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En juillet 2002, la Commission européenne publie le nouveau règlement européen de distribution automobile. Celui-ci entre en vigueur le 1er octobre 2002, avec une période transitoire allant jusqu'au 1er octobre 2003. Pour organiser le passage entre les deux, certains constructeurs choisissent de résilier les contrats en cours avec un préavis d'un an pour le faire coïncider avec la période transitoire. C'est le cas, entre autres, de Peugeot et de DaimlerChrysler. Or, la durée normale du préavis est de deux ans et il ne peut être réduit de moitié "qu'en cas de nécessité de réorganiser l'ensemble ou une partie substantielle du réseau". Peu de temps après, la Commission précise d'ailleurs que "le simple changement de règlement ne justifie pas en soi une résiliation avec préavis d'un an" (JA du 27 septembre 2002).
Deux jugements contraires
Dans la plupart des cas d'ailleurs, à l'issue de ce préavis, les constructeurs ont proposé à leurs concessionnaires un nouveau contrat. Mais quelques-uns uns seront exclus de ce nouveau réseau. C'est le cas des concessions Peugeot, SA Ferret, et Mercedes,
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Indemnisé pour non examen de sa candidature
Le territoire de la concession Garage de Bretagne ayant été rattaché à la plaque gérée par le groupe Chabot, DaimlerChrysler France a refusé d'examiner la demande d'agrément de distribution VN que lui faisait le concessionnaire qu'elle venait de résilier. Pour justifier son refus, le constructeur invoque le critère de sélection quantitatif et affirme que le numerus clausus défini par un nombre de 154 points de vente était atteint. Ainsi alors qu'à Versailles, le Garage de Bretagne contestait la résiliation, à Saumur, le même Garage de Bretagne demandait à être réintégré au réseau de distribution VN. Une demande d'agrément forcé que le tribunal de Saumur a rejeté. Mais il a, en revanche, condamné DaimlerChrysler France pour n'avoir pas donné sa chance au Garage de Bretagne (qu'il venait de résilier). Le tribunal considère que "la SA Garage de Bretagne n'a pas été mise en situation de pouvoir équitablement faire valoir ses chances d'obtenir l'agrément", ce qui constitue une "faute délictuelle dont il convient qu'elle [DaimlerChrysler France] supporte des conséquences". Dans son jugement du 27 janvier 2004, le tribunal de commerce de Saumur a évalué le préjudice à 834 927 euros, correspondant selon ses calculs à une année de marge brute diminuée des frais variables. Par ailleurs, le Garage de Bretagne, satisfaisant aux critères de qualité au terme de l'audit, est devenu réparateur agréé Mercedes. |
Garage de Bretagne, qui toutes les deux vont contester la réalité de la réorganisation invoquée par leur concédant. Le premier jugement rendu, le 30 janvier dernier, par le tribunal de commerce de Paris valide la décision de Peugeot de résilier avec préavis d'un an la concession SA Ferry dans le cadre de l'application du nouveau règlement européen. Le tribunal remarque que la concession n'a pas saisi le tiers expert, comme le prévoit le contrat, pour contester la réalité de la réorganisation invoquée par Peugeot. Le tribunal remarque que Peugeot
"a mis en place un réseau de distribution sélective à la place du réseau de concession exclusif, ce qui implique la mise en place d'une sélection quantitative" et que le concédant n'a fait
"qu'exercer sa liberté de choix". A Versailles, en revanche, le tribunal de commerce a lourdement sanctionné DaimlerChrysler France, estimant que ce préavis a été utilisé de façon abusive, hors restructuration de réseau. Ce jugement se base en particulier sur des déclarations faites par Reinhard Lyhs dans une interview à "L'argus de l'automobile", le 17 octobre 2002 (un mois après la résiliation de la concession Mercedes Garage de Bretagne) et notamment sur l'extrait suivant repris par le tribunal :
"En France, depuis 2000, sans attendre la publication du nouveau règlement européen, DaimlerChrysler a entrepris de restructurer ses réseaux. L'essentiel de cette réorganisation est aujourd'hui achevé. La mise en conformité des contrats ne sera donc pas un prétexte pour éliminer des opérateurs. (…) En janvier 2000, nous avons lancé le projet de plaques territoriales et, pendant deux ans, nous avons procédé à une grande restructuration." A cette époque, le Garage de Bretagne est concerné par cette restructuration et, entre mars et juin 2001, DaimlerChrysler incite Jean Crochet à céder son affaire au groupe Chabot (Saga) désigné comme repreneur de cette plaque territoriale (département 85). Au vu de cette négociation avortée et des déclarations du président de DaimlerChrysler France, le tribunal déduit que la réorganisation était achevée à la date de la résiliation du Garage de Bretagne. Et c'est en juin 2001 que le contrat pouvait être résilié avec préavis d'un an, dit le jugement. En septembre 2002, le concédant ne pouvait plus se prévaloir de la restructuration pour résilier le concessionnaire avec un an de préavis, analyse le tribunal. Pour indemniser l'année de préavis qui manque, le tribunal prend comme base la marge brute et applique un pourcentage de 55 % pour retenir le montant lié à l'activité VN. Ce calcul fait sur la moyenne des trois dernières années d'activité (2000, 2001 et 2002) aboutit à la somme de 1 192 753 euros. Le tribunal a ordonné l'exécution provisoire de cette condamnation, moyennant une caution bancaire de 800 000 euros de la part du Garage de Bretagne. Avocat de DaimlerChrysler France, Joseph Vogel remarque que
"les déclarations du président de DaimlerChrysler France sont postérieures à la résiliation du Garage de Bretagne et que cette résiliation s'inscrit à la fin d'une période de réorganisation du réseau qui s'est étalée sur plusieurs années". Ainsi, poursuit-il,
"le tribunal de commerce de Versailles n'explique pas les raisons qui feraient que la société DaimlerChrysler France aurait perdu subitement toute possibilité de résilier le contrat avec préavis d'un an à compter de septembre 2002 alors qu'il estime qu'elle pouvait le faire en juin 2001". Pour Maître Vogel, ce jugement,
"fragile et contestable, ne fait pas une jurisprudence". Avocat du concessionnaire, Renaud Bertin considère que ce jugement sera sans aucun doute confirmé en appel :
"Pour ma part, je suis relativement confiant. Je trouve que le jugement du tribunal de commerce de Versailles est extrêmement bien motivé. Il est clair qu'il a toutes les chances de résister à l'obstacle de l'appel." De nombreuses procédures ayant été engagées, d'autres tribunaux de commerce seront amenés à se prononcer. De quoi affiner les analyses contradictoires énoncées par ces deux premiers jugements.
