Suspensions, freinage : Les constructeurs, consultants en législation
...client final ?
Le constructeur conçoit les organes de ses véhicules en fonction de cahiers des charges généraux incluant les objectifs marketing de la marque, mais aussi le respect d'un certain nombre de textes réglementaires. Chacun doit, en effet, se soumettre au verdict de l'homologation, précieux sésame délivré par un organisme européen, (UTAC, TuV…) qui autorisera la commercialisation d'un véhicule. En amont de la conception, il convient avant tout de maîtriser complètement et finement les textes, réunis sous formes de directives européennes. Un bureau d'études de liaison au sol doit même être capable de se projeter dans le futur, d'anticiper les évolutions possibles de la législation.
En freinage tout d'abord, les textes évoquent en premier lieu des normes d'efficacité pure, pour lesquelles les tests s'articulent autour de distances d'arrêt à respecter, de performance du frein de parking par exemple… Il faut également satisfaire aux essais du mode de défaillance du système de freinage, lui aussi réglementé. Tout constructeur doit doter ses voitures d'une solution de secours à l'efficacité normalisée en cas de défaillance du circuit principal. Selon les véhicules, les solutions techniques peuvent prendre plusieurs formes. Soit on décide d'isoler le freinage de l'essieu avant par rapport à l'arrière. Soit on utilise des circuits croisés, C'est-à-dire qu'en cas de défaillance de freinage sur une roue avant par exemple, l'autre roue de l'essieu freine encore, tout comme la roue arrière opposée, en diagonale. Cette configuration hydraulique s'est largement imposée, pour atteindre plus facilement les objectifs fixés par la législation. Une législation qui impose d'avoir des circuits indépendants, certes, mais qui laisse le choix à chacun de la technique utilisée pour atteindre la norme. En fin de conception, le constructeur est toutefois tenu de présenter à l'organisme de validation un dossier papier, décrivant les procédés mis en œuvre. Diamètre de maître cylindre, des pistons dans les étriers par exemple… Tout est très précisément analysé, afin de donner un maximum d'informations. "Il s'agit d'une sorte d'engagement sur la conformité de la voiture présentée à l'homologation", analyse Patrice Méchin, chef de conception liaison au sol pour Renault. Ensuite, par des essais dynamiques, l'organisme agréé valide le respect des normes. Bien sûr, si la voiture évolue au cours de sa vie (nouveau moteur par exemple), et qu'il faut adapter freins et suspensions, d'autres validations seront nécessaires. Soit par simulation informatique, soit par une autre séance d'essai.
Si le freinage répond à des normes draconiennes, il n'existe pas vraiment de texte réglementaire précis dans le domaine de la suspension. L'amortissement, aussi flou en première monte qu'au contrôle technique, ne répond à aucune mesure physique et est donc laissé à l'entière responsabilité de son concepteur. La législation n'influe sur la suspension que de manière indirecte, souvent liée au freinage. Ainsi, des problèmes de stabilité au freinage ou de délestage de trains, peuvent donner lieu à une révision de copie sur le système d'amortissement. Certaines autres directives, récentes, peuvent légèrement toucher la suspension. Il s'agit notamment des aspects d'attitude constante des phares pour les projecteurs xénon, qui obligent les constructeurs à prévoir des capteurs liés à la suspension, permettant la correction de l'assiette des phares.
Conformes ou pas conformes ?
Les passages des voitures devant les organismes agréés ne sont souvent que des formalités. Les constructeurs connaissent si bien les textes législatifs qu'il est quasi impossible qu'ils en oublient un détail. Eric Fenaux, responsable synthèse dynamique routière chez PSA, reconnaît que "les systèmes de freinage et de suspension sont largement surdimensionnés, et testés, en interne, à de multiples reprises pendant le développement d'un projet. Certains organismes de validation utilisent même nos installations d'essais pour leurs tests, c'est dire si l'on travaille sur les mêmes bases". En revanche, il est possible qu'une innovation se présente à la marge des règles législatives. Inconnue du législateur, elle peut alors se heurter à un texte, sans pour autant qu'elle soit à proscrire. Par exemple, quand Renault a installé le contrôle de stabilité (ESP) sur ses véhicules, les ingénieurs avaient imaginé une loi de commande spécifique. Elle consistait à réduire drastiquement la vitesse globale du véhicule par un freinage sur 1, 2, 3, ou même 4 roues, pour préparer une action plus efficace par la suite de l'ESP qui freinait alors une roue déterminée, selon qu'il fallait corriger du survirage ou du sous-virage. Le problème, c'est que ce détail s'est heurté à la contrainte législative suivante : "on ne peut pas freiner automatiquement une voiture sans une action du conducteur sur le système du freinage." Le système ESP, seul, n'était pas touché par cette contrainte car il ne freine qu'une roue à la fois et n'est donc pas assimilé à un système qui fait chuter la vitesse. En revanche, la stratégie de Renault, agissant simultanément sur plusieurs roues, a été assimilée à un système de freinage actif. Donc, à la marge du texte, ça ne passait pas.
Le constructeur a donc dû négocier à Bruxelles pour expliquer la plus value de son système pour le consommateur et ainsi faire évoluer le texte.
Ce qui nous mène naturellement aux moyens dont disposent les constructeurs pour faire avancer les réglementations et les obstacles qu'ils rencontrent dès lors. Modifier la législation n'est pas chose aisée. Un constructeur ne peut évidemment pas décider seul de faire évoluer un texte. Il doit présenter des arguments, expliquer en quoi l'évolution est intelligente. Mais cela ne suffit pas ! Celui qui souhaite un changement doit également parvenir à une non opposition des autres constructeurs. Certains pourraient en effet ressentir des soucis d'adaptation en terme de R&D par exemple, dans le cas d'une nouvelle obligation législative. Enfin, autre frein. Une fois qu'un texte se retrouve validé à Bruxelles sur l'utilisation d'une nouvelle technologie, elle peut être rendue obligatoire pour tous et tombe ainsi naturellement dans le domaine "public" ce qui dévoile aux autres constructeurs un certain nombre de stratégies confidentielles, les valeurs ajoutées du concepteur du système… Il est ainsi facile d'imaginer qu'un constructeur puisse décider de ne pas présenter une innovation, pour conserver une certaine avance technologique.
