Jean-Paul Lempereur, P-dg du groupe Lempereur, et Xavier Saison, manager de l’Espace Thirion

Journal de l'Automobile. Que signifie pour vous cette distinction ?
Jean-Paul Lempereur. D'abord, je suis très ému d'être là ce soir, et particulièrement ravi pour toute l'équipe de l'Espace Thirion, qui se donne à fond depuis de nombreuses années. Et je suis ému pour une simple raison. C'est que, bien souvent, dans notre métier, on parle de parts de marché, on parle de volume, de rentabilité. Ce soir, nous allons parler de la considération des hommes. Et quelle que soit la place que l'on occupe dans l'entreprise, j'y suis très sensible. Ce Trophée est donc le résultat de 22 ans de travail, 22 ans d'attachement à Opel. Une marque qui m'a fait grandir. Comme vous le savez, je suis autodidacte. Quand j'ai commencé, j'étais prospecteur, je tirais des sonnettes. Et puis, un jour, je suis tombé sur une annonce qui disait : "Le réseau Opel se développe. Peut-être avec vous ?". J'ai envoyé un CV à Argenteuil. Maurice Kniebihler était alors président de GM France. Il m'a reçu. Il a dit : "Il n'a pas de capitaux, mais j'ai confiance en l'homme. Alors, donnez-lui un panneau". J'ai donc commencé avec une petite concession Opel à Courrières qui vendait 150 voitures dans un petit centre ville. Aujourd'hui, je suis donc ravi du chemin parcouru par mon équipe, que je remercie.
JA. Ces derniers temps, on a beaucoup parlé de GM, pour arriver finalement à ce retour en arrière de la part du constructeur. Quel regard portez-vous sur ces derniers mois d'agitation, sur ce revirement de situation, et dans quelle mesure cela a-t-il influé sur vos activités ?
J-PL. En tant que distributeur, mais aussi en tant que président du groupement des concessionnaires Opel de France (GNCO), je connais bien la situation. Vous vous doutez bien que, avec le groupement, nous avons été sous les feux de la rampe à plusieurs reprises. On a parlé de Magna et de Sberbank, mais je peux également vous parler de Ripplewood, de RHJ, de Sergio Marchionne qui est allé voir Angela Merkel pour acheter la marque. A chaque fois, avec notre cellule Euroda, le groupement européen, nous avons été mis au courant des avancées des différents dossiers, des avantages et inconvénients de chacun. Cela a été compliqué. Mais aujourd'hui, le dénouement en faveur de GM est le meilleur possible. Bien sûr, nous pouvions nous dire que Magna avait un savoir-faire en termes de construction, que GM avait des brevets et que l'association des deux pouvait faire quelque chose de bien. Mais, au moins avec GM, il y a une vraie ligne directrice. Nous avons une feuille de route extrêmement favorable. Que ce soit sur le plan produits ou sur la situation financière de GM. Car la situation financière de GM d'aujourd'hui n'est pas la même qu'hier. Et sans entrer dans les détails, nous, distributeurs, sommes forcément ravis. Notamment parce que Opel, c'est GM, mais que GM, c'est aussi Chevrolet. Or, vous savez que nous sommes très nombreux dans le réseau à distribuer les deux marques, et souvent dans un même showroom.
JA. Vous avez enregistré presque 20 % de volume en plus l'an dernier. Comment l'expliquez-vous ? Ce n'est pas seulement dû à la prise du panneau Chevrolet ?
J-PL. En ce qui concerne Opel, nous sommes toujours 1re marque importée sur notre zone. Notamment parce que nous avons eu des campagnes qui nous ont permis d'être tout à fait adaptés à notre marché. Dans le secteur de Lens, Arras, Béthune, nous avons les produits qui correspondent à la clientèle locale. Alors, est-ce que c'est le passé industriel, l'attachement à la marque ou l'attachement au groupe ? Peut-être les trois. Car, même si on aime rester modestes, reconnaissons que les gens viennent aussi chez nous pour notre qualité de services.