Florence Lagarde
Questions à
Renaud Bertin : avocat du Garage de Bretagne.
L'alternative : résiliation à un an et paiement d'une indemnité
Le Journal de l'Automobile Dans une affaire Peugeot, le tribunal de commerce de Paris reconnaît que la résiliation avec un an de préavis est légitime, alors que le tribunal de commerce de Versailles ne le reconnaît pas. Quelle est la différence ? Renaud Bertin La différence essentielle est que le tribunal de commerce de Paris n'a pas statué sur la résiliation. Au terme d'une appréciation manifestement erronée, il a considéré que le concessionnaire aurait dû préalablement saisir le tiers arbitre qui est le seul maître du contrôle de la licéité des résiliations avec préavis d'un an. On ne peut donc pas dire qu'il existe une décision en sens contraire. Le tribunal de commerce de Paris a débouté le concessionnaire en lui reprochant au préalable de ne pas avoir saisi le tiers arbitre et en s'estimant incompétent pour statuer lui-même. C'est une appréciation gravement erronée.
JA Il existe un autre cas en Allemagne, où un concessionnaire a perdu face à Peugeot devant le tribunal de Sarrebruck dans des circonstances similaires. Comment expliquez-vous cette divergence ? RB A chaque procès de ce type, le juge se doit d'apprécier si, entre la notification de la résiliation et la fin du préavis, il y a eu des modifications dans la composition du réseau qui seraient susceptibles de constituer la preuve d'une réorganisation substantielle. Le tribunal de Sarrebruck retient que la restructuration du réseau Peugeot en Allemagne n'était pas terminée au moment de la résiliation. Le concessionnaire le reconnaissait lui-même dans ses propres conclusions.
JA Sur la notion de réorganisation du réseau, l'appréciation du tribunal de commerce est discutable. Il considère que la réorganisation avait lieu en 2001, qu'à l'époque le concédant pouvait résilier avec préavis d'un an, mais qu'un an plus tard, la réorganisation n'est plus un argument valable. Est-ce que l'on ne peut pas considérer qu'elle s'est étalée sur deux ans ? RB Il est clair que si l'on ne met pas de bornes à ce genre d'appréciation, la nouvelle société qui représente Rover aujourd'hui va encore pouvoir virer des concessionnaires au titre de l'ancienne restructuration d'il y a trois ou quatre ans. Il est bien évident que la résiliation des concessionnaires DaimlerChrysler France et l'existence d'une réorganisation doivent s'apprécier au moment où est notifiée la résiliation, et il ne s'agit pas de savoir si ce concessionnaire est l'ultime que l'on va résilier en vertu d'une ancienne restructuration.
JA Là, il y avait une borne réelle avec l'entrée en vigueur d'un nouveau règlement. DaimlerChrysler a attendu le dernier moment en considérant qu'il pourrait se prévaloir de l'entrée en vigueur de nouvelles dispositions pour réorganiser une dernière fois son réseau ? RB Les magistrats versaillais disposaient d'un document de DaimlerChrysler France qui est l'état de son réseau et les évolutions enregistrées au 1er octobre 2003. Dans le réseau VP, deux concessionnaires disparaissent, un ouvre. Trois points de vente sur un total de 154, cela ne fait pas une réorganisation substantielle du réseau.
JA Est-ce que la problématique pour les constructeurs n'était pas de faire coïncider l'entrée en vigueur du nouveau règlement avec la fin des préavis ? RB Les constructeurs se sont retrouvés confrontés à une réelle difficulté. Rien n'empêchait, au 30 septembre 2001, en pariant sur le fait qu'il y aurait une période transitoire, de résilier à deux ans. Mais il y avait une alternative qui était la résiliation à un an pour faire coïncider le calendrier de la résiliation avec la fin de la période transitoire d'une année et le paiement d'une indemnité conventionnelle qui se négociait avec les concessionnaires ou les groupements de concessionnaires pour indemniser la perte de la deuxième année. |
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Allemagne et Pays-Bas valident la réorganisation
Deux autres pays d'Europe se sont également prononcés sur ce type de résiliation. L'Allemagne dans des affaires Seat à Francfort et Peugeot à Sarrebruck. Dans ces deux cas, les juges ont validé la résiliation avec préavis d'un an pour réorganisation. La Hollande dans une affaire Peugeot devant la cour d'appel d'Amsterdam a également validé une résiliation de ce type. |
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