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Car policies 2026 : les flottes au pied du mur

Publié le 11 décembre 2025

Par La Rédaction
11 min de lecture
Sous l’effet d’une fiscalité écologique plus sévère, les choix des gestionnaires de flotte pour leur car policy se resserrent. Hormis quelques hybrides non rechargeables, les voitures électriques sont en passe de prendre le pouvoir dans les entreprises. À condition de bénéficier de l’écoscore et d’obtenir l’adhésion des conducteurs.
car policy 2026
La composition des car policies devient un enjeu majeur pour les entreprises. ©Renault-Yannick Brossard

Alors qu’elle touche à sa fin, l’année 2025 laissera‑t‑elle le souvenir d’une annus horribilis ? Sans doute restera‑t‑elle marquée, pour les gestionnaires de flotte d’entreprise, par une certaine brutalité fiscale. On retiendra, en effet, la taxation alourdie des avantages en nature (AEN) associés aux véhicules de fonction, introduite au mois de février.

 

Inattendue et d’application rétroactive, la mesure a fait vaciller les car policies et a précipité leur réécriture. Pour limiter l’impact financier sur les comptes des entreprises, mais également sur la feuille d’impôts de leurs collaborateurs, le choix de modèles électriques est devenu incontournable. Après un premier semestre attentiste, leurs ventes décollent depuis la rentrée. "Nous sommes à plus de 50 % de commandes en véhicules 100 % électriques", confie David Decultot, directeur conseil d’Ayvens France.

 

La réforme des AEN a fonctionné tel un électrochoc pour des flottes déjà soumises à une fiscalité écologique n’épargnant que les véhicules électriques : malus écologique et au poids, taxes sur les émissions de CO2 et sur les polluants atmosphériques. Le projet de loi de finances pour 2026, dévoilé au moment où nous mettons sous presse ce numéro, confirme la trajectoire jusqu’en 2028. D’ores et déjà, il oriente les car policies sur les trois prochaines années.

 

Les thermiques hors-jeu

 

Le loueur Ayvens a pris comme repère un véhicule répandu dans les flottes de ses clients, le Renault Arkana 1.3 TCe mild hybrid EDC 24. D’une puissance de 140 ch, ce SUV émet 130 g de CO2, ce qui lui a valu un malus de 310 euros en 2024. Ce montant grimpera à 983 euros, l’année prochaine, puis à 2 205 euros en 2028. Une fiscalité qui sera donc multipliée par sept.

 

S’y ajoute la taxe sur les émissions de CO2, également alourdie. Redevable de 383 euros en 2024, ce modèle sera taxé à 683 euros en 2026, puis à 1 118 euros en 2028. Quant au malus au poids, l’Arkana y échappera, même après l’abaissement du seuil de déclenchement à 1 500 kg. En revanche, ce modèle ne se comptabilise pas dans le quota des véhicules à faibles émissions, pris en compte pour le calcul de la taxe annuelle incitative (TAI) dont le montant doublera l’année prochaine (de 2 000 à 4 000 euros par véhicule propre manquant lors des renouvellements).

 

 

Cette complexité vaut aujourd’hui à Ayvens, comme à ses concurrents, une augmentation des demandes de la part des entreprises au moment où elles cherchent à ajuster leur car policy. "Les responsables de flotte ont besoin d’être vraiment accompagnés pour bien cerner tous ces changements", constate David Decultot pour qui ce sujet est devenu "hypertechnique, hyperpointu" et le TCO "de plus en plus complexe".

 

Pourtant, la taxation des émissions de CO2, les quotas de la TAI, ainsi que l’alourdissement des avantages en nature ont un seul objectif. Ils encouragent l’acquisition de véhicules électriques. Le cadre fiscal "est plutôt clair et stable depuis plus de dix ans", pour Stéphane Montagnon, cofondateur de Holson qui conseille les flottes dans leur transition écologique.

 

Une trajectoire pluriannuelle d’électrification

 

"Il faut baisser les émissions de CO2 de 5 g tous les ans si vous ne voulez pas que ça coûte plus cher et, à un moment, il faut passer à l’électrique", résume d’un trait cet expert. Cette approche permet d’optimiser la fiscalité de la flotte et elle simplifie sa gestion en écartant d’autres types de motorisations.

 

"Il n’y a que deux types d’énergies. Soit on est 100 % électrique, soit on est thermique, tranche Stéphane Montagnon en se fondant sur le régime fiscal. Que le moteur soit mild hybrid, full hybrid ou autre, ce sont des technologies qui optimisent la consommation, mais qui se voient appliquer les mêmes barèmes que les véhicules essence". Par conséquent, la fiscalité de ces modèles s’alourdira. "Il y a encore une confusion dans beaucoup d’entreprises qui ne maîtrisent pas la fiscalité et qui ne voient pas le «mur» arriver", avertit ce spécialiste.