JA. Afficher une marge nette moyenne de 1 000 euros par VO et une rotation de 53 jours quand on représente Opel et Chevrolet, c'est une sacrée performance. Comment travaillez-vous cette activité ?
XS. La bonne marche du VO est liée à deux choses. D'abord, au fait d'avoir un encadrement de qualité. Mon expérience aide un peu à cela, parce que j'ai été moi-même responsable VO du site avant d'en être le manager. Et puis, deuxième chose, il ne faut pas d'attentisme, mais au contraire, des décisions rapides. Dès que l'on voit qu'une voiture prend trop de temps en préparation, trop de temps en stockage, il faut réagir rapidement. Plus on va vite, plus les décisions sont bonnes et moins on perd d'argent.
JA. De nos trois candidats, vous êtes celui dont les employés affichent la plus importante productivité, avec un taux de 2,2 %. Comment parvient-on à faire adhérer ses équipes à cette course à la performance individuelle tout en préservant un climat sain ?
J-PL. D'abord, à l'Espace Thirion, nous n'avons que très peu de turnover. L'équipe qui est avec moi aujourd'hui est la même que celle que j'avais lorsque j'ai repris cette concession en 1996. Bien sûr, cette équipe s'est agrandie au fur et à mesure de notre développement, mais nous avons les mêmes piliers. Xavier est là aussi depuis 13 ans. Cela me paraît important que les clients entrent dans un showroom, y retrouvent la convivialité et les mêmes personnes à la vente comme à l'atelier. Tout simplement pour créer un lien fort. Et plus vous gardez vos gens, plus vous les motivez, plus c'est important. Par ailleurs, tout nouveau collaborateur qui entre dans le groupe reçoit une petite formation que nous appelons "90 minutes pour mieux nous comprendre". C'est notre stage nouvel entrant duquel nous lui présentons qui nous sommes, comment nous fonctionnons, quelles sont nos attentes, quels sont les avantages qui leur sont réservés, quelles sont les conditions que nous lui accordons s'il veut acheter un véhicule… Bref, quand quelqu'un arrive chez nous, on ne lui dit pas : "Tiens, voilà ton bleu, va prendre la voiture qui est sur le parking". Avant cela, on leur dit à qui ils vont avoir à faire, de sorte qu'il n'y ait pas de décalage entre les personnes qui travaillent depuis de nombreuses années dans le groupe et les nouveaux qui vont venir s'y intégrer.
JA. Vous êtes aujourd'hui à la tête d'un groupe qui représente 10 marques et affiche une douzaine de sites. Vous dites pourtant que l'Espace Thirion reste l'exemple de réussite. A quoi cela tient-il ?
J-PL. L'Espace Thirion est une affaire qui a démarré tout de suite et correctement. Par la suite, c'est vrai que j'ai repris d'autres affaires, j'ai ouvert d'autres concessions, avec d'autres marques. Mais il y a des endroits où cela s'est passé moyennement. Il a souvent fallu changer tel ou tel directeur, tel chef d'atelier, tel chef de services… On n'a pas connu le même succès que nous avons connu à l'Espace Thirion. Quand j'ai démarré avec cette concession, chaque jour, il y avait du plaisir, de la joie et l'envie de réussir. J'ai de suite apprécié le sentiment d'avoir un cap commun, d'être ensemble dans un même bateau.
JA. Chaque année, dans cette élection, un thème fort ressort des différentes candidatures. Cette année, c'est cette rigueur de fonctionnement. Est-ce votre viatique ? Est-ce un passage obligé en temps de crise ?
