"En 2011, le marché sera forcément déstabilisé"
Journal de l’Automobile. Avec un marché une nouvelle fois au-delà des 2,2 millions d’immatriculations l’an dernier, quel est, selon vous, l’état des réseaux actuel ?
Patrick Chiron. Même avec un marché en léger recul, l’exploitation 2010 aura été meilleure que celle de 2009. Notamment parce que le 2e semestre n’a pas été aussi catastrophique qu’annoncé. Nous étions partis sur une tendance située entre - 7 et - 8 %, mais avons fini avec un marché en retrait de 2 %. Ce qui a joué sur le chiffre d’affaires et sur les marges. Vu les aides que les constructeurs ont mis sur la table l’an dernier et la tenue du marché, la majeure partie des distributeurs touchera donc ses primes de volume. Globalement, 2010 sera donc une meilleure année que 2009 pour la trésorerie des distributeurs. Au niveau du déclaratif, les réseaux devraient être à une profitabilité moyenne de 1,3 % de leur chiffre d’affaires. Au réel, nous serons peut-être à 1 %.
JA. L’amélioration de la santé financière des réseaux n’est-elle donc due qu’à la bonne surprise du marché VN ?
PC. Toutes les activités semblent avoir remonté la pente l’an dernier. Le VO a été mieux géré, l’après-vente s’est maintenue, le chiffre d’affaires PR a augmenté, notamment à cause de la hausse du prix des pièces, et l’activité financement s’est elle aussi améliorée. Il faut dire qu’en 2009, les captives n’étaient pas compétitives face aux organes de financements. Elles affichaient souvent des taux plus élevés de 2 points. En 2010, leurs offres se sont améliorées et nous avons vu repartir légèrement la LOA.
JA. Les opérateurs semblent également avoir maîtrisé leurs charges…
PC. En effet, les distributeurs ont été prudents. En 2009, le taux d’investissement des réseaux s’était effondré. Etant donné le contexte, beaucoup de concessionnaires avaient en effet limité les dépenses et serré le BFR. Une prudence qui avait fait chuter le niveau des stocks de près de 5 jours. Il semble que cela ait été pareil en 2010. Ce qui les a aidés à redresser leur situation financière. Au final, les taux d’endettement devraient eux aussi être plus faibles pour 2010.
JA. Quel est votre sentiment pour l’année qui commence ?
PC. Nous ne sommes plus dans un marché d’équipement, mais dans un marché de renouvellement, qui est donc totalement dépendant de la conjoncture. Et en 2011, le marché sera forcément déstabilisé. Je pense que durant le premier trimestre, les concessionnaires vivront sur le portefeuille de commandes de fin 2009. Mais en commandes, nous serons sans doute sur une tendance à - 20 % sur les trois premiers mois. Les constructeurs réinterviendront alors massivement à partir du 2e trimestre. Et les immatriculations se redresseront à partir du 2e semestre. Je pense que nous aurons ainsi un marché en retrait de 7 à 15 %. Un marché situé entre 1,8 et 1,9 million de VN ne me paraît pas invraisemblable. Ce qui ne serait pas une claque, comparée à la chute de 23 % du marché allemand en 2010. Mais on n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise, comme l’an dernier.
JA. Vous pensez donc que les marques vont mettre la main à la poche…
PC. Les constructeurs se sont “refait la cerise” en 2010 et sont capables d’affronter 2011. Ils sont globalement en bonne santé. Ils vont forcément pallier à la disparition de la prime à la casse. Avec une politique commerciale agressive à chaque fin de trimestre, peut-être limiteront-ils la casse à - 5 %. Mais je n’y crois pas trop. Car la question est de savoir si les marques seront capables de tenir sur des remises systématiques de 3 000 à 4 000 euros et si le concessionnaire sera prêt à sacrifier ses marges au profit du volume ? A un moment, certains risquent aussi de laisser couler l’année, comme en 2008. Ce qui pourrait faire très mal au niveau des primes de volumes.
JA. Le marché des ventes à sociétés ne peut-il pas minimiser l’importance de ce retrait ?
PC. En 2010, sur les ventes aux entreprises, ça n’a pas été le raz-de-marée annoncé. Je ne vois pas pourquoi il en serait différemment en 2011. Et même si ces immatriculations à sociétés augmentent, elles ne compenseront que très peu la baisse du marché à particuliers.
Peut-être aurons-nous un marché VP à - 12 ou - 13 %, et un MTM à -8 ou - 10 % grâce aux entreprises.
JA. Y a-t-il des marques et des réseaux plus exposés que d’autres ?
PC. Les malades qu’étaient GM et Ford ont repris des couleurs. En revanche, Fiat m’inquiète un peu plus. Leur politique produits est un peu restreinte et Chrysler n’est pas la plus belle perle du monde. Le réseau risque d’être un peu fragilisé en 2011. D’autant que certains distributeurs vont devoir investir. A côté de ça, Volkswagen et Audi caracolent. Tout leur réussit et leurs distributeurs investissent pour les suivre. Les marques premium seront moins à la peine. Leur marché devrait se maintenir. Au pire, il subira une très petite baisse.
JA. Et du côté des Français ?
PC. Peugeot et Citroën ont les bons produits et le dynamisme qu’il faut. Je pense que leur stratégie de monter en gamme est la bonne. Pour Renault, je suis nettement plus perplexe. J’ai le sentiment que Renault est en train de se “Fiatiser”. C’est-à-dire que la gamme abandonne peu à peu les segments supérieurs. Peut-être que dans un proche avenir la Megane sera le haut de gamme de Renault… Je ne suis pas persuadé que ce soit une bonne chose. Ne vendre que des petits modèles à faible marge n’est bon ni pour le réseau ni pour le constructeur. L’échec de Laguna n’est pas rassurant, et ce n’est pas avec la Latitude que la tendance s’inversera. Les distributeurs Renault vont avoir du mal à engranger des ventes en attendant la nouvelle Clio. La marque devrait donc être à la peine en 2011.
JA. L’apport de Dacia ne change rien à la donne…
PC. L’an dernier, pour Renault, heureusement qu’il y a eu Dacia. Mais en 2011, la marque roumaine sera forcément freinée. Notamment parce que la Sandero GPL sera réduite à la portion congrue, à cause du bonus-malus qui ne le favorise pas. Dacia pourrait ainsi perdre 1/3 de ses ventes. Je ne dis pas que Dacia va connaître une chute de ses ventes de 55 %, comme ce fut le cas en Allemagne l’an dernier, mais il faut s’attendre à ce que la marque recule de 20 à 30 % en 2011. Et ce malgré leurs bonnes performances de décembre dernier. Cette baisse ne va pas arranger les affaires des concessionnaires Renault.
JA. Des conseils à donner aux distributeurs ?
PC. Les mêmes que l’an dernier. C’est-à-dire de modérer les investissements, de réclamer beaucoup d’aides à leurs constructeurs, qui ont les moyens d’en donner, puis d’avoir une présence commerciale élevée afin d’aller chercher le consommateur. Dernier point, le multimarquisme est une bonne chose. Diversifiez-vous avant qu’on ne vous en empêche… Mais évitez les marques à la peine…
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