 

 

À l’inverse, constate‑t‑il, "les entreprises qui ont fait l’effort de se dire, qu’estce qui va se passer quand je mets à la route un véhicule aujourd’hui, que je garde quatre ans, comprennent vite que leurs coûts vont augmenter tous les ans". Par ailleurs, l’idée, populaire il y a quelques années, de recourir à des véhicules hybrides rechargeables (PHEV) pour amorcer une transition des flottes du thermique vers l’électrique n’a plus cours aujourd’hui.

 

"Bien que l’on ait des véhicules qui soient proposés avec des autonomies [en mode électrique] plus importantes, il n’y a plus d’avantages fiscaux sur le PHEV, rappelle David Decultot. Tout le monde a compris que les collaborateurs, qui souvent optaient pour ce genre de véhicules, étaient de toute façon, par leur usage, éligibles à un véhicule électrique."

 

Des logiques RH parfois contradictoires

 

Pourtant, les car policies conservent souvent une offre de véhicules hybrides, voire essence ou diesel. "Sur les véhicules de fonction, la part d’irrationnel dans le choix reste forte", observe Stéphane Montagnon. En tant qu’accessoire du salaire, ces véhicules représentent un moyen d’attirer et de retenir des talents, or les salariés ne sont pas unanimement convaincus par le tout‑électrique. Cependant, l’inscription dans les car policies d’une offre thermique, souvent hybride, a un coût de l’ordre de 1 000 à 2 000 euros par an par voiture.

 

Une entorse à l’optimisation fiscale des car policies car les modèles full hybrid (HEV) et surtout mild hybrid (MHEV) sont peu réputés pour leur capacité à abaisser significativement les émissions de CO2. Mais le calcul du TCO peut encore leur être favorable. "Il y a 8 000 à 10 000 euros d’écart en prix catalogue en faveur des MHEV, donc les écarts de loyer peuvent compenser la moindre efficience CO2", remarque Yoann Taitz, regional head of RV forecast and market expert chez Indicata (groupe Autorola).

 

 

Sur les neuf premiers mois de l’année, les immatriculations flottes des HEV et des MHEV sont au coude‑à‑coude : 14,4 % pour les premières et 14,5 % pour les secondes, selon l’Arval Mobility Observatory (AMO). Les hybrides bénéficient de remises importantes auprès des constructeurs qui jouent gros sur ce type de motorisations, à un moment où les ventes diminuent et où les particuliers boudent l’électrique. Avec succès puisque la marque au lion place trois MHEV dans le top 10 des immatriculations de voitures en entreprises avec le 3008 (premier de sa catégorie avec plus de 10 600 unités), suivi par les 2008 et 308.

 

Par ailleurs, si l’évolution de la fiscalité pour 2026 fait un sort aux hybrides rechargeables (PHEV), elle semble laisser une chance de survie aux HEV très demandés par les sociétés. Chez Renault, le SUV Symbioz (HEV) se hisse sur la troisième marche du podium avec près de 9 500 immatriculations en entreprises, alors que son pendant électrique, le Scenic E‑Tech, se situe loin derrière avec plus de 5 700 unités.

 

Deux approches pour les car policies

 

Dans ce contexte, "il y a deux écoles à la fin de cette année 2025", estime Régis Masera, directeur de l’AMO et du consulting d’Arval France. D’une part, des car policies "majoritairement basées sur des véhicules 100 % électriques et écoscorés. L’idée, c’est d’arriver avec des car policies très attractives sur les véhicules électriques, souvent avec beaucoup de modèles par catégorie RH", indique ce spécialiste de l’accompagnement des entreprises. Une approche qui se complète par quelques hybrides au catalogue, souvent des HEV "pour les cas les plus compliqués et souvent sur dérogation".

 

 

Arval Consulting enregistre d’ailleurs de nombreuses demandes des entreprises d’accompagner ces changements, en expliquant la nécessité (notamment avec les AEN), et de clarifier les procédures de dérogation (pour limiter les demandes de modèles hybrides). D’autre part, Régis Masera constate que certaines car policies se heurtent à des obstacles à l’électrification en raison "des contraintes du métier qui limitent ces opportunités" dans certains secteurs d’activité.

 

Le véhicule électrique devient également un enjeu social avec "des sujets de forte contestation des collaborateurs", observe‑t‑il. Dans ce cas, les gestionnaires alternent entre prolongation des contrats de location en cours et intégration d’une part d’hybrides au sein de la car policy. Toutefois, "on a trois à cinq véhicules électriques pour un véhicule hybride qui n’est pas forcément au même niveau qualitatif", observe Régis Masera. Les modèles électriques proposés étant les mieux équipés.

