Christian Klingler élu Homme de l’Année 2011 !
Qui, pour succéder à Vincent Besson, directeur de la stratégie produits et marchés de PSA Peugeot Citroën, au palmarès de l’Homme de l’Année ? Au cours de deux sessions de délibérations, les membres du jury ont exploré plusieurs voies, la plupart ne s’inscrivant pas dans la veine “tricolore” de l’année dernière. Et pour cause, les constructeurs français ont plutôt été à la peine, PSA annonçant notamment un plan de restructuration qui a du mal à cacher son ancienne appellation de plan de licenciement et Renault défrayant la chronique dans le registre du roman de gare d’espionnage, avec un plan produits toujours au point mort en toile de fond. Cependant, Gérard Detourbet est mis en avant par plusieurs membres du jury : “A la tête de la gamme Entry de Renault, et désormais de l’Alliance, il a su assurer le succès commercial des modèles concernés. Cette gamme est même le pilier de Renault aujourd’hui. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les modèles de Dacia, fiables et accessibles au plus grand nombre, représentent 30 % des ventes Renault et que ces ventes sont rentables. Nous pourrions donc récompenser une prise de risque initiale et un succès, succès qui correspond de surcroît à l’ADN de Renault, qui reste, n’en déplaise à certains, une marque historiquement populaire.” Mais un autre membre du jury ne l’entend pas de cette oreille : “Gérard Detourbet, c’est vraiment le symbole de la délocalisation ! Sans revenir sur la Roumanie, regardez Tanger ! (N.D.L.R. : les délibérations ont eu lieu avant la polémique qui a suivi l’inauguration du site de Tanger)”. Régulièrement nominé ces dernières années, Gérard Detourbet ne sera une nouvelle fois pas élu, même s’il obtient encore des voix lors du vote.
Les dirigeants des équipementiers ont le vent en poupe
Parmi les Français, ce sont davantage les dirigeants d’équipementiers qui sont mis en avant cette année. Laurent Burelle est ainsi soutenu par un membre du jury : “Si les résultats de Plastic Omnium sont bons depuis plusieurs années, en 2011, ils ont véritablement atteint un niveau record. Le cours de Bourse se situe aussi à un niveau élevé, ce qui n’est pas forcément très répandu dans le secteur automobile. Par ailleurs, cela permettrait aussi de récompenser une démarche environnementale affirmée et qui ne date pas d’hier, à savoir qu’elle n’a pas été mise en œuvre sous la contrainte comme chez d’autres. Enfin, Laurent Burelle est un homme très sympathique et accessible. Son groupe est à son image, sa force et sa croissance n’occultant pas sa spécificité familiale.” Le succès de Faurecia ne laisse pas non plus indifférent et Yann Delabrière, son président, est donc naturellement cité : “Le groupe a su se repositionner et a réussi à prendre le virage international à temps, ce qui n’était pas gagné d’avance si on se retourne quelques années en arrière. Sa dépendance aux constructeurs français n’est plus aussi problématique qu’auparavant et c’est même le groupe Volkswagen qui est aujourd’hui son premier client. En outre, la réussite est au rendez-vous et Faurecia est désormais l’un des tout premiers contributeurs de PSA.” Toujours au chapitre des équipementiers, Jacques Aschenbroich est proposé pour avoir su “réorganiser Valeo autour de ses points forts et prendre la juste mesure de la mondialisation”. Au même titre que Franz Fehrenbach, qui “continue de porter Bosch vers les sommets et qui a montré que son pari du maintien de l’emploi pendant la crise était le bon, car le groupe n’a pas perdu de temps ni d’agilité à cause de réajustements”. Toutefois, les patrons d’équipementiers peinent à susciter l’adhésion massive du jury, “sans doute parce que ce secteur est moins “glamour” et que la dimension du produit fini manque pour créer l’étincelle”, note l’un de ses membres.