Les lacunes de la législation
Aujourd'hui, seule l'efficacité est réglementée. Il n'y a pas vraiment de textes concernant la fiabilité de pièce de freinage ou de suspension. Sur ce thème, la responsabilité du constructeur ou de l'équipementier sur son produit prévaut. Devant la loi, chaque concepteur et vendeur est tenu de fournir un produit fiable. Bien sûr, dans le cas d'une anomalie sécuritaire avérée, tout constructeur a le devoir d'avertir le législateur, mais c'est le seul exemple dans lequel la fiabilité rencontre la législation. Pénalement responsables, les constructeurs ne sont pourtant absolument pas contrôlés sur la fiabilité de leurs composants, au même titre qu'un fabricant d'électroménager. C'est une question de confiance et de responsabilité.
Le marché de la pièce de rechange renferme, lui aussi, quelques anomalies croustillantes. Si un véhicule qui sort d'usine est soumis a des contraintes réglementaires strictes, ce n'est pas le cas de la pièce de rechange. Sur le freinage, on peut trouver des éléments non-conformes à ceux validés avec le législateur. Pas sur la sécurité bien sûr, mais sur d'autres critères, comme la longévité, ou encore l'efficacité dans l'effort. La norme R90, par exemple, est galvaudée dans le sens où une pièce y satisfaisant peut se révéler beaucoup moins bonne que la pièce d'origine.
Pour les constructeurs, il faudrait imposer au marché de la rechange les mêmes contraintes législatives qu'en première monte. On comprend bien sûr l'intérêt de la démarche, même si elle est difficile à mettre en place, notamment sur les voitures anciennes. En effet, comment retrouver aujourd'hui un véhicule âgé de 15 ans, dans l'état de conservation suffisant pour lui faire passer des tests sur un amortisseur X ou une plaquette Y en vue de leur homologation. C'est l'un des freins à la généralisation de standards uniques pour le marché de la rechange. Et c'est peut-être pour cela que les constructeurs, pour avoir leur part du gâteau, ont créé leurs propres marques de pièces. Motrio ou Eurorepar se posent ainsi en marques du second niveau, destinées à rivaliser avec les marques de seconde monte. Si l'efficacité pure reste identique à l'origine, c'est en fait sur la longévité que se joue le différentiel prix. Un paramètre peu ou pas réglementé.
Où va-t-on ?
Dans les domaines de la suspension et du freinage, les évolutions de la réglementation sont rares. Comme nous l'évoquions plus haut, elles sont souvent liées à des innovations technologiques. L'actualité de la législation s'oriente notamment sur l'allumage des feux de détresse en cas de freinage d'urgence. Un principe utilisé certes, mais qui reste encore "non-conforme" à la législation. "Si l'on prend le texte à la lettre, il est interdit de faire clignoter des feux, en dehors de la fonction d'indicateur de direction", avoue Patrice Méchin. Les warnings constituent une exception en cas de détresse et ne doivent pas apparaître en roulage… Ceux qui utilisent l'allumage des feux de détresse en cas de freinage d'urgence le font donc sur dérogation. Mais la dérogation n'a valeur que de tolérance, et non de loi. Chacun met donc en place son propre système. Pourtant, dans un souci d'homogénéité pour le client final, tout le monde a intérêt à uniformiser les standards de cette technique. Le seuil de décélération qui déclenche l'allumage par exemple, doit être le même pour tous. Les constructeurs sont donc en train de faire admettre aux pouvoirs publics que, sur certains niveaux de forte décélération, un tel système, réglementé, apporterait une alerte supplémentaire au conducteur suiveur. Si tel est le cas, un texte apparaîtra, autorisera le système, et posera des conditions, des valeurs à respecter, identiques pour tous.
Comment faire bouger la législation ?
La législation évolue selon deux cas de figure. Soit les constructeurs présentent spontanément des innovations qui améliorent la vie de l'automobiliste et font donc évoluer logiquement les textes. Soit les innovations sont le résultat d'une demande émanant des pouvoirs publics. Par exemple, cela peut partir d'un objectif de réduction de la mortalité des piétons, donné par la Commission européenne. A partir de là, des experts indépendants, universités ou autres, présentent des innovations techniques, qui peuvent prêter à une modification de la législation. Dans ce cas, un dialogue s'instaure entre les pouvoirs publics et les constructeurs. Positionnés comme des consultants-experts techniques autour des législateurs, ils consultent les propositions et s'enquérissent de la faisabilité technique et de la viabilité économique de ces propositions. Ils peuvent également, le cas échéant, proposer des contre mesures. Beaucoup de paramètres sont liés, et l'alchimie, l'équilibre, est le résultat de la confrontation entre la volonté toujours plus grande de bien faire du législateur, pondérée par le niveau de compétence technologique des constructeurs. Encore faut-il que chacun ait relativement confiance dans le jugement de l'autre. Sur l'exemple de la sécurité des piétons, les constructeurs militent actuellement pour la généralisation de l'AFU (aide au freinage d'urgence). Car en étudiant l'accidentologie, il s'avère que cette solution, facile à mettre en œuvre, se révélerait aussi convaincante que la proposition initiale des experts, à savoir le capot actif.
Frédéric Richard
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