J-PL. C'est vrai que dans les différents articles que j'ai pu lire à mon propos, revient souvent ce mot rigueur. Ce n'est pas faux. Je suis cartésien, rigoureux, parfois intransigeant. On dit parfois que je suis un peu maniaque… Sur la propreté des locaux, l'alignement des véhicules dans le hall. C'est vrai. Je le reconnais. Maintenant, cette rigueur paye. Je pense qu'en période de crise, l'amateurisme coûte très cher. On a besoin de savoir où on est, où on va et comment on y va. Pour cela, il faut donc être rigoureux, mais surtout lucide. Par exemple, dans une telle période, on parle de réduction de coûts. Soit. Mais il faut faire attention. En début d'année, il n'est pas question de verrouiller tout et n'importe comment. J'appelle ça le design des coûts. Nous avons vraiment réfléchi à ce que nous allions faire. Nous avons par exemple doublé le budget publicitaire alors que certains l'ont sans doute réduit de moitié. C'était opportun. Par contre, nous avons supprimé un certain nombre de choses. Bref, c'est de la gestion pure. Je pense que la rigueur et la justesse des décisions font partie de ce que l'on incarne aujourd'hui.
JA. A propos de crise, quelles sont vos projections pour la souriante année 2010 qui s'annonce ?
J-PL. Tout le monde sait que nous aurons une année difficile. Cela pour deux raisons. D'abord, la baisse coordonnée de la prime à la casse et des seuils des bonus écologiques qui vont certainement impacter nos activités. C'est évident. On parle de 300 euros de baisse pour la prime, mais on va aussi avoir des voitures qui perdront 500 euros de bonus. C'est-à-dire que sur une voiture moyenne, nous aurons 800 euros de pouvoir d'achat en moins. La deuxième chose, c'est que l'on a parlé de crise financière, puis de crise économique. Aujourd'hui, nous arrivons petit à petit à une crise sociale. On parle de 450 000 chômeurs en plus cette année. Si je ramène ça à un marché potentiel de 2 millions, on doit être à 25 ou 30 % d'acheteurs potentiels qui ne viendront plus dans nos concessions. Il ne faut pas se leurrer. C'est inéluctable. D'ailleurs, récemment, nous avons eu une convention Nissan. On nous a annoncé un marché 2010 en recul de 15 %. Chez Renault on a parlé d'une fenêtre de - 8 à - 10 %. Je crois que la vérité est entre les deux.
JA. Xavier Saison, vous mettez cette rigueur en œuvre sur le site. Vous êtes un peu le relais de cette politique, le chef d'orchestre. Pour vous, que recouvre cette notion et tout le monde y adhère-t-il facilement ?
XS. J'essaye d'appliquer la politique et les valeurs du groupe initiées par Jean-Paul Lempereur. J'essaye de faire partager ces idées. Ce n'est pas contraint et forcé. C'est-à-dire que je génère une adhésion autour de moi. Je pense réussir assez bien avec les cadres de la société. Je suis toujours partout dans le garage. Je ne suis pas dans ma tour d'ivoire en train de lire des chiffres et de donner des ordres. Non. Je suis dans les services. J'essaye d'apporter mon soutien à tout le monde, de partager mon savoir, mon expérience et je pense que c'est une des clés de la réussite. Aujourd'hui, je suis heureux et fier. Fier du regard de mon président. C'est pour moi très important. Mais je suis également fier que l'on dise de mes collaborateurs qu'ils sont les meilleurs. C'est mon carburant. Voilà notre manière d'être et finalement de fonctionner.
JA. Ces process établis ne limitent-ils pas la latitude de vos collaborateurs ?
J-PL. Prochainement, nous allons être en séminaire pour travailler sur nos prévisionnels 2010. Je suis convaincu que ce que va me proposer Xavier, en termes de volumes, en termes d'effectif, sera juste. Parce que cela aussi fait partie de mon management. Ce n'est pas moi qui dit à Xavier : "l'année prochaine, tu me feras ça". C'est lui qui, en fonction de ses effectifs et de l'endroit où il se trouve, qui va me dire ce qu'il peut m'apporter et la manière dont on va fonctionner. Alors, bien sûr, ça passe après en pilotage avec Olivier Wandels, directeur général du groupe, puis Paul Ponche, directeur administratif et financier. Et tous les trois, ensemble, nous allons donc valider notre feuille de route pour 2010. Voilà notre manière de faire.