Sébastien Loeb toujours au sommet
Cette étincelle, cette faculté à générer de l’empathie et de l’enthousiasme sont en revanche l’apanage des pilotes, Sébastien Loeb en tête. Même s’il fut déjà élu, ce qui fait dire à un membre du jury, “nous avions pris un risque en le distinguant si vite, mais nous avions eu le nez creux”, le roi du WRC est encore incontournable aux yeux de plusieurs membres du jury. “Non seulement son palmarès est unique dans l’histoire du WRC, mais il l’est désormais, avec ce huitième titre, dans l’histoire du sport automobile. Je pense d’ailleurs que ces huit titres consécutifs sont uniques dans l’histoire du sport contemporain en général”, s’enthousiasme un membre du jury avant de renchérir : “On a déjà tout dit sur le pilote et je n’ajouterai pas de nouveaux superlatifs. Mais on peut insister sur sa fidélité à Citroën, malgré le pont d’or de Volkswagen. Une fidélité qui est aussi la clé du duo qu’il forme avec Daniel Elena. C’est d’ailleurs ce duo qu’il faut distinguer. Ils ont de grandes qualités humaines, ce qui n’est pas toujours le cas dans ce milieu et Sébastien Loeb est d’ailleurs l’un des sportifs préférés des Français.” Des spéciales accidentées à l’asphalte immaculé des circuits de F1, il n’y a qu’un pas que franchissent allégrement des membres du jury. Pour évoquer Sébastien Vettel, lui aussi promis à l’histoire avec un grand H du sport automobile. Mais aussi Adrian Newey, loué pour sa gentillesse et son palmarès qui n’en finit plus de s’étoffer, ou Rob White, homme de l’ombre qui fait des moteurs Renault F1 le blockbuster des classements de GP. Pour un membre du jury, “récompenser une personnalité sportive permettrait en outre d’échapper à la crise, qui a fait office de fil rouge morose à l’année 2011”.
Quel monument pour “l’ouvrier inconnu” de l’automobile ?
Une considération qui ne fait pas l’unanimité, et un membre du jury assène alors : “Il ne s’agit pas d’échapper à la crise par une pirouette. La crise est précisément devenue la toile de fond de l’industrie automobile et, plutôt que de rechercher une esquive, il me semble plus opportun de distinguer ceux qui parviennent à s’en sortir dans ce contexte ou ceux qui réussissent malgré la crise.” Un autre membre du jury ouvre alors une brèche, dans une veine sociale qui caractérise le quotidien de l’industrie automobile. “Dans le débat public, en lien avec les préoccupations premières des sociétés civiles, c’est bien la crise qui prédomine. Avec son cortège de licenciements, de menaces de licenciements, de chantages, d’inquiétudes, d’attaques sur les conditions de travail et les rémunérations, de délocalisations, etc.”, lance-t-il, avant de poursuivre : “Dès lors, à mon sens, l’Homme de l’Année automobile ne peut être qu’un employé d’une usine. Ces ouvriers invisibles dont on ne parle plus que sur un mode impersonnel, alors que ce sont bel et bien eux qui fabriquent les voitures, les plus ordinaires comme celles qui font rêver. Ces ouvriers invisibles que l’on compare avec la productivité et l’argent comme unités de mesure, ces ouvriers que l’on met au chômage technique, que l’on délocalise…” Une proposition qui remporte l’adhésion d’une partie du jury. “C’est vrai qu’il s’agit du fait de l’année écoulée. Reste à savoir comment on incarne ce fait… Choisir un ouvrier au hasard me paraît trop arbitraire, voire dangereux. Il faut s’en tenir au symbole”, déclare l’un d’eux, immédiatement relayé par un autre : “C’est pertinent, mais effectivement délicat. On peut vite nous reprocher une forme de populisme…” Ce qui entraîne une autre réaction : “Ce n’est pas populiste, nous sommes dans notre rôle légitime d’observateur et de décrypteur de notre écosystème. Il s’agit simplement de ne pas en faire un parti pris politique partisan. Après tout, le Times a bien élu “les indignés” comme homme de l’année, en hommage à tous les anonymes qui ont permis les soulèvements dans le monde en général, et lors des Printemps arabes en particulier.” Néanmoins, la proposition provoque aussi l’ire d’une autre partie du jury. Aux lapidaires “ce n’est pas à propos”, “n’importe quoi”, “on s’égare !” succède cette charge : “Nous ne sommes vraiment plus à notre place dans cette hypothèse… C’est effectivement du populisme, mais pis encore, du populisme de comptoir ! C’est la solution de facilité, l’arbitraire érigé en symbole, ça n’a pas de sens.”
Sergio Marchionne et Vincent Bolloré déchaînent des passions… contraires !
