La distribution automobile est-elle un mal nécessaire ?
...et surtout des clients…
Tous les constructeurs automobiles ont développé des réseaux de distribution pour vendre et maintenir leurs produits, et ce mode de distribution s'est généralisé à l'ensemble des marques dans l'ensemble des pays. En s'appuyant sur des concessionnaires et des agents, les constructeurs ont opéré un maillage territorial qui leur permet d'avoir une présence locale pour écouler et entretenir leurs produits. Cette activité a démarré alors que l'offre était inférieure à la demande, une époque où il y avait des listes d'attente pour être livré de la voiture achetée qui, d'ailleurs, ne correspondait pas toujours au bon de commande. Depuis la situation a bien changé… Les capacités de production installées sont globalement supérieures à la demande et les clients ne font plus la queue pour acheter leur voiture chez un concessionnaire. Sous la pression de la concurrence, des réglementations ou des avancées technologiques, de nouveaux modes de distribution ont fait leur apparition (mandataires, Internet…). Et certains se sont même fait les chantres de la distribution sans concession… Pourtant, aujourd'hui, nous observons que toutes les marques automobiles sont représentées par des réseaux, que toutes les tentatives de distribution alternative sont restées marginales à l'exception d'activités de pièces ou de services, et que les promesses de distribution sans concession ne se sont pas réalisées. Pour autant, ni les relations entre les constructeurs et les réseaux de concessionnaires, ni celles entre ces derniers et les clients ne sont au beau fixe.
Des objectifs complémentaires ou concurrents ?
Constructeurs et concessionnaires ont pour objectif de faire des profits en commercialisant des produits et services automobiles. Les premiers vendent au second qui vendent au client final. Tout semble parfaitement complémentaire et ne devrait pas poser de problèmes particuliers.
Mais les constructeurs investissent pour développer et fabriquer des produits. Ils doivent rentabiliser les investissements consentis sur la durée de vie de leurs produits et les niveaux d'investissement sont déterminés par les perspectives de ventes espérées, qui se traduisent dans les fameux objectifs. Hors nous l'avons vu précédemment, seuls deux constructeurs, Audi et Toyota, ont réalisé leurs objectifs sur une période de 10 ans. En d'autres termes, ils sont les seuls à avoir totalement optimisé leurs investissements sur une longue période. Tous les autres constructeurs ont connu, à un moment ou à un autre, des difficultés plus ou moins sérieuses ou répétées par rapport à leurs prévisions qui se sont traduites par une baisse de leurs résultats. D'un point de vue constructeur, un des leviers pour corriger ces écarts à la prévision c'est la distribution, à moins, et c'est aussi une opinion courante, qu'elle n'en soit la cause. Car pour sécuriser les investissements, tout a été étudié, contrôlé, vérifié, y compris souvent auprès des réseaux qui, depuis longtemps, ont été impliqués à des degrés divers dans des instances validant les objectifs et justifiant les investissements. Confronté à de mauvais résultats de ventes d'un produit, un constructeur va tout faire pour le vendre au niveau prévu et parfois coûte que coûte. Dans ce type d'activités, certains constructeurs ont imposé leurs contraintes à leur réseau et par ricochet à l'ensemble du marché. Que ce soit par les prix, par les remises, par les ventes massives aux loueurs courte durée, par les fausses immatriculations, ou tout autre artifice, il fallait pousser le métal !