 

Gros rouleurs ou gros râleurs

 

Le grain de sable susceptible de bloquer l’électrification des car policies reste les gros rouleurs. Dans ce laboratoire pharmaceutique, les délégués médicaux peuvent parcourir jusqu’à 60 000 km par an. Autant dire que la conversion du parc à l’électrique a été accueillie fraîchement. Le responsable de flotte a proposé un test à une dizaine de volontaires qui ont accepté de rouler en électrique et d’être équipés d’une borne à leur domicile.

 

D’une part, ces collaborateurs ont eu accès à un véhicule de catégorie supérieure, des Volkswagen ID.4 avec le niveau d’équipement le plus élevé, en remplacement d’une Golf ou d’une Skoda Octavia, moins bien dotées. D’autre part, ils ont accepté la présence à bord de la télématique afin d’objectiver la réalité de l’utilisation de leur véhicule.

 

 

"Une voiture qui roule beaucoup fait rarement plus de 350 km [par jour]", constate aujourd’hui le responsable de la flotte. Par conséquent, même les plus gros rouleurs ont la possibilité de travailler normalement. Autre constat, ces collaborateurs se sont organisés personnellement pour effectuer 85 % des recharges à leur domicile, à un coût inférieur à celui de la recharge publique. Enfin, l’entreprise a pu calculer un coût kilométrique réel.

 

Un cadre de direction, qui a participé à l’expérimentation en troquant son Tiguan contre une ID.7, a pu constater des économies en roulant plus de 40 000 km par an : de 1 000 euros de gasoil par mois, sa facture a été réduite à 250 euros d’électricité. "Le surcoût [du véhicule électrique] était compensé par la baisse importante du prix de l’énergie", se félicite le gestionnaire. Des constats que les conducteurs partagent avec leurs collègues, ouvrant la voie à une électrification de la car policy.

 

De l’enjeu de l’autonomie à celui de la recharge

 

Parmi les crispations à l’égard des véhicules électriques, un des premiers motifs a longtemps été l’autonomie. Chez Orange où la car policy s’oriente depuis plusieurs années vers le 100 % électrique, Alexandre Nepveu propose aux salariés des Renault 4 ou 5, ainsi que des Megane E‑Tech. Leur endurance ne fait plus débat car elle dépasse les 400 km. Un "seuil psychologique" explique le directeur de la gestion des véhicules.

 

"Quand on leur donne un véhicule qui a plus de 400 km [de rayon d’action], ils se sentent soulagés, tranquilles, même s’ils ne s’en servent pas". Et les toutes dernières générations de SUV des segments B et C montrent que le seuil des 600 km WLTP tend à devenir la référence. Ce progrès facilite l’intégration de véhicules électriques au sein des car policies, mais il fait émerger les inquiétudes des conducteurs à l’égard de la recharge.

 

 

À quelle vitesse, comment et à quel prix recharger ? Certes, les constructeurs automobiles apportent une partie de la réponse avec des technologies 800 V. XPeng revendique même 12 minutes (contre une vingtaine habituellement) pour compléter la charge de son SUV G6 de 10 à 80 %. Cependant, ces performances concernent des modèles premium et elles impliquent de se connecter à des bornes à haute puissance.

 

Ce qui ne correspond pas à la plupart de celles en service dans les entreprises. Encore moins à celles installées au domicile des salariés. Lors de ses missions de consulting, David Decultot observe qu’il s’agit "de se projeter sur le potentiel d’accès à la recharge pour les collaborateurs selon leur profil".

 

Une discipline de la recharge

 

Augmenter la part des modèles électriques dans les car policies confronte également les entreprises à la gestion des accès à la recharge. "Qu’est‑ce qui est inclus ou pas, quelles sont les recommandations par rapport à l’usage des bornes de recharge sur le site de l’entreprise, quelles règles met‑on en place ?", interroge le directeur conseil d’Ayvens France.

 

Sur les sites des sociétés, le parc de bornes installé ne permettra pas à tous les conducteurs de recharger, sauf à instaurer de nouvelles règles. "Cela va supposer une rotation et une certaine discipline des collaborateurs", avertit‑il. Par exemple, libérer le point de charge une fois la batterie rechargée pour laisser la place à un autre salarié.

 

Autre règle qui apparaît inévitable, restreindre la possibilité offerte aux salariés qui possèdent un véhicule électrique personnel de recharger au bureau. En cela aussi, 2026 marquera sans doute un tournant dans l’électrification des car policies. Avec des considérations techniques, fiscales, mais aussi sociales que les gestionnaires de flotte ne devront pas sous‑estimer.

 

Jean-Philippe Arrouet

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