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Distribution

Fiscalité : les distributeurs réagissent

Publié le 19 décembre 2019

Par Alice Thuot
7 min de lecture
Les annonces en matière de fiscalité automobile ont été nombreuses ces derniers jours. De quoi faire réagir les acteurs de l’automobile et plus particulièrement les distributeurs, en première ligne.

 

Durcissement du malus, succession de trois grilles en trois mois, surmalus de 20 000 euros, coup de rabot plutôt radical sur le bonus : les (mauvaises) nouvelles se sont enchaînées pour l’industrie automobile et sont parfois difficile à digérer. Preuve en est avec ces réactions parfois ulcérées des distributeurs. "Toute la politique mise en place par le gouvernement en matière de fiscalité automobile va à contre-courant. On nous culpabilise pour lutter contre le CO2, on nous parle de mesures fiscales en faveur de la qualité de l’air, mais nous avons plutôt l’impression que ces mesures sont faites pour augmenter les recettes", souligne Jean-Michel Lain, dirigeant du groupe Jean Lain.

 

Un avis partagé par Franck Mariscal, dirigeant du groupe Mariscal, qui déplore le durcissement du malus et l’acharnement ressenti sur le secteur automobile alors que d’autres, également gros émetteurs de CO2, semblent, pour le moment, s’en tirer à meilleur compte. "Je peux comprendre qu’il y ait une réalité écologique et qu’il faut en tenir compte. Ce qui pose problème, c’est que l’automobile n’est pas le plus émetteur, donc pourquoi oublie-t-on les bateaux, les poids lourds, avec tous les transporteurs que nous voyons sur nos autoroutes ? Ce sont aussi des secteurs polluants et qui, aujourd’hui, n’ont pas ou peu de contraintes."

 

La double peine

 

D’autres soulignent une fiscalité automobile incohérente, entre diesel bashing et chasse au CO2. "Tandis que la fiscalité appliquée aux entreprises favorise le diesel avec la récupération de la TVA, de l’autre, le discours général descend en flèche ce carburant. Mais parallèlement, l’essence fait augmenter le CO2. D’un autre côté, on a l’impression que l’unique réponse se trouve dans l’électrique, mais les infrastructures ne sont pas encore en place. C’est vrai que l’automobile est très taxée en France, peut être même plus qu’ailleurs et que sous couvert, souvent, d’écologie et de bonnes pratiques citoyennes, on taxe à mort les utilisateurs particuliers et sociétés. Et cette fiscalité n’est pas toujours très cohérente", souligne Xavier Trujas, dirigeant du groupe Carwest.

 

Luc Chatel, président de la PFA évoque quant à lui, à travers le durcissement du malus et le bonus réduit, une double peine pour le consommateur. "Le grand risque est que tout le monde soit perdant : l’industrie, l’écologie et le pouvoir d’achat des Français", déplore-t-il. "On attaque 2 % du malus avec des mesures anxiogènes et qui mettent une majorité de personnes en colère. Les gens en ont marre de payer des taxes. Sans compter qu’avec ce malus, l’Etat se prive de la TVA sur certains véhicules", appuie Gérald Richard, dirigeant du groupe Amplitude.

 

Inquiétude en matière d’emplois

 

La santé du secteur automobile, l’un des plus importants de France, s’impose effectivement comme un réel motif d’inquiétude. D’une part puisque le malus pousse logiquement les constructeurs à se réorienter vers des véhicules de segment inférieur, moins rentables et souvent produits hors de France, coût de fabrication oblige. D’autre part, parce que le bonus raboté pourrait légitimement freiner le développement des modèles électriques, pourtant indispensables à la pérennité des constructeurs en Europe, au regard de leurs objectifs personnalisés à atteindre….et des fortes amendes encourues en cas de non conformité. "Nous surjouons la partition et avons toujours des doutes sur la motivation profonde de ce genre de mesures fiscales. Les conséquences que peuvent avoir ces mesures sur l’emploi, l’industrie automobile française et notre économie, déjà pas très florissante, sont totalement sous-estimées", observe Gérald Richard.

 

Les associations actives dans l’automobile ne sont pas moins heurtées, comme le montre la réaction du délégué général du CNPA, Xavier Horent, excédé par la baisse significative du malus dès 2020 pour les particuliers et 2021 pour les entreprises. "Un coup de rabot sans surprise, hélas ! Plus grave, en l’absence de fléchage du produit du malus pour financer le bonus, il s’agit d’un impôt qui ne dit pas son nom. La trajectoire du malus d’ici 2022 devra, espérons-le, suivre celle du bonus : à la baisse. Cette mesure, qui pénalise à la fois les entreprises et la formation à moyen terme d’un marché du véhicule électrique d’occasion, doit être compensée par des exonérations de TVS. C’est le minimum, pour ne pas compromettre la réalisation des objectifs fixés dans le contrat stratégique de filière - un contrat signé par l’Etat", prévient-il.

 

L’impact sur le business des distributeurs 

 

Au-delà de la menace sur les emplois de la filière, les distributeurs s’interrogent sur l’impact sur leur business. "Pour 2020, nous ne sommes pas inquiets mais méfiants", résume Franck Mariscal. Pour tous, cette fiscalité, qualifiée unanimement de "punitive" et "incohérente", n’aurait visiblement pas d’autre intérêt que de remplir les caisses de l’Etat. Et provoquerait au passage une belle confusion dans l’esprit des consommateurs qui ne savent plus à quel saint se vouer. "Le discours ambiant n’incite pas à acheter du diesel. D’un autre côté, les clients se rendent compte qu’ils consomment beaucoup plus en essence. Nous sentons depuis quelques mois que les annonces autour de l’automobile perturbent beaucoup les consommateurs et les gestionnaires de parc", détaille Xavier Trujas.

 

"L’application de ce genre de politique en faveur du renouvellement du parc part d’une bonne intention, mais cela engendre un coût supplémentaire pour le client. Il est bien d’être dans ce schéma et de tenir compte de la contrainte économique, mais il faut donner une limite à tout ça", complète Franck Mariscal. Gérald Richard prévoit une année 2020 compliquée pour tout le monde, mais plus particulièrement pour la plupart des constructeurs premium et leur réseau. "Ces mesures vont avoir pour impact de couper une partie du commerce dans les marques premium ou pour les modèles haut de gamme. Prenons l’exemple de la Ford Mustang, une voiture sympa, iconique, qui affiche un prix abordable par rapport à sa puissance, ses images et à ses concurrentes sportives allemande. Cette mesure va tuer cette voiture, avec un malus qui pourra atteindre 35 % de son prix". Avec à la clé, une perte de recettes potentielles aussi bien du côté de l’Etat que des distributeurs et des constructeurs. "Nous en vendrons moins ou plus du tout, peut être que le constructeur ne l’importera plus. Ce type de véhicule ne représente pas un volume exceptionnel, mais sa vente est lucrative et permet pourtant de dégager quelques marges", illustre Gérald Richard qui estime en revanche qui l’impact sera moindre sur les véhicules très haut de gamme. Le dirigeant prévoit un phénomène de rejet immédiat puis un redoux. "Nous devrons forcement faire un effort dans les conditions commerciales."

 

Prudence sur les prochains investissements

 

Les distributeurs, qui sortent déjà d’une année 2019 mitigée, ne se font pas d’illusions. Pour eux, ces décisions auront irrémédiablement un impact sur leur niveau d’activité. "Nous l’avons par exemple bien vu avec les nouvelles modalités de la prime à la conversion, illustre Jean-Michel Lain. Avant, nous réalisions une centaine de dossiers par mois. Nous sommes tombés à cinq aujourd’hui." Et il prévoit, en conséquence un début d’année très calme. "Le marché va souffrir de cette complexité et du manque de stabilité. Tous les deux jours nous avons une nouvelle annonce ! Les clients sont complètement perdus." Des mesures qui, chez certains distributeurs, incitent à la prudence quant à leurs potentiels investissements.

 

"En termes de fiscalité, cela fait beaucoup au même moment. On ne sait pas très bien ce que ça va donner. Peut-être que ce sera business as usual", souligne Jérôme Daumont, dirigeant du groupe Altaïr. Qui entrevoit toutefois une période plutôt compliquée, notamment sur les deux premiers mois de l’année 2020. "Ce sera une période où nous ne saurons pas vraiment où nous irons. Nous allons y aller très prudemment sur les prochains investissements. De ma fenêtre, je pense que nous ne sommes pas à l’abri de quelques perturbations. Et dans ces périodes de turbulences, mieux vaut se focaliser sur son core business et épargner son temps de cerveau disponible."

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