Sergio Marchionne vu par...
...dans mon bureau soudainement. Il m'est apparu comme quelqu'un de très sérieux, à l'écoute et qui avait vraiment envie de changer la situation de Fiat.
JA. Pourriez-vous nous décrire l'homme et le manager ?
LDM. C'est un homme très intelligent avec une capacité de travail énorme, et doté d'une grande lucidité dans l'analyse et la synthèse des choses. Travaillant depuis trois ans avec lui, j'ai eu la confirmation de ce que je soupçonnais avant. C'est-à-dire que pour être un bon manager, il suffit peut-être de s'appliquer et de travailler dur, de s'engager à fond dans le travail. Mais pour être un très grand manager, ou un leader, il faut aussi avoir des qualités humaines et personnelles un peu extraordinaires et Sergio Marchionne est ce type de personne.
JA. Qu'attend-il de vous, de ses collaborateurs directs ?
LDM. Il attend que nous soyons très focalisés sur le succès de notre business, que nous soyons capables de prendre nos responsabilités et que nous traitions les marques de façon assez différente pour maintenir l'identité de chaque marque. Chaque marque devant être une valeur très importante de l'entreprise.
JA. Sergio Marchionne est connu pour s'entourer de collaborateurs jeunes, les "kids", pensez-vous que cela soit un gage de pérennité pour le groupe ?
LDM. Je ne sais pas, je commence à devenir vieux… plus sérieusement, ce qui est important c'est que Sergio Marchionne ait pris là, une décision très différente, très en rupture par rapport au type d'organisation que nous avions par le passé. Cela ne concerne pas uniquement les jeunes, je pourrais évoquer également la valorisation des compétences internes de l'organisation de Fiat, d'une entreprise qui a plusieurs décennies d'histoire et donc des gens qui savent très bien faire leur métier même s'ils sont plus âgés. Cependant, le fait d'avoir créé une équipe très jeune pour une marque comme Fiat a facilité son repositionnement parce que nous arrivons à comprendre plus facilement ce que les nouvelles générations veulent.
JA. Quelles sont les décisions de Sergio Marchionne qui vous ont surpris ?
LDM. Beaucoup des décisions qui ont été prises au début nous ont étonnés mais nous nous sommes vite habitués. Par rapport à l'organisation précédente, ce qui nous a le plus surpris, c'est l'aptitude de Sergio Marchionne à décider très rapidement. C'est quelqu'un qui a un niveau d'exigence très haut et qui aime bien rompre les équilibres et les conventions.
JA. Fiat était tenu pour mort il y a deux ans, aujourd'hui le groupe est cité en exemple, qu'est-ce que cela vous inspire ?
LDM. Que nous soyons cités en exemple nous surprend et nous fait plaisir mais ce qui est important c'est que nous poursuivions le parcours que nous avons commencé il y a trois ans, c'est-à-dire que nous continuions notre travail. Ce que nous avons fait - je parle pour la partie qui est sous ma responsabilité - c'est ce que le marché attendait d'une marque comme Fiat. Maintenant, pour les années à venir, nous avons un autre challenge, celui d'innover et non plus seulement de répondre à la demande et de faire quelque chose de réellement surprenant, quelque chose que jamais personne n'a fait auparavant.
JA. Avez-vous les produits, aujourd'hui, qui vous permettent de progresser ?
LDM. Fiat a une très belle gamme de produits actuellement, l'une des plus jeunes sur le marché européen. Des voitures comme la Panda, la Grande Punto et maintenant la Bravo sont certainement, j'en suis convaincu, des produits leaders dans leur catégorie. Nous lancerons très rapidement, au mois de juillet, la nouvelle Fiat 500, une voiture qui va radicalement encore une fois changer l'image de Fiat. Mon objectif c'est de faire de ces nouvelles voitures des piliers solides de la présence de Fiat sur tous les marchés européens. Il faut que la Bravo et la Fiat 500 se vendent en de très grands volumes. Par ailleurs, nous avons la possibilité - et cela fait partie déjà du plan qu'on a annoncé - de rentrer dans le segment des familiales avec un concept innovant. Je pense qu'il y a de la place, notamment à l'international, pour une voiture qui soit entre la Panda et la Grande Punto. Nous y travaillons activement et ce sera l'une des décisions très importantes pour le développement à l'international de la marque Fiat.
Olivier François, responsable de la marque Lancia
Journal de l'Automobile. Quelle a été votre impression lorsque vous avez rencontré Sergio Marchionne pour la première fois ?
Olivier François. L'effet "Marchionne", c'est un peu comme l'effet Kiss Cool. Dans la publicité, la personne mange le petit bonbon et se met à faire des choses hallucinantes. Pour moi, cela s'est passé de la même façon, je suis allé manger deux fois avec lui et après ces deux fois cela a été comme "lâcher un pays qui est le mien pour aller dans un pays qui n'est pas le mien". Je suis allé m'installer dans une ville que je ne connaissais même pas, travailler dans une société dont, à l'époque, l'avenir était incertain. Aujourd'hui, j'en suis très content. L'effet Marchionne, c'est comme l'effet Kiss Cool, on fait des choses incroyables et on est content après.
JA. Comment définiriez-vous les qualités du leader et les qualités de l'homme ?
OF. Je dirais que la plus grande qualité du leader c'est qu'il est resté un être humain, et la plus grande qualité de l'homme, c'est que c'est un énorme leader. En ce qui concerne les défauts, en tant qu'être humain il doit en avoir, mais je ne les ai pas encore trouvés.
JA. Qu'est-ce qui vous a le plus surpris dans ses actions ?
OF. Il y a une décision qui m'a beaucoup marqué mais pour des raisons personnelles, c'est le désir de relancer Lancia et de me donner les moyens de le faire. C'est une décision qui était difficile à prendre et qui inspire beaucoup de respect.
JA. Comment Sergio Marchionne se comporte-t-il face au risque ?
OF. Son attitude se résume en une phrase qu'il nous dit de temps en temps et qui m'a beaucoup impressionné : "Les hommes ne suivent pas les hommes, les hommