Innover vers le bas pour relancer la demande VN
...des années. Il y a pourtant un réservoir de croissance qui se situe dans le marché VO, lequel est hypertrophié et survalorisé. J'ai essayé de le démontrer dans une chronique d'il y a quelques mois. Je persiste et signe. Et j'y reviens pour proposer quelques axes de réflexion, en rappelant que les deux marchés (VN et VO) doivent être vus comme des vases communicants : il existe une clientèle contrainte financièrement, qui n'achète des VO que parce que l'offre VN qui pourrait l'intéresser est inexistante. Comme ceci peut encore surprendre, il convient d'abord de se libérer de quelques dogmes anciens.
Quelques fausses certitudes
"Le marché européen est saturé." Cette affirmation, unanimement acceptée, est à l'origine des politiques de soutien de la demande qui vont de la surenchère promotionnelle au renouvellement accéléré de la gamme en passant par l'élargissement de l'offre VN. L'ennui est que tout se passe à l'intérieur du même macro segment qui, lui, est effectivement saturé : c'est celui des véhicules toujours plus riches, et trop chers. Quel que soit le niveau de gamme, on s'adresse à une seule catégorie de consommateurs : ceux qui, comme on dit dans les chaumières, "ont les moyens". Et les autres, ceux qui, faute de mieux, se rabattent sur le marché de l'occasion ? C'est ici qu'entre en jeu une deuxième vieillerie intellectuellement sclérosante : "L'offre VN est assez différenciée pour satisfaire les acheteurs actuels de VO, dès qu'ils ont un revenu suffisant pour franchir le pas qui les sépare des VN." C'est faux : même s'il peut se permettre de dépenser entre 6 000 et 8 000 euros, le consommateur ne trouvera pas, par exemple, une voiture à quatre portes et cinq places, utilisable à la ville comme à la route, dotée d'un vrai coffre à bagages. Il trouvera en revanche quelques petites voitures essentiellement citadines, élégantes et bien équipées, mais dont l'espace interne ne consent pas d'avoir en même temps cinq personnes à bord et les bagages d'icelles.
Deux pistes de réflexion
Un bon exercice de brainstorming (avant enquêtes et études diverses) peut consister à s'interroger "a priori" sur les besoins des consommateurs économiquement contraints. Par exemple : ont-ils besoin d'un véhicule dont le cycle de vie est de cinq ans seulement avant le premier "face lifting" ou "restyling" ? Quelle importance donnent-ils à la possibilité de réparer eux-mêmes leur véhicule (Do It Yourself) et que pensent-ils de la complexité technique des véhicules en vente actuellement, VO compris ? Quel rôle joue le style dans leur choix ? Comment ressentent-ils le fait d'accéder à une voiture neuve : prestige, promotion sociale, indifférence ? Il faudrait, en même temps, penser à quelques véhicules possibles. Il y a deux sources d'inspiration : l'imagination sans filtre et un passé lointain (les années 60) où l'offre répondait, partiellement mais mieux qu'aujourd'hui, aux attentes d'une clientèle VN contrainte et, alors, majoritaire. Il ne s'agit pas de ressusciter, par exemple, la... Simca 1000 ! Mais de voir ce qui, dans ce type de véhicule, pourrait répondre conceptuellement aux nécessités d'un acquéreur potentiel d'aujourd'hui. Après tout, il s'agissait d'un véhicule bon marché (pas assez), avec un vrai coffre, quatre portes, quatre ou cinq places, simple à réparer (pas d'électronique !)... et qui était une "vraie" voiture, au sens où on l'entend peut-être encore aujourd'hui, dans cet autre macro segment, inexploré, des acheteurs de VO "faute de mieux".
La discipline d'une innovation "low cost"
Pour innover vers le bas, tout en assurant une rentabilité intéressante à l'entreprise, il est nécessaire de remettre en question les vérités acquises, comme la brièveté du cycle de vie, par exemple (dix ou douze ans sans restyling et sans autres interventions lourdes ?) ou comme la qualité des matériaux (zéro "soft touch" et autres caprices de "riches" ?), ou encore comme le confort et l'équipement (pas de lève-vitre électrique, une banquette unique à l'arrière, zéro électronique sauf obligations légales). Le risque est de réintroduire des enrichissements du produit, pour séduire les consommateurs du premier macro segment. Dans ce cas, l'échec est probable.
Ernest Ferrari