Comme lors de la séquence politique dans les repas de famille, les débats s’échauffent gaiement. Et “l’ouvrier anonyme” n’est pas le seul à s’avérer clivant. Dans un registre beaucoup plus CAC 40, Sergio Marchionne, déjà élu par le passé alors qu’il n’était que le patron de Fiat, crée aussi la polémique. Pour les uns, en dépit des difficultés de Fiat, “il est en train de gagner son pari avec Chrysler, un pari qu’on peut juger risqué, mais qui ne lui a pas coûté bien cher d’un point de vue financier. C’est à saluer, d’autant plus qu’il a remis Chrysler dans le sens de la marche en un temps record”. D’autres sont bien moins convaincus par celui que Gilles Michel surnommait avec malice “le joueur de poker” : “Nous l’avons déjà distingué pour avoir sauvé Fiat, avec la belle manœuvre du put vis-à-vis de GM. Mais pour Chrysler, cela me paraît bien trop prématuré. En fait, il profite pour l’heure essentiellement du rebond du marché américain. En outre, nous n’avons pas encore vu grand-chose en termes de produits, que ce soit chez Chrysler ou au sein du groupe Fiat.” Un membre du jury souligne d’ailleurs que, s’il s’agit de récompenser le sauveur de Chrysler, “c’est Steve Rattner qu’il faut honorer, car c’est bien lui qui a piloté la task-force de l’administration Obama dédiée au sauvetage des constructeurs nationaux”. C’est ensuite Vincent Bolloré qui suscite des réactions contrastées. Un membre du jury estime que “Vincent Bolloré apporte des contributions à l’automobile et à la mobilité qui pourraient faire date. On pense bien sûr à Autolib’, mais aussi au pari qu’il a pris sur les batteries et sur une technologie précise. Un pari qu’il a pris il y a plusieurs années, ce qui en fait aussi un pionnier”. Mais pour un autre, “Autolib’ incarne le parti de ceux qui veulent tuer la voiture. D’ailleurs, même si on a beau jeu de dire que c’est le concept et le système global qui comptent, c’est impardonnable d’avoir manqué la voiture à ce point. Quant à son choix de batterie, si aucun grand industriel ne s’est engagé dans cette voie, c’est tout de même qu’il est sujet à caution…” Vincent Bolloré a encore trop de détracteurs féroces pour s’imposer lors du vote final. Ce ne sont pas des détracteurs féroces, mais des sceptiques qui coupent aussi l’herbe sous le pied de Dan Akerson, malgré la figure du Phénix exécutée par GM et la success-story de Chevrolet.
L’attraction premium
Dès lors, le jury se retourne vers des valeurs sûres. La piste Hyundai-Kia est fréquemment mise en avant, mais on est bien en peine de trouver la figure opérationnelle qui incarne cette réussite, car le président Chung Mong-koo apparaît trop lointain. Si le groupe Toyota n’a pas connu une année faste, l’itinéraire de Didier Leroy est salué par certains membres du jury, soulignant “les grandes qualités d’un homme de l’ombre très sympathique”, mais les stricts résultats de l’exercice écoulé interdisent un plus large consensus. Irrémédiablement, arrive alors l’heure du premium allemand. Un membre du jury joue la carte de Norbert Reithofer : “Les résultats du groupe BMW sont excellents et la marque BMW a réussi à conquérir le sommet du segment premium aux Etats-Unis. Comme leur slogan l’indique, leurs voitures sont vraiment un bonheur à conduire et elles jouent désormais une partition environnementale très douce. En outre, tout leur réussit, y compris la compétition automobile.” Un autre membre du jury bascule alors du côté d’Audi, mettant là aussi en exergue que “tout ce que touche la marque en ce moment se transforme en or, à l’image de la première année pleine de l’A1 par exemple”. Mais Rupert Stadler manque d’aspérités aux yeux de certains membres du jury qui soulignent de surcroît que c’est tout le groupe qu’il convient de récompenser car le succès est loin de se limiter à Audi, même si les performances de cette marque sont remarquables.
