Michelin à un tournant de son histoire ?
“Michelin à un tournant de son histoire ?”, telle est l’accroche, plutôt agressive, d’Aurélien Duthoit pour ouvrir sa note sur le groupe Michelin. A ses yeux, le pneumaticien fait valoir deux forces capitales. D’une part, un solide ancrage dans le Premium, segment où les marges sont les plus fortes. Michelin occupe le deuxième rang de ce périmètre du marché en Europe comme aux Etats-Unis. D’autre part, une position affirmée sur le marché des pneus techniques (génie civil, agriculture, aéronautique…), c’est-à-dire à nouveau un domaine où les marges sont significatives. D’ailleurs, si cette activité ne représente que 15 % de ses ventes globales, elle contribue à hauteur de 36 % aux bénéfices dégagés par le groupe.
Une opération consolidation saluée par les analystes, avec une nuance…
En outre, on peut ajouter que le groupe s’est efforcé, ces dernières années, de consolider ses positions financières. Une approche technique, mais aussi stratégique, comme le confiait Michel Rollier, peu avant la passation de pouvoir à Jean-Dominique Senard : “Nous avons renforcé la structure financière de Michelin, si bien qu’elle est la meilleure depuis les 50 dernières années. Mais parallèlement, nous avons aussi développé nos “capteurs” sur les marchés, de manière à accélérer encore notre réactivité et défini un certain nombre de leviers à mettre en œuvre, dès que cela s’avère nécessaire. En 2009, nous avons ainsi réagi beaucoup plus vite que ce que nous avions pu faire lors des crises de 1982 et 1999. C’est essentiel car il faut garder à l’esprit qu’une journée de production non vendue équivaut bon an mal an à 20 millions d’euros de perte”. Cette approche, ainsi que des résultats semestriels en forte hausse et nettement supérieurs aux attentes, ont d’ailleurs eu des conséquences positives auprès des agences de notation, Moody’s et Standard&Poor’s ayant tout récemment revu à la hausse la note de Michelin. Au même titre que la banque Goldman Sachs qui a réévalué son opinion de “vente” à “neutre” au début de l’été. Cependant, certains analystes restent sceptiques, à l’image des équipes d’UBS qui estiment que la forte présence industrielle du groupe en Europe et en France fragilise le groupe.
Vers une inexorable modification de l’équilibre industriel du groupe
C’est précisément là que veut en venir Aurélien Duthoit. Il relève que la France représente environ 10 % du chiffre d’affaires du groupe et 20 % de ses effectifs. Et la zone Europe se situe à près de 40 % du chiffre d’affaires pour environ 60 % des effectifs globaux. Or la croissance est ailleurs, comme en témoigne le plan de développement industriel du groupe, avec des ouvertures d’usines, une première depuis près de trente ans, en Chine, en Inde et au Brésil, pour ne pas évoquer le cas spécifique de l’Amérique du Nord. Selon Aurélien Duthoit, ces choix sont naturellement logiques, eu égard aux foyers de croissance dans le monde, mais il estime aussi que l’équilibre industriel du groupe en sera modifié et que la tentation pourrait ultérieurement être forte de produire dans ces implantations pour… l’Europe. Et d’évoquer le “modèle” Dacia, avant d’enfoncer le clou en affirmant que la question du poids de l’activité en France allait se poser à l’avenir. Sans aller plus avant dans l’exploration de cette hypothèse, malheureusement. Sur ce dossier sensible, on peut toutefois rappeler que la direction de Michelin répète à l’envi qu’il est tout à fait possible de continuer à produire en Europe. Tout en reconnaissant que cela peut nécessiter des ajustements, notamment en termes de flexibilité et donc, de dialogue avec les syndicats, dans la mesure où les usines de l’Europe de l’Ouest doivent se montrer compétitives face à celles des pays émergents, dont la Chine. En outre, si la R&D est naturellement dimensionnée à l’échelle mondiale, Michelin a récemment réaffirmé un investissement conséquent dans le centre historique de Ladoux.