Concurrence interne dans le réseau
Du côté des concessionnaires, l'objectif premier est aussi de rentabiliser leurs investissements en commercialisant des produits et des services automobiles. Certains ont su s'adapter aux exigences de leur activité, du marché et ont su tirer parti de leur environnement, d'autres en ont été incapables. Beaucoup ont grandi et se sont développés avec leurs marques, d'autres ont disparu pour avoir investi à contre temps ou au-delà du raisonnable (parfois poussés par leur concédant) ou, au contraire, pas suffisamment. Des situations contrastées et difficiles à généraliser mais quand on regarde de près ce qui caractérise les meilleures concessions, il est intéressant de noter qu'elles
ZOOMPhilippe Geffroy Après une carrière de 25 années au sein des constructeurs automobiles, Ford dont Ford Crédit et Jaguar et l'Alliance Renault/Nissan, dont 15 à des postes de direction générale, Philippe Geffroy a accumulé une grande expérience au contact des réseaux et dans ses fonctions Siège. Il a aussi effectué un parcours international qui lui a permis d'enrichir ses acquis grâce aux apports de cultures et de méthodes très variées (de la Suède au Mexique en passant par l'Europe, le Japon et les Etats-Unis). Aujourd'hui, il utilise la richesse et la diversité de cette expérience comme consultant et nous la fait partager dans cette chronique. |
Des frustrations tenaces
Pour les concessionnaires, la rotation des personnels des constructeurs qui travaillent en relation avec les réseaux est trop rapide. Et même s'ils ont contribué à les former, il arrive souvent qu'eux et leurs équipes soient de plus fins connaisseurs de la marque, de ses produits, et de son histoire que les personnels "terrain" des constructeurs. Certains se sentent plus investis dans la défense de "leur marque" que le constructeur lui-même. Mais sans doute ne partagent-ils pas la même notion de marque. Chez les constructeurs, tout le monde s'accorde à dire que les concessionnaires sont les vitrines de leur marque, qu'ils sont les représentants de celle-ci face au client final mais ils sont peu nombreux à envisager que les concessions sachent ou puissent le faire sans leur soutien. Les constructeurs sont intervenus sur le marché et son évolution et sur tout ce qui concerne la gestion d'une concession avec plus ou moins de bonheur. Sur le fond il n'y avait rien d'anormal à ce qu'ils travaillent sur ces sujets mais les problèmes sont venus du fait qu'ils ont souvent imposé leurs vues sans véritable concertation avec les concessionnaires, sans écouter le point de vue de leur réseau et sans accepter de reconnaître leurs propres responsabilités.
La représentation des réseaux est un autre sujet de discorde. Ainsi, parmi les groupements, considérés comme peu représentatifs ou manipulés voire achetés, peu ont rarement bien fonctionné sur la durée. Cette notion de durée est fondamentale car, derrière ces dysfonctionnements, en bout de chaîne, il y a les clients. Et les clients ont de la mémoire, ils se souviennent des bons et mauvais traitements, des bons et mauvais produits et ils orientent leurs choix.
Et le client dans tout ça ?
D'une manière générale, les "garagistes" n'avaient pas une bonne image auprès du grand public. Il n'y a pas si longtemps, ils faisaient partie des deux ou trois professions les plus détestées. Personne ne leur faisait confiance, les factures étaient toujours trop lourdes, les travaux rarement bien exécutés, jamais dans les temps, les ventes forcées… Puis les clients se sont vus proposer des solutions alternatives tant dans la vente que dans l'après-vente et ils se sont mis à déserter les réseaux. Face à une telle menace, la plupart des constructeurs ont réagi avec leur réseau. Ils ont fait un effort considérable pour comprendre les attentes des clients et avec plus ou moins de perspicacité, ils y ont répondu en se professionnalisant, en adaptant leurs locaux, leurs offres commerciales et en apportant des services de qualité. Les enquêtes de satisfaction clientèle sont apparues et sont devenues des outils d'animation et de motivation des réseaux.
Ce travail a porté ses fruits dans la mesure où les réseaux de marques ont conforté leur part de marché et que les concessionnaires n'occupent plus le bas du tableau au classement des professions "peu fréquentables". Et les clients continuent majoritairement d'acheter leurs voitures chez les concessionnaires parce que c'est un investissement important sur le plan émotionnel et financier, qu'ils veulent voir, toucher et essayer le produit. Bref, parce qu'ils sont disposés à payer pour un service (pour autant qu'ils le reçoivent et l'apprécient). Longtemps la relation entre la plupart des constructeurs et leur réseau a été une relation paternaliste dans laquelle le constructeur a imposé ses vues et ses contraintes. En face, les réseaux se sont regroupés pour former des structures représentatives pour être en mesure de faire valoir leur point de vue. La pratique démontre qu'à quelques rares exceptions ou moments de grâce, ces relations entre constructeurs et représentants du réseau ont été modérément constructives. Il semble en effet que la plupart des évolutions des réseaux se soient faites sous la pression d'événements ou de concurrents extérieurs. Mais dans cette relation, le client a été trop souvent délaissé et même si de réels efforts ont permis quelques progrès, il reste beaucoup à faire pour le mettre vraiment au centre d'un système de commercialisation en rupture avec la distribution actuelle.
Ne serait-il pas temps que les constructeurs abandonnent le concept de distribution et acceptent que leur réseau mette le client au centre de son activité et de ses préoccupations pour que s'ouvre l'ère de la commercialisation automobile ?
Philippe Geffroy, consultant
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