Stephane Michel et Jean-Claude Michel, dirigeants du groupe éponyme.
Journal de l'Automobile. Comment le groupe traverse-t-il cette période peu évidente ?
Stéphane Michel. Nous sommes à une période charnière pour le groupe du fait de la passation de présidence entre mon père et moi-même, mais également d'un point de vue plus global puisque nous avons commencé, il y a un an, à réunir toutes les affaires sous l'entité "groupe Michel" et à communiquer aux yeux du consommateur, du personnel mais aussi des constructeurs. Cette notion de groupe s'est aussi matérialisée l'an passé par la création d'un nouveau site Internet. C'est très important, notamment vis-à-vis du personnel. Les gens ont besoin, avec tout ce qu'ils entendent sur l'automobile, d'être rassurés et cette appartenance à un groupe rassure.
JA. Quels ont été les effets du durcissement du marché sur votre activité ?
SM. La "crise" n'a pas eu d'impacts significatifs sur notre business. En termes de volumes VN ou de chiffre d'affaires après-vente, nous sommes même plutôt en progrès. En revanche, il a fallu s'adapter. Les aides gouvernementales ne sont pas destinées aux distributeurs, mais avant tout aux constructeurs dans l'optique de faire tourner les usines. Certes, le calcul tient la route, mais pour nous, distributeurs, il vient influencer notre mix gamme et nous nous retrouvons avec des grosses voitures à reprendre pour vendre des petites. Cela ne nous fait pas davantage vendre de grosses voitures d'occasion ainsi que des VO récents. Par conséquent, les parcs grossissent. Sur le VO, l'impact a donc été net. Au-delà de ses marges qui s'amenuisent et de ses coûts difficiles à compresser, l'occasion qui a longtemps été le talon d'Achille des concessionnaires, a pris une dimension accrue. Dès lors, quand le marché VO dérive, les répercussions sont d'autant plus pénalisantes. Aujourd'hui, les VO se reprennent moins cher. Et quand vous vous appelez "Renault", que vous devez gérer l'afflux en 2008 des Scénic avec lesquels vous avez inondé le marché entre 2002 et 2007, c'est encore plus compliqué.
JA. Pourtant, à en croire les constructeurs, il semblerait que ce problème soit désormais résolu ?
SM. A l'heure où l'on parle, c'est effectivement le cas. Mais de là à dire qu'ils se soucient du problème depuis plusieurs années, la réponse est non. Il a vraiment fallu qu'il y ait des "blessés graves" pour se rendre compte qu'il fallait peut-être appeler une ambulance. Mais il est vrai qu'il y a eu une prise de conscience. Les constructeurs en parlent de plus en plus alors que le VO était un sujet qui leur était complètement étranger il n'y a pas si longtemps. Pour certaines marques, l'année 2008 a été une révélation à ce niveau.
Jean-Claude Michel. Les constructeurs s'en sont préoccupés quand ils se sont aperçus que c'était bloquant pour le VN. J'ai fait partie d'une instance de groupements de concessionnaires et il y a eu des années pendant lesquelles nous disions au constructeur : "Touche pas à mon VO".
JA. Quel est justement le discours que vous tiennent actuellement les constructeurs ?
SM. Je trouve que les discours ne sont pas tous rassurants. Ils ne sont pas là pour nous inquiéter non plus. Ce sont vraiment des doubles langages, parfois au sein d'un même groupe, que nous avons du mal à comprendre. Certains nous disent, officiellement : "Si vous avez des projets d'investissements sur 2009, nous vous demandons de les geler, parce qu'avec les incertitudes du marché, il vaut mieux être prudent". Le lendemain, un autre constructeur, du même groupe, vous dit : "Pour nous, ce qui se passe en ce moment ne change rien, nous vous confirmons les investissements que nous vous avons demandés dans les délais initiaux". Je trouve cela choquant. Où est la cohérence ?
JA. Quels ont été les effets de l'écotaxe et de la prime à la casse sur l'ensemble de vos affaires ?
SM. Les consommateurs ont été bien plus sensibles et réceptifs que je ne l'imaginais. Nous avons fait de très bons mois de novembre, décembre et janvier en prise de commandes avec près de 75 % de ventes liées à la prime à la casse. En février, il y a eu un coup de frein important et nous sentons que ce n'est pas éternel. Localement, nous avons fait certaines opérations avec, par exemple, 1 000 euros de reprise sur une sélection de VO. La nouveauté était de voir des acheteurs de VO qui venaient acheter un VN. Mais en général, les deux clientèles ne se télescopaient pas.
Du fait de l'évolution du marché VN vers les petits véhicules, avec d'un côté ces aides et de l'autre le développement du "low-cost", nos stocks VO sont, du jour au lendemain, devenus 10 à 20 % trop chers en valeur nette comptable. C'est d'ailleurs une problématique qui se répercute dans nos résultats 2008. Et qui risque de peser aussi sur 2009 car nous écoulons nos stocks d'occasion à perte, soyons clairs, avec tout ce que cela comprend de difficultés financières, commerciales et fiscales. Mais je ne crache pas dans la soupe. Ces aides ont permis de développer le commerce, de faire tourner la boutique, d'atteindre nos objectifs et de créer du parc roulant. C'est même positif pour les années à venir. Pour autant, en termes de résultats, c'est plus compliqué.
JA. Quel bilan tirez-vous de l'activité du groupe en 2008 ?
SM. En 2008, le bilan est mauvais, sans être catastrophique. Une analyse à relativiser étant donné que 2007 était, historiquement, notre meilleure année. Nous sommes dans un métier où il ne faut pas confondre volume et rentabilité. Nous avons en 2008, dans toutes nos marques, fait progresser notre volume de vente VN de façon significative, avec des affaires qui ont affiché + 10 %, + 15 %, mais qui ont perdu de l'argent. C'est paradoxal, mais nous sommes sur un système ainsi établi où la notion entre la marge restante et le chiffre d'affaires est tellement disproportionnée que l'un n'est pas directement lié à l'autre.
JA. Etes-vous obligé, en tant que groupe de distribution, de vous plier à cette guerre commerciale que se livrent les constructeurs ?
SM. Oui, et pour plusieurs raisons. Premièrement, parce que nous sommes dans un système où les remises et les offres de financement sont affichées dans les rues. Il y a un effet de masse et médiatique contre lequel nous avons du mal à faire contrepoids. Aujourd'hui, proposer 20 % de remises sur un VUL n'a plus rien d'extraordinaire car c'est entré dans les mœurs. Deuxièmement, nous savons qu'entre les marges que nous réalisons et les remises que nous proposons, la vente d'une voiture n'est pas rentable. Il faut donc que le distributeur atteigne des objectifs de volume pour toucher ses primes. Tout le monde le fait, c'est de notoriété publique. Ce qui est plus dommageable c'est que certains constructeurs nous "obligent" à appliquer ces remises pour que nous touchions ces fameuses aides. Ce qui me dérange c'est que nous n'avons plus assez la main sur notre commerce. Il faudrait que nous soyons capables de gérer de manière plus libre des enveloppes financières pour nous ajuster aux attentes différentes des clients. Pour résumer, je n'ai pas envie de devenir un McDonald's. Et aujourd'hui, nous y arrivons de plus en plus. Notre valeur ajoutée est plus difficile à ressentir, et quand bien même se ressentirait-elle, elle n'est plus payante comme elle a pu l'être à une époque. Quelque part, c'est un peu décourageant. La différence entre un "bon" et un "mauvais" distributeur s'amenuise.
JC.M. Aujourd'hui, il y a encore de belles marges de progression dans le système de distribution. Je pense que si nous arrivions à obtenir un flux réellement tendu, parce que je pense qu'un client peut attendre sa voiture quinze jours, voire trois semaines sans problème, cela changerait considérablement la donne. Les constructeurs devraient considérer que la voiture est vendue quand elle est dans les mains du consommateur final et non pas quand elle est vendue au distributeur, et encore moins quand elle sort de chaîne. Si nous écoutions nos constructeurs, il faudrait parfois immatriculer des voitures qui sont encore dans les rouleaux de tôle. Nous avons des voitures facturées à l'autre bout du monde qui mettent trois semaines à arriver, quand ce n'est pas deux mois. Et cela coûte à tout le monde. La surproduction génère des bouchons qui mettent du temps pour se résorber et ne profite ni aux clients, ni aux distributeurs, et je ne suis même pas sûr que cela profite au constructeur.
JA. Pour revenir au VO, vous venez d'ouvrir un centre de vente VO à marchands à Saint-Jean-d'Angély. Qu'attendez-vous de cette structure ?
SM. Il y a des distributeurs qui ont choisi de faire de l'occasion leur cheval de bataille depuis plusieurs années déjà. D'autres groupes ont choisi d'être de "bons soldats" et vont dans le sens du constructeur pour un contrat gagnant-gagnant. Nous faisons plutôt partie de cette deuxième catégorie. Ce n'est pas moins bien, c'est différent. Nous avons d'ailleurs tiré profit de ce positionnement, concrétisé par une très bonne pénétration sur notre territoire. Seulement, aujourd'hui, dans un cadre de mutation du marché, nous subissons de plein fouet notre manque de politique VO. Il faut l'admettre.
Dès lors, nous essayons de nous adapter et d'être réactifs. Depuis septembre 2008, nous avons mis en place un certain nombre de plans. Cette plate-forme, dédiée aux marchands, est une des réponses. Saint-Jean-d'Angély jouit d'une position centrale dans le département et se situe au bord de l'autoroute. Notre idée est de toucher des professionnels extérieurs à la Charente-Maritime. Nous avons centralisé un certain nombre de VO vieillissants et notre objectif est de fluidifier et de professionnaliser nos rapports avec les marchands, d'accélérer notre rotation de stock et enfin de gagner de l'argent en faisant du commerce. Cette plaque est aussi une façon pour nous de mettre la pression à tous nos responsables occasion qui savent qu'à un moment donné, si leurs VO vieillissent sur leur parc, ils partiront à Saint-Jean-d'Angély. Ils perdront alors de l'argent dessus.
JA. Nous voyons se développer des concessions dédiées à la marque Dacia. Vous avez notamment un site à La Rochelle. En quoi cette indépendance est-elle bénéfique ?
SM. Nous avons investi récemment pour créer un deuxième site Dacia sur Saintes. Les travaux vont commencer et l'ouverture est prévue pour la rentrée de septembre. Dans les grosses ou moyennes villes, comme La Rochelle ou Saintes, nous nous apercevons qu'il peut exister, au sein d'une affaire Renault, une forme de cannibalisme entre, d'une part, des Dacia neuves et des VO, et d'autre part entre des Dacia neuves et des VN moins chers de la gamme Renault. Créer une structure indépendante est une façon d'éviter ce cannibalisme sur la marque Renault.
JA. Que pensez-vous du changement d'image de Citroën ?
SM. La mutation de Citroën va vraiment dans le bon sens. Il faut se souvenir qu'il n'y a pas si longtemps la marque était presque amenée à disparaître. J'ai fait ce pari, il y a neuf ans et, au vue de la pénétration de la marque et du renouvellement de la gamme, je peux affirmer qu'il est réussi. J'adhère complètement à ce changement d'image. Nous avons déjà adhéré au principe du label occasion. C'était nécessaire car, d'un point de vue européen, personne n'a jamais su réellement ce que signifiait Eurocasion.
JA. Enfin, le changement de direction et d'image du groupe Michel sera-t-il accompagné de nouveaux développements ?
SM. Nous n'avons jamais eu, sincèrement, de plans très prémédités quant à notre croissance externe. Dans ce cadre-là, j'avais envie de créer mon propre parcours, ne pas être seulement le repreneur ou le "fils de". J'ai eu une opportunité avec Citroën, complétée avec les marques du groupe VW, qui collaient assez bien à ce que nous imaginions de notre future stratégie pour l'automobile et la distribution. Nous ne sommes pas un groupe financier. Nous tenons à conserver une taille humaine.
FOCUSGroupe Michel en bref • Marques représentées : Renault, Citroën, Volkswagen et Audi |
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