Entretien avec Gorden Wagener, directeur du design Mercedes-Benz
Gorden Wagener. Nous avons effectivement apporté quelques retouches à notre organisation. Par exemple, je ne supervise pas uniquement les projets des trois marques, Mercedes-Benz, Smart et Maybach, mais je suis aussi en charge des volets VUL et VI. Par ailleurs, nous avons cherché à optimiser notre réseau de centres de design dans le monde, en renforçant les échanges depuis nos quartiers généraux en Allemagne. Les services "Stratégie" et l'unité de design avancé se sont aussi rapprochés, ce qui explique notamment le déménagement de notre studio d'Irvine. En fait, nous voulions parvenir à un meilleur dialogue global, car cela sert aussi l'émulation interne, dans la mesure où différents studios sont souvent mis en concurrence sur un même projet. Au final, entre notre réseau de studios et notre politique de recrutement des designers, nous pouvons désormais tirer le meilleur parti de la diversité et du cosmopolitisme. En outre, le travail est rationalisé : schématiquement, on peut dire que la moitié du temps est consacrée au design avancé et l'autre moitié au design dit de production.
JA. Sur cette base, comment voyez-vous l'avenir et quelle est aujourd'hui votre principale mission ?
g.w. Ma principale mission demeure bien entendu de maintenir Mercedes-Benz à l'avant-garde de la scène du design automobile ! Notre nouvelle organisation va dans ce sens et c'est dans cet esprit que nous avons mis l'accent sur les studios de style "Intérieur", car c'est aujourd'hui un élément essentiel pour les clients. Il faut d'ailleurs insister sur la complexité croissante de cette problématique dans l'automobile, car on a trop souvent tendance à la limiter aux seules couleurs et matières. Mais une nouvelle organisation ne fait pas tout et il faut savoir mettre la bonne personne au bon endroit. D'où nos efforts pour stimuler nos équipes et favoriser la mobilité interne.
JA. Plus concrètement, quel est selon vous l'ADN de Mercedes et quelles évolutions souhaitez-vous porter ?
g.w. Par rapport à notre image et à notre positionnement, toute évolution doit se faire dans la continuité. Notre histoire et nos valeurs classiques doivent être le terreau de nos innovations. En somme, il s'agit de raviver notre ADN pour en faire surgir le meilleur dans des expressions contemporaines. Le travail que nous faisons sur la face avant de nos derniers modèles en est une bonne illustration. Par ailleurs, sur certains segments, il faut aussi savoir faire preuve d'audace pour toujours garder un coup d'avance et je pense que dans cette optique, la CLS et le GLK sont des exercices aboutis qui font référence. D'une manière plus générale, nous sommes aussi face à un grand défi environnemental qui questionne le style avec acuité. Nous devons nous approprier de nouvelles valeurs et les transmettre aux clients. Blue Zero s'inscrit dans cette perspective : il traduit de façon expressive des avancées technologiques. On peut parler de voiture "bionique". On se rapproche des formes de la nature avec une interprétation au service de l'aérodynamique et de l'émotion. Au-delà de Blue Zero, c'est une tendance majeure que vous retrouverez sur tous nos modèles à venir, quel que soit leur positionnement dans la gamme. C'est aussi un challenge très excitant car il dispose d'un potentiel esthétique très riche.
JA. Pourtant, on ne retrouve pas encore ces valeurs sur la nouvelle Classe E, n'est-ce pas ?
g.w. On retrouve une partie de ces valeurs, mais elles ne sont pas mises en avant de la même façon, ce qui est logique vu la nature du modèle et son histoire. On ne peut évidemment pas choisir le même langage formel pour une voiture qui va être vendue tout de suite et pour un concept annonçant des applications de série. La nouvelle Classe E illustre par ailleurs ce que j'évoquais à l'instant, à savoir la naissance de la modernité dans l'ADN de la marque. Nous avons aussi beaucoup travaillé sur la face avant pour qu'elle renforce le sentiment de puissance dégagé par cette berline. L'innovation est très présente et c'est la forme qui révèle les fonctions. Au final, le véhicule se révèle très émotionnel, tout en restant fidèle à son statut et ancré dans une tradition d'innovations technologiques.
JA. Mercedes parle souvent de voiture mondiale à propos de la Classe E : qu'entendez-vous par là, sachant que ce concept est plus associé, dans l'esprit des gens, à des modèles plus accessibles, voire low-cost ?
g.w. Toutes les Mercedes sont des voitures mondiales dans le sens où nous ne faisons pas de régionalisme stylistique. Les valeurs de la marque peuvent être exprimées de façon mondiale, c'est notre job d'ailleurs ! A quoi cela correspond-il ? Mercedes représente dans le monde le luxe européen et l'irréprochable qualité "made in Germany". Dans tous les pays, c'est pour cela que les clients achètent Mercedes. En fait, c'est le propre du luxe, je parle bien entendu du luxe authentique et sans concessions. Dans un autre domaine, prenez l'exemple des incontournables de Louis Vuitton et vous comprendrez aussi. Cette valeur de luxe, nous la renouvelons sans cesse pour la magnifier, sur la nouvelle Classe E comme sur tous nos modèles.
JA. En termes de design, le concept de luxe a-t-il évolué avec la globalisation et l'émergence de nouveaux marchés comme la Russie ou la Chine par exemple ?
g.w. Le concept évolue forcément, mais il n'est pas question de table rase, loin de là. D'ailleurs, il est significatif de constater à quel point l'influence de l'Europe continue d'être forte dans ce domaine. Chanel, Dior, Vuitton, Mercedes etc. Et Mercedes conserve naturellement son statut, quelque chose d'un peu immuable grâce à une qualité excellente, à la tradition de l'innovation et de l'expressivité stylistique. Peut prétendre à être immuable ce qui sait se régénérer.
JA. La crise a-t-elle un impact direct sur votre activité et sur votre façon de concevoir votre travail ?
g.w. Même si nous la prenons en compte naturellement, ne serait-ce qu'au niveau industriel comme vous le savez, la crise n'a pas vraiment d'impact sur notre activité et sur notre stratégie de design à proprement parler. Cela a d'ailleurs trait à notre positionnement de marque de luxe. Paradoxalement, le luxe traverse mieux les crises que d'autres segments. Et sous l'effet de la globalisation, le périmètre du luxe a même tendance à s'agrandir. En outre, dans notre industrie, nous travaillons sur des cycles longs. Au-delà des ajustements commerciaux et marketing liés à la crise, au design, nous travaillons actuellement sur le cycle de l'après-crise. Enfin, même si la maîtrise des coûts est une indubitable réalité, Mercedes est un groupe financièrement sain et solide et nous n'avons donc pas de gros problèmes de budget. C'est la force du groupe et par conséquent, les investissements sur l'avenir, R&D ou design par exemple, ne sont pas remis en cause par la crise.
JA. Pour conclure, quels sont les principaux axes d'amélioration que vous comptez mettre en avant prochainement ?
g.w. Au-delà du vaste chantier des énergies alternatives et de leurs multiples implications, beaucoup de pistes de travail actuelles sont prometteuses. A court terme, si la silhouette générale des véhicules ne changera pas radicalement, des améliorations notables sont à attendre dans l'habitacle. Notamment via l'utilisation de nouveaux matériaux. C'est valable pour les segments de luxe, mais aussi pour des modèles plus accessibles de type Classe A et Classe B. Dans ce registre, la planche de bord du concept Blue Zero peut être assimilée à un indice, mais je n'en dis pas plus !!!
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