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Des défauts de recalibrage derrière les freinages "fantômes" ?

Publié le 18 août 2025

Par Nicolas Girault
5 min de lecture
Des systèmes de freinage automatique responsables d'accidents de la route ont défrayé la chronique cet été. Le phénomène est suffisamment important pour pousser l'État à lancer une enquête. Certains spécialistes se demandent toutefois si le problème ne viendrait pas plutôt d'un mauvais recalibrage des Adas.
freinages fantômes recalibrage Adas
Le calibrage du système de freinage automatique pose certains problèmes de sécurite majeurs. ©AdobeStock

Une enquête sur les freinages "fantômes" a été annoncée par le ministère des Transports le 15 août 2025. Cette décision intervient à la suite d'une pétition lancée sur le site de l'Assemblée nationale, suivie par un échange entre une victime et le Service de surveillance du marché des véhicules et des moteurs (SSMVM). Les enquêteurs interrogeront notamment les constructeurs et équipementiers automobiles sur le sujet… Mais certains spécialistes de l'après-vente auto esquissent déjà quelques pistes d'explication.

 

À l'origine de la crise : la multiplication de témoignages d'automobilistes frappés par ce phénomène. Les pouvoirs publics se sont alors emparés du sujet dans le contexte brûlant du remplacement des airbags Takata défectueux. Plus de 250 conducteurs ont déjà affirmé avoir subi un freinage intempestif de leur véhicule, parfois avec un accident à la clé. Ils ont pris la parole à la suite d'un appel à témoins du Progrès. Celui-ci a été initié après l'accident de Joanna Peyrache, survenu en avril 2025.

 

Quatre hypothèses possibles

 

Cette automobiliste, qui roulait à bord d'une Peugeot 208 sur l'A40 entre 110 et 130 km/h, raconte à France Inter : "Ma voiture s'est arrêtée, sans action de ma part et alors qu'il n'y avait aucun obstacle devant moiC’est allé très vite, trois secondes pour arriver à l’arrêt. La voiture derrière est venue me percuter, et mon véhicule a fait 180 degrés". Heureusement, si les deux véhicules sont irréparables, leurs passagers n'ont subi que des blessures légères. Cependant, la pétition réclamant l'enquête évoque le cas d'un accident mortel, ayant entraîné la condamnation d'une automobiliste.

 

Par la suite, les gendarmes demandent une expertise du véhicule de Joanna. Mais la justice refuse, tandis que le concessionnaire Peugeot aurait également décliné l'examen de la voiture. L'automobiliste s'est alors tournée vers le quotidien lyonnais et aurait libéré la parole de nombreux usagers. Joanna Peyrache précise au Parisien avoir "reçu des centaines de témoignages. À chaque fois, ce sont des véhicules récents entre 2017 et 2025. Toutes les marques sont concernées, même si Peugeot, Citroën et Skoda sont les plus citées". Point commun entre les modèles : ils embarqueraient tous un freinage d'urgence automatique.

 

Mais quelle est l'origine de ces dysfonctionnements en série ? Plusieurs spécialistes émettent des observations en pointant notamment les capteurs Adas (système d'aide à la conduite). En effet, ces radars, caméras et lidars guident précisément le pilotage des systèmes de sécurité embarqués (freinage d'urgence et autres) par l'ordinateur de bord. Ainsi, "les hypothèses les plus probables pour expliquer ces freinages intempestifs sont des conditions environnementales, des limites technologiques, des défaillances logicielles ou des interactions avec d’autres systèmes", énumère Christophe Theuil, vice-président de la FFEA (Fédération française de l'expertise automobile).

 

Recalibrage hors des règles de l'art

 

En clair, si les systèmes montés d'origine sur les véhicules sont majoritairement fiables, ils peuvent aussi rencontrer des limites. Certains capteurs peuvent ainsi d'abord être occasionnellement perturbés par la pluie, le brouillard, l'obscurité ou un soleil rasant. Ensuite, leur mauvaise recalibration après une opération de remplacement de pare-brise ou de géométrie du véhicule peut les embrouiller. Une mise à jour non réalisée ou problématique peut aussi les faire dysfonctionner. Enfin, différents systèmes Adas (freinage d'urgence, régulateur adaptatif ou assistance au maintien de voie) peuvent aussi entrer en conflit entre eux.

 

Toutefois, l'expert automobile affirme que "80 % du problème est vraisemblablement lié à la problématique du recalibrage". Une problématique détaillée par Éric Blaiseau, référent technique mobilité du Cesvi. "Par expérience, on sait que tous les recalibrages ne sont pas tous effectués dans les règles de l'art", déplore ce spécialiste de la recherche et de la formation sur la réparation des véhicules. Or, les capteurs Adas doivent être systématiquement recalibrés à partir de l'axe de poussée du véhicule, après chaque opération de géométrie ou de remplacement de pare-brise équipé d'une caméra".

 

Certains réparateurs – aussi bien indépendants, que dans des réseaux de marques et centres auto – ne sont pas équipés ou mal formés à cette opération complexe. En particulier, les ateliers mobiles seraient incapables de recalibrer correctement une caméra de pare-brise.

 

Rester prudent

 

Point de vue partagé par Christophe Theuil. L'expert complète en précisant que la responsabilité d'un capteur Adas dans un sinistre reste compliquée à prouver. "Certaines expertises rapportent quelques témoignages déclaratifs qui nous interrogent, explique-t-il. Tant que nous n'avons pas accès à la boîte noire obligatoire sur les véhicules récents, il est très difficile d'identifier un accident à une défaillance de capteur".

 

Lui aussi raconte des manquements graves qu'il a vus dans certains ateliers. Il préconise donc d'accentuer les efforts d'information et de pédagogie autour de ce thème dans l'atelier. L'expert recommande de confier sa voiture à un réparateur équipé et formé. Dans l'idéal, celui-ci délivre une attestation de recalibrage – pratique généralisée chez Carglass. Enfin, il pose la question de la pertinence d'un éventuel futur examen des Adas au contrôle technique…

 

Toutefois, en l'état actuel de cette affaire de freinage intempestif, les deux spécialistes restent prudents en attendant de nouveaux éléments. "Je me méfie des faux-positifs, comme dans le cas des régulateurs de vitesse dénoncés il y a quelques années, prévient Éric Blaiseau. Il s'agissait finalement d'un problème d'attention des conducteurs, qui ne s'étaient pas encore approprié cette technologie".

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