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Industrie

"Nous réfléchissons à revenir en force sur les segments 2 et 3"

Publié le 7 juin 2011

Par Alexandre Guillet
5 min de lecture
Jean-Dominique Senard, qui prendra prochainement la succession de Michel Rollier à la tête de Michelin, évoque les piliers de la future croissance du groupe au premier rang desquels figurent les pays émergents et les pneus “verts”. Il revient aussi sur la “bataille” de l’entrée de gamme. Extraits.

JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Dans quelle mesure parvenez-vous à maîtriser vos besoins en matières premières à l’heure où les tarifs s’envolent ?
Jean-Dominique Senard.
C’est difficile à chiffrer précisément, mais nos programmes de recherche vont dans ce sens et visent à réduire la masse du pneumatique. D’une génération à l’autre, on gagne entre 5 et 10 %, et cela devrait encore se confirmer à l’avenir. C’est important pour Michelin, mais il s’agit aussi d’une demande de nos clients, par rapport à la traque aux grammes de CO2.

JA. Diriez-vous que le statut du pneu a changé avec cette nouvelle donne environnementale ?
J-DS.
Oui. Cela fait six ans que j’ai rejoint le groupe et j’ai constaté une forte évolution en OEM sur la manière d’appréhender le pneu. Il est en quelque sorte passé d’une simple “commodité” à un élément technologique influant sur le confort, la consommation, les performances et les émissions. A mon sens, le point de basculement est intervenu au salon de Francfort 2007 et, depuis, c’est la déferlante du véhicule vert sous toutes ses formes, même chez les constructeurs allemands. Pour nous, c’est un peu une fierté, car le souci environnemental fait partie de l’ADN de Michelin.

JA. Vous évoquez une forte croissance des volumes du groupe dans les années à venir, quels en seront ses leviers ?
J-DS.
J’en citerais principalement deux. D’une part, l’accompagnement de la forte croissance des pays émergents, et nos investissements pour augmenter nos capacités de production dans les BRIC vont dans ce sens. D’autre part, le développement du marché des pneus dits “verts”, sur lequel nous sommes historiquement très forts. Eu égard aux normes environnementales qui s’annoncent, ces pneus, qui représentent déjà 35 % de nos ventes aujourd’hui, devraient peser à hauteur de 70 % de nos volumes d’ici cinq à dix ans.

JA. Vous évoquez souvent la croissance du groupe, mais vous avez cependant perdu des parts de marché au niveau mondial ces dernières années, notamment pour ne pas avoir su profiter de l’explosion du segment des pneus d’entrée de gamme, voire low-cost, dans la zone Asie ?
J-DS.
C’est une question complexe qui mérite une réponse détaillée. Tout d’abord, avec l’élargissement du marché, tous les grands manufacturiers de pneus ont mécaniquement perdu des parts de marché ces dernières années, de l’ordre de 5 à 6 points. Le tropisme de ces groupes, dont Michelin fait partie, était ancré sur les marchés matures. Or, la croissance en Asie du Sud-Est, en Chine et au Brésil, a littéralement explosé entre 2002 et 2010. Nous n’avions pas les capacités de production disponibles pour suivre la cadence. Nous n’avions pas les ressources humaines, les ingénieurs et les opérateurs. Nous n’avions pas non plus forcément les moyens de le faire. Bref, Michelin n’était pas assez solide pour prendre le premier train. C’est une frustration, oui, même si rétrospectivement, on peut presque se dire que c’est heureux, car nous aurions été très affaiblis par la crise. Mais aujourd’hui, les choses sont différentes.

JA. Comment jugez-vous le degré de
la concurrence à laquelle vous avez dû, et devez encore, faire face ?
J-DS.
Violent, agressif ! Toutefois, cette concurrence s’est focalisée sur des segments précis, 2 et 3, pas sur le Premium par exemple. Dans le groupe, ce sont plus des marques comme Kléber qui ont donc souffert. De nouveaux concurrents, notamment asiatiques, se sont dotés de capacités de production immenses pour leur marché domestique, mais aussi l’exportation, vers les Etats-Unis par exemple. Aux USA, le marché annuel du remplacement tourisme-camionnette correspond grosso modo à 350 millions de pneus. Songez que, en un an, 50 millions de pneus chinois ont inondé le marché ! D’où l’épisode de la “taxe Obama” d’ailleurs… Nous avons dû réduire la voilure, tout simplement pour ne pas vendre à perte. Donc, il y a eu perte de parts de marché et affaiblissement, c’est un fait. Mais nous avons refusé de rentrer dans un cercle vicieux, ne serait-ce que pour notre distribution. Plus nous vendions des pneus Premium Michelin, plus nous faisions aussi vendre des pneus de nos concurrents sur d’autres segments… Actuellement, au-delà du Premium qui représente environ 45 % du marché mondial et qui connaît aussi un vif essor dans les pays émergents, nous réfléchissons à revenir en force sur les segments 2 et 3.

JA. Pourquoi est-ce désormais possible ?
J-DS.
Parce que le groupe a assis sa pérennité financière et qu’il a renforcé les trois piliers de sa stratégie : la croissance, la technologie et la compétitivité. Le groupe a maintenant la solidité idoine pour réinvestir ces segments de façon efficace. Nous le ferons peut-être avec des partenaires, d’ailleurs. C’est à l’étude en Chine. Sur ce marché, le groupe Double Coin nous avait ainsi confié la licence Warrior. Mais, finalement, nous prenions le risque de produire des pneus Warrior à des coûts Michelin ! On s’atrophiait avec Warrior… Nous étudions actuellement le dossier de la création d’une usine spécifique en Chine, qui serait détenue à 40 % par Michelin et à 60 % par Double Coin. Nous allons apprendre à faire des usines à bas coûts et, dans le même temps, nos sites Michelin resteront 100 % Michelin. Ce projet porte sur un investissement de 350 millions d’euros et devrait aboutir prochainement.

JA. On vous imagine pressés, n’est-ce pas ?
J-DS.
Je vais vous faire une réponse sibylline, mais diablement juste : “En Chine, comme en Inde d’ailleurs, celui qui n’a pas de patience l’apprend, et celui qui en a peut la perdre…” !

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