Christian Klingler avec la force de l’évidence
Le fait que Martin Winterkorn ait été récemment élu ne pose pas de problème car le nom de Christian Klingler, avancé par un membre du jury, retient immédiatement l’attention. Depuis 2010, Christian Klingler est membre du directoire de Volkswagen AG et responsable des ventes et du marketing du groupe, c’est-à-dire qu’il supervise l’activité mondiale de toutes les marques. Avec le succès que l’on connaît et qui a notamment fait de Volkswagen le deuxième groupe mondial en termes de volume en 2011. A une encablure de GM, mais le groupe allemand est nettement plus performant sous l’angle de la rentabilité. Christian Klingler est l’une des pièces essentielles du Plan 2018 qui doit conduire Volkswagen sur les cimaises de l’industrie automobile. Vu la cadence du groupe, cela pourrait même très vraisemblablement intervenir avant cette date. L’homme a la confiance et l’oreille de Martin Winterkorn, mais aussi de Ferdinand Piëch. Il a notamment gagné sa place en contribuant très largement à la constitution de l’empire PGA dans le périmètre de la distribution. D’ailleurs, même s’il y a vécu et travaillé, Christian Klingler reste relativement méconnu en France. Sa discrétion n’y est pas étrangère. En effet, l’homme préfère la concision et la précision au décorum latin. A écouter ceux qui l’ont côtoyé, Christian Klingler se caractérise ainsi : “Au-delà de son immense capacité de travail, il fait valoir trois qualités précieuses : une rigueur irréprochable, une capacité d’analyse pluridimensionnelle qui lui permet d’avoir une vision à court, moyen et long terme, et surtout, une grande aptitude à la gouvernance. C’est un manager-né.” Ses compétences sont d’ailleurs aussi multiples que polyvalentes. Nous aurons l’occasion d’y revenir dans le numéro qui lui sera consacré car, vous l’avez compris, Christian Klingler a été élu Homme de l’Année par le jury. Devant Sébastien Loeb et “l’ouvrier anonyme”. Pour conclure, relevons un fait marquant de cette élection : Christian Klingler est l’un des plus jeunes, si ce n’est le plus jeune dans le cercle des capitaines d’industrie, du palmarès de l’Homme de l’Année. En effet, même si son niveau de responsabilités est déjà très élevé, c’est un quadra que nous distinguons, né en 1968 en Autriche, à Innsbruck.
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FOCUS - Le palmarès
• FALCONNET Georges, Citroën 1981
• DELEAN Alain, Ford - Jacques GYSSELS, VAG - Maurice KNIEBIHLER, Opel - Jean LUC, BMW 1982
• BOILLOT Jean, Peugeot 1983
• CARSTEDT Göran, Volvo 1984
• KNIEBIHLER Maurice, Opel-GM 1985
• WEETS Claude, Fiat Auto France 1986
• GUEDON Philippe, Matra 1987
• PERONNIN Jean, Sogedac Peugeot 1988
• MICHELIN François, Michelin 1989
• RICHIER Pierre, Bertrand Faure 1990
• MENARD Luc-Alexandre, Renault Allemagne 1991
• DUDOT Bernard, Renault Sport 1992
• CASTAING François, Chrysler 1993
• EPRON Luc, Citroën 1994
• CANTARELLA Paolo, Fiat 1995
• WERNER Helmut, Mercedes-Benz 1996
• GOUTARD Noël, Valeo 1997
• SCHWEITZER Louis, Renault 1998
• DE GUIBERT Bruno, Peugeot 1999
• TODT Jean, Ferrari 2000
• GHOSN Carlos, Nissan 2001
• FOLZ Jean-Martin, PSA Peugeot Citroën 2002
• CHO Fujio, Toyota 2003
• DOUIN Georges, Renault 2004
• LOEB Sébastien, Citroën Sport 2005
• MARCHIONNE Sergio, Fiat 2006
• PLOUE Jean-Pierre, Citroën 2007
• WINTERKORN Martin, Volkswagen AG 2008
• FILLON François, Premier Ministre de la France 2009
• BESSON Vincent, PSA Peugeot Citroën 2010
• KLINGLER Christian, Volkswagen AG 2011
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FOCUS - Les membres du Jury
• Astagneau Denis, France Inter
• Barbe Stéphane, L’Equipe
• Bazizin Luc, France 2
• Bellu Serge, Automobiles Classiques
• Bolle Héloïse, Challenges
• Botella Jean, Capital
• Boulanger Pascal, TF1/LCI
• Bourroux Christophe, RTL
• Calvez Laurent, France 3
• Chapatte Dominique, M6
• Chevalier Jacques, free lance
• David Christian, L’Expansion
• David Marc, free lance
• Fillon Laure, AFP
• Fréour Cédric, Les Echos
• Frost Laurence, Thomson Reuters
• Gallard Philippe, free lance
• Gay Bertrand, AutostratInternational
• Genet Jean-Pierre, L’Argus
• Genet Philippe, La Revue du Vin de France
• Grenapin Stanislas, Europe 1 / M6
• Le Goff-Bernis Héloïse, Auto Infos
• Jouany Félicien, free lance
• Lagarde Jean-Pierre, free lance
• Macchia Jean-Rémy, France Info
• Marmet Jérôme, Investir/JDF
• Meunier Stéphane, L’Automobile Magazine
• Normand Jean-Michel, Le Monde/Le Monde 2
• Pennec Pascal, Auto Plus
• Péretié Olivier, Le Nouvel Observateur
• Robert Lionel, free lance
• Roubaudi Renaud, free lance
• Roy Frédéric, CB News
• Roy Jean-Luc, Motors TV
• Verdevoye Alain-Gabriel, La Tribune
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