Agilité et multimarquisme
...telle est la question. C'est une vraie question, de celles que devraient se poser ceux qui, parmi les concessionnaires, ont cru ou espéré tout d'abord que le règlement ne passerait pas, ensuite qu'il allait être anodin, enfin que la clause de localisation ne serait pas abolie. Comme on le sait, le règlement est passé. Comme certains en font l'expérience, il n'est pas anodin. Comme on pouvait s'y attendre, la liberté d'établissement entrera en vigueur le 1er octobre prochain. On pouvait aisément l'imaginer, parce qu'il s'agit de la pièce maîtresse de la nouvelle réglementation, ce qui avait d'ailleurs été clairement exprimé par la Commission européenne dès la publication du règlement. Il y avait, dans les dispositions, un déséquilibre flagrant : alors que la liberté d'établissement est chose faite pour l'après-vente depuis le 1er octobre 2003, elle a été retardée de deux ans pour la vente VN. Ceci à la demande des associations de constructeurs et de concessionnaires, dans le but de donner aux acteurs du marché le temps de s'organiser. Les plus avisés ont déjà pris leurs dispositions. Les autres ont pris du retard, mais rien n'est perdu pour qui accepte les règles du jeu de la concurrence.
Concession 2005 : l'agilité
Accepter de jouer le jeu de la concurrence, c'est d'abord prendre en compte la fin de l'exclusivité territoriale. Grâce à la liberté d'établissement, des succursales de vente pourront s'établir au voisinage d'une concession de la même marque. La chose peut effrayer ou stimuler à l'action, selon les capacités financières et l'esprit d'entreprise des intéressés. Il est certain que le métier de distributeur, s'il l'a jamais été, n'est plus aujourd'hui affaire de dilettantes : nous allons vers une forte professionnalisation de la catégorie. Il y faut de véritables qualités d'entrepreneur, ce qui signifie à la fois vision stratégique et sens des opportunités commerciales. Une concession doit, en effet, d'abord être vue comme une entreprise agile, capable de s'étendre et de se déplacer, d'ouvrir de nouveaux sites et d'en fermer d'anciens, bref d'évoluer dans le temps, en fonction de décisions rationnelles et non sous contrainte. Rien n'est facile dans tout ceci, sauf si on est dans le désert et sous une tente facile à démonter (ce qui est assez rare dans le commerce automobile), mais il faut commencer par là. Les conséquences en sont multiples, tant en ce qui concerne les choix d'emplacements que la destination des ressources financières, par exemple. Ceci ne signifie pas qu'une entreprise de grande taille ait un quelconque avantage par rapport aux autres, ni que les "grands méchants groupes" puissent aisément bousculer tout le monde.
Concession 2005 : le multimarquisme
La concurrence est faite pour les consommateurs ; pour gagner, les distributeurs "agiles" doivent aller vers eux. Pour faire simple : "hors du multimarquisme, point de salut !". Sans revenir sur des évidences maintes fois énoncées, je voudrais m'en tenir à quelques points fondamentaux. D'une part, la vente de plusieurs marques dans les mêmes locaux, finalement praticable grâce à la liberté d'établissement, est la seule formule qui permette au distributeur de s'affranchir de la tutelle du (ou plutôt, dans ce cas, des) constructeur(s). Il peut même, s'il est assez habile, transférer sur les fournisseurs qui sont les siens l'essentiel de la pression concurrentielle intermarque. D'autre part et surtout, l'entreprise de distribution multimarque a plus de chances que les autres de faire valoir sa propre marque en laissant au second plan les marques représentées (pensez à l'électroménager). Ici encore, rien n'est facile : la concession 2005 devra choisir son positionnement sur le marché, sa marque, sa politique de communication. Etre multimarque et "agile", c'est sans doute remplir deux conditions nécessaires pour gagner sur le marché. Mais chaque entreprise doit, pour cela, choisir "son" multimarquisme et "son" agilité. C'est ici que toutes les erreurs sont possibles… sauf une, qui est la plus grave : celle qui consiste à laisser à d'autres le choix de son propre avenir. L'époque du "on verra bien" est, de ce point de vue, loin derrière nous.
Ernest Ferrari, consultant