JA. On sait que la satisfaction client est l'un de vos pré-carrés. Cela prend forme notamment par ce système de cartons verts et rouges que chacun doit désormais connaître. En termes de gestion, cela n'est-il pas lourd à gérer ?
XS. Effectivement, on traite les retours immédiatement chaque jour. Quand il y a un carton rouge, c'est-à-dire une insatisfaction client, cela remonte aux managers concernés. Cela nous permet d'avoir un retour immédiat. On revient sur la rapidité de réaction dont on parlait tout à l'heure sur le VO. Il faut aller vite. Si le client a rendu son carton dans un délai de 3 ou 4 jours, nous y répondons dans les 48 h qui suivent. Cela permet de ne pas laisser envenimer la situation. C'est un procédé qui n'est pas trop compliqué à gérer au quotidien. Cela nous permet d'avoir une vision globale de nos services, aussi bien à la vente qu'à l'après-vente. Parfois, ça nous oblige à nous substituer au constructeur, sur une insatisfaction client liée à la qualité du produit. Ce n'est pas toujours évident, mais le maître mot reste le même : pas d'attentisme.
JA. Yves Pasquier-Desvignes dit de vous que vous êtes sans complaisance avec vos employés comme avec le constructeur. Qu'est-ce que cela signifie pour vous ?
j-PL. Je le redis, je suis cartésien. Je dis toujours ce que je pense. Je n'envoie jamais quelqu'un le dire à ma place. Je préfère le dire moi-même. Quand on voit en 1re page du Monde ou des Echos que Opel va déposer le bilan et que ça va être la faillite, vous vous doutez bien que, au regard des capitaux investis dans nos affaires et des risques financiers que nous prenons tous les jours, il faut rassurer. C'est sûr. Mais il fallait aussi se dire les choses pour avancer. Je l'ai fait. Mais Yves sait que quand je dis les choses, c'est souvent la passion que j'ai pour cette marque qui parle. Je veux qu'Opel grandisse car, au regard des produits et du réseau que nous avons aujourd'hui, la position de la marque n'est pas celle qu'elle mérite.
JA. Quand on regarde votre portefeuille de marques, on s'aperçoit qu'il y a peut-être encore la place pour une marque premium. Est-ce à l'étude, attendez-vous juste une opportunité ou ce n'est pas du tout à l'ordre du jour ?
J-PL. J'ai bâti ma croissance uniquement sur les différentes opportunités que j'ai pu avoir. Je ne me suis jamais dit : "Je veux tant de concessions, tant de marques, je veux une affaire là ou là". Ce sont toujours les constructeurs qui m'ont sollicité, parce qu'à un moment donné, ils ont reconnu le professionnalisme du groupe, la qualité de mes équipes, la façon dont nous fonctionnons ou notre bonne situation financière. Si demain il y a une opportunité sur une marque premium, on l'étudiera. Et s'il y a un réel potentiel, je répondrais oui, mais toujours avec cette stratégie régionale qui est la mienne. Nous n'irons pas en dehors de notre base qui est le cœur du bassin minier. J'ai toujours pensé que l'efficacité dont nous faisons preuve aujourd'hui était avant tout la conséquence de cette implantation maîtrisée. On m'a déjà proposé des affaires sur Valenciennes ou Boulogne-sur-Mer. Mais j'ai refusé. Je préfère être connu et reconnu sur ma zone plutôt que de m'éparpiller et perdre cette reconnaissance.
Propos recueillis par Alexandre Guillet et David Paques
Photo : Sous les yeux de son président, Xavier Saison évoque les raisons qui ont fait le succès de l'Espace Thirion.
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