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"Tout l’art du management consiste à identifier les bons projets de R&D et à les canaliser à travers une organisation structurée"

Publié le 2 mai 2011

Par Frédéric Richard
9 min de lecture
Docteur Thomas Weber, membre du directoire de Daimler AG en charge de la recherche du groupe et responsable Dévloppement de Mercedes-Benz Cars - Avec une double casquette tournée vers la R&D d’une part et la direction du groupe d’autre part, Thomas Weber est idéalement placé pour faire le point sur la stratégie de Mercedes quant aux innovations futures, et le rapport entre leur développement et le bénéfice qu’elles apporteront.

Journal de l’Automobile. En 2020, quel sera le poids d’une classe E et son niveau d’émissions ?
DOCTEUR THOMAS WEBER.
Elle pèsera probablement 200 kg de moins, et émettra moins de 100 g de CO2, c’est une certitude. On y travaille déjà, car la prochaine génération de classe E, prévue pour 2016, vivra jusqu’en 2020. Une classe E pèse aujourd’hui 1 700 kg. Si je veux réduire sa masse de 200 kg, alléger la caisse brute ne suffira pas. Chaque pièce devra fondre en moyenne de 15 %.

JA. A terme, comment estimez-vous la part des motorisations électriques à pile à combustible ?
Dr. TW.
Il faut prendre un peu de recul pour établir le mix des différentes propulsions à long terme. Si notre carnet de route vise trois axes (moteurs à combustion interne de haute technologie, hybrides et, bien sûr, voitures électriques à zéro émission), c’est justement qu’il apparaît difficile de se projeter. D’ici 2020 par exemple, de nombreux facteurs peuvent influer sur les scénarii possibles. Quel sera le prix du pétrole ? 100, 200, 300 dollars le baril ? Nul ne peut le prédire et, pourtant c’est un facteur clé pour le développement des alternatives aux énergies fossiles, puisque, plus le pétrole sera cher, plus les motorisations différentes se développeront rapidement.

JA. Quel est votre avis concernant le niveau d’acceptation de ces évolutions par le grand public ?
Dr. TW.
Le plus important pour le développement des volumes de véhicules alternatifs, est de justifier leur pertinence par rapport à un véhicule thermique. Tant que l’on pourra rouler 800 km avec un plein, sur une classe C qui n’émet que 117 g de CO2 par km, cela ralentira considérablement le développement de l’électromobilité, car il sera très compliqué de convaincre un client des bénéfices de l’électrique.

Néanmoins, chez Mercedes, nous avons développé un concept modulaire, le Blue Zero, sur la base de la Classe B. Il s’agit d’un modèle électrique qui fonctionne sur batterie pour la ville, avec une autonomie de 200 km. Mais cette Classe B intègre également un réservoir d’hydrogène, pour permettre une utilisation plus large, hors des villes.

JA. Que vous inspire Better place ?
Dr. TW.
Il y a 20 ans, nous étions les premiers à concevoir un système de remplacement de batterie. C’était un premier pas vers l’électromobilité. On a arrêté parce que les batteries étaient trop “hasardeuses”. C’était d’ailleurs la raison pour laquelle il nous fallait proposer leur remplacement ! Le problème principal du système aujourd’hui, c’est que, même sur une Smart, la batterie est très volumineuse et pèse près de 250 kg. Et d’autre part, il n’y a pas d’encombrement standardisé entre les constructeurs. Enfin, les batteries se modernisent à un rythme très élevé. La première génération date de 2007, la seconde de 2009, on attend la troisième pour 2012, et 2014 verra l’arrivée de notre modèle partagé avec Renault… Si les pouvoirs publics veulent mettre en place un système de remplacement, cela posera le problème des stocks importants de batteries différentes dans les centres. Même si l’on peut imaginer de standardiser l’encombrement et l’emplacement, on n’arrête pas l’évolution technologique…

Avec Renault, nous travaillons sur une batterie de nouvelle génération, qui devrait sortir en 2014.
Mais, si nous disposons d’une architecture partagée, il n’en va pas de même pour PSA, BMW… Ce sont donc les limites que m’inspire Better Place. Cela peut marcher avec une seule société de véhicule électrique, mais techniquement, c’est un modèle limité à mon sens.
Je pense donc qu’au final, les recherches les plus intéressantes vont continuer de s’orienter vers une charge de plus en plus rapide.

JA. Qu’est-ce que Mercedes craint quant à la dégradation prématurée des batteries ?
Dr. TW.
Sur les téléphones portables par exemple, les batteries lithium ion sont conçues pour une durée de vie de deux ans maximum. Les applications automobiles nécessitent beaucoup plus de puissance et de durabilité. Ce qui se dégrade, c’est la chimie de la batterie. Dans une batterie automobile, les électrons bougent sans cesse, le matériau vieillit. Nous ne connaissons pas encore toutes les interactions en détail mais nous progressons. C’est la raison pour laquelle nous avons notre propre usine de fabrication de batteries en plus d’avoir signé des partenariats avec un spécialiste de la chimie, Evonik, pour nous assurer d’être toujours à la pointe du savoir-faire dans le domaine. C’est la clé de la mobilité du futur.
La combinaison de matériaux et le refroidissement de la batterie sont les points clés les plus difficiles à maîtriser. Nous devons gérer la chute de capacité de la batterie dans le temps, dans les conditions d’utilisation et de cyclage les plus éprouvants. Nous recherchons à présenter une durée de vie de 10 ans au minimum. Sans ces performances, il n’y a aucune chance que l’électrique ne s’impose sur le thermique.

