottes, entreprises, location longue durée sans buy-back ou avec buy-back bien étudié, car la valeur résiduelle du modèle est bonne, ce qui doit nous permettre de prendre des positions compétitives dans les 24 ou 36 prochains mois et d'avoir confiance sur le volet de l'occasion. C'est la priorité de cette année. Traditionnellement, c'est vrai que nous n'étions pas très présents sur le marché de l'entreprise au sens large, mais c'est là qu'est aujourd'hui notre plus fort potentiel de croissance. Bien sûr, on peut encore progresser sur d'autres segments à particuliers, et le C3 Picasso devrait le démontrer, mais notre plus gros potentiel est ailleurs.
JA. Un potentiel que vous avez déjà commencé à exploiter sur le VU : pour quels premiers résultats ?
j-P. I. Depuis deux ans, nous avons en effet commencé à travailler ce marché. Et aujourd'hui, nous affichons environ 7 % de pénétration. Sur un marché en recul de 4,75 % au cumul, on fait valoir une progression de 10 % en net, c'est-à-dire la meilleure augmentation du top 10 et la meilleure progression du marché. Nous avons formé 80 commerciaux à la vente de VU aux entreprises et cela porte ses fruits, d'autant que nous soutenons cet effort par de la communication, axée sur des éléments techniques. Par exemple, le premier Jumper avec une rétro-caméra à l'arrière.
JA. Quels segments visez-vous prioritairement sur ce marché des entreprises, sachant que les grands comptes sont historiquement la chasse gardée de Fiat ?
j-P. I. Nous comptons prospecter sur tous les segments car notre gamme nous le permet. Même sur les grands comptes, notamment via la C5 et sa version à moins de 140 g de CO2/km. Sur la LLD, où nous avons des partenariats étroits, Citroën intègre peu à peu les listes de propositions et nous menons aussi une démarche intense de prospection terrain au niveau des clients finaux. Donc, nous devrions forcément progresser. Enfin, le travail de proximité, auprès des PME et TPE fait partie de nos gènes et notre maillage, 180 concessionnaires et 730 points de représentation, est bon. En outre, l'effort sur le VU pour les petites sociétés doit aussi avoir un prolongement sur le VP à particuliers, car le chef d'une petite entreprise peut aussi être séduit par une C5 au-delà du VU qu'il a choisi, surtout avec nos offres de financement adaptées. D'autant plus que la Banque PSA Finance nous suit et obtient de très bonnes performances. Sur le mois de novembre par exemple, elle a réalisé plus de dossiers qu'en novembre 2007 ! Dans le contexte que nous évoquions, c'est le signe fort qu'ils sont très actifs et qu'ils ont des financements accessibles.
JA. Au chapitre du financement, il paraît que vous allez lancer une audacieuse offre packagée à particuliers : validez-vous cette indiscrétion ?
j-P. I. Oui. Avec C3 Picasso, nous allons lancer un concept packagé dont l'esprit est le suivant : si le client me fait l'honneur de venir dans un showroom et d'acheter un véhicule, il doit savoir qu'il n'aura aucun problème pendant 3, 4, voire 5 ans. Sachant que 50 % de nos clients sont des femmes, cela peut aller loin sous l'angle des services : si je crève sur l'autoroute, qui peut venir m'aider tout de suite ? Cela dépasse largement le contrat d'entretien et d'assistance classique. On étendra ensuite ce service au reste de la gamme.
JA. Etes-vous sûrs de répondre à une demande et ne craignez-vous pas plutôt d'en créer une ?
j-P. I. Quand les temps sont durs, vous avez trois solutions. Soit on fait des remises à gogo… Soit on étale le paiement sur 7 ans ou plus… Soit on réfléchit et on propose par exemple, pour x € par mois, un véhicule et un package de services. Pour un budget contrôlé, sans mille et une subtilités techniques ou contractuelles. Et si le client veut changer de voiture au bout d'un certain temps, pour un cash-out identique, il peut le faire avec un engagement du concessionnaire à reprendre le véhicule dans des conditions normales. C'est cette dernière voie, la plus pertinente, que nous allons emprunter et je vous assure que la demande est forte sur le marché.
JA. Quel est l'état de vos stocks et est-ce une source de préoccupation ?
j-P. I. A fin 2008, nos stocks étaient inférieurs de 10 000 voitures par rapport à fin 2007. 6 000 de moins dans le réseau et 4 000 de moins pour la filiale. En clair, cela signifie que le ratio de stock des concessionnaires ne s'est pas dégradé et par conséquent, le stock en volume est adapté à ce qu'on imagine être la prévision du mois de janvier. Je dis bien à ce qu'on imagine être, car si quelqu'un a des certitudes sur ce sujet, qu'il nous appelle ! Nous avons quelques petits problèmes de mix, mais c'est secondaire. De toutes les façons, les instructions de Christian Streiff sur ce dossier sont limpides : on ne joue pas avec ce genre de choses, car il en va de la survie du réseau et de la sauvegarde des vraies ventes. Si on charge en stock, on le fait sur des voitures couvertes par des contrats, car ce n'est même pas le stock en soi le plus important, mais bel et bien le turn-over.
JA. Quelles sont vos prévisions pour 2009 ? Tablez-vous sur un marché nettement en dessous des 2 millions d'unités comme certains de vos confrères ?
j-P. I. Sans nouvelle mesure d'incitation, le marché du VP peut même baisser jusqu'à 1 700 000 unités. Si les choses prennent un tour plus raisonnable, on se retrouvera dans une fourchette entre 1,9 et 2 millions. C'est cette fourchette que nous prenons comme base de travail. De toutes façons, l'objectif pour le réseau et Citroën est simple : un œil sur le guidon du vélo car tous les matins il faut se lever pour vendre des voitures et nous le ferons, et un œil sur la longue route car tout ce que nous traversons actuellement ne doit pas avoir d'impact sur le programme global d'enrichissement de notre plan produits, de développement de véhicules nouveaux centrés sur l'environnement et surtout, règle d'or, sur la qualité du service rendu au client final.
JA. Vous parlez d'incitation, qu'attendez-vous concrètement du gouvernement italien, voire de la Commission européenne ?
j-P. I. Si on veut jouer le double jeu de l'environnement et de la fluidification des marchés, il conviendrait d'élargir la prime à la casse aux véhicules Euro 2, ce qui ouvrirait un potentiel de 4 millions de voitures. Si on adaptait un système proche du bonus-malus, ce serait aussi porteur et permettrait de débloquer le business au jour le jour, en complément d'un investissement général et partagé pour l'accélération des développements des véhicules et des motorisations de demain. Voilà ce qu'on peut souhaiter, même si nous n'avons aucune certitude à l'heure actuelle…
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