JA. Avez-vous des craintes quant à l’approvisionnement futur des matériaux précieux qui constituent les batteries ?
Dr. TW.
Sur le lithium et autres terres rares, il est exact que les prix flambent, leur approvisionnement futur suscite donc des interrogations. Mais je crois que c’est avant tout le fait de spéculations financières. Par ailleurs, le besoin ne va pas exploser d’un coup, dans l’automobile. Nous avons le temps de travailler sur des alternatives…

JA. Les normes environnementales imposent des développements de plus en plus poussés sur les motorisations actuelles. Jusqu’à quand ces investissements en R&D seront-ils acceptables pour le client ?
Dr. TW.
C’est une question difficile. Je pense qu’on va bientôt y arriver. Chez Daimler, 50 % des investissements vont dans les technologies dites vertes. Entre Euro 4, 5, 6 et probablement 7 un jour, le travail est toujours de plus en plus important, pour des améliorations de moins en moins quantifiables. Je pense qu’il faudrait un grand débat entre industriels et instances européennes, afin de déterminer s’il est intelligent et pertinent d’introduire des normes aussi contraignantes en Europe, quand la Chine et l’Inde sont encore à un niveau Euro 3…

JA. Le marché européen va-t-il se retourner vers l’essence, compte tenu du coût des moteurs Diesel qui va encore augmenter avec la dépollution due à Euro 6 ?
Dr. TW.
Bien entendu, Euro 6 va rendre la tâche beaucoup plus difficile aux Diesels. Mais nous pensons que nos Diesels seront compatibles, grâce à notre technologie BlueTec.
Là encore, il s’agit d’une histoire de compromis, car sans le moteur Diesel, il sera compliqué de tenir nos objectifs de consommation et d’émissions. En matière de CO2, l’Europe a le leadership, justement parce que notre parc présente plus de 50 % de Diesel.

JA. Mais sur les petits moteurs Diesel, qui vont dans des véhicules à faible coût, ces technologies de dépollution sont trop coûteuses ?
Dr. TW.
Sur les petits moteurs, en effet, avec les normes de plus en plus sévères, la renaissance de l’essence est probable. Mais je répète que les émissions de CO2 en pâtiront. Chez Mercedes, notre vision du problème prend la forme du taux de compression variable, le concept Diesotto. Nous pensons qu’avec cette architecture, un moteur essence peut être aussi performant qu’un Diesel en termes d’émissions de CO2. Nous progressons et préparons actuellement le lancement en série de cette technologie.

JA. Chez Mercedes, la R&D est-elle toujours une passion d’ingénieur, ou bien les impératifs de coût et les volontés stratégiques freinent-elles les velléités d’entreprendre de vos meilleures recrues ?
Dr. TW.
Sans stratégie de groupe, sans une sensibilité aux coûts, rien ne peut fonctionner. Mais la recherche a aussi besoin de latitude, pour avancer. Notre chance, c’est qu’on nous autorise à essayer, chez Mercedes. Je refuse que mes équipes se cantonnent à des sujets sur lesquels l’issue sera, à coup sûr, une réussite… Les projets fonctionnent sur le principe de l’entonnoir. Au départ, les idées suivent un processus très créatif, les équipes travaillent tous azimuts, puis on évalue le potentiel de telle ou telle idée, et, seulement après, on laisse le temps aux ingénieurs de faire mûrir leur projet. In fine, le directoire est consulté, pour valider si une technologie doit être appliquée.
A ce stade, il est possible de voir un projet avorter, comme ce fut le cas pour la technologie de levée électromagnétique de soupapes, par exemple. Nous étions très avancés sur le sujet, le système fonctionnait, mais nous avons finalement estimé que ce serait trop lourd à industrialiser, et que le risque s’avérait trop grand par rapport au bénéfice client. Les travaux se sont donc arrêtés, très tard. Tout l’art du management consiste à identifier les bons projets et à les canaliser à travers une organisation structurée.

JA. 125 ans d’innovations chez Mercedes… Lesquelles vous ont particulièrement marqué ? Et lesquelles vous ont rendu le plus fier ?
Dr. TW.
Je commencerai, bien sûr, par l’invention de l’automobile il y a 125 ans par Mercedes, sans laquelle je ne serais pas à cette place ! Ensuite, il y en a tellement… L’ABS et l’ESP, sur les aspects sécuritaires sont deux pas de géants, tout comme la zone de déformation programmée. Tout cela a révolutionné l’industrie automobile.
Et je n’oublierai pas le BlueTec. Il y a dix ans, à l’apparition de l’Euro 5, tout le monde nous a dit que le Diesel était voué à la disparition, car il ne passerait pas les normes. Pourtant, nous y sommes parvenus, grâce à BlueTec et à la réduction catalytique sélective avec adjonction d’AD Blue, d’abord dans le PL et aussi le VL.

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ZOOM

Le Magic Sky Control

Thomas Weber : “Cela fait longtemps qu’on travaillait sur le sujet. Nous avions déjà présenté cette fonction sur Maybach, mais il s’agissait alors de foncer des vitrages pour des raisons de confidentialité.
Le Magic Sky Control du nouveau SLK est une première mondiale et n’utilise pas la même technologie. D’un toit transparent, il suffit d’appuyer sur un bouton pour passer immédiatement à un état obscurci, qui filtre 80 % de la lumière et du rayonnement infrarouge.
En été, cela abaisse la température de l’habitacle de 10 °C. Notre fournisseur japonais utilise un revêtement du verre qui, sous une tension électrique, voit ses cristaux non structurés s’orienter, et laisser passer la lumière. Le plus compliqué, a été de parvenir à réaliser cette innovation sans problème de qualité et de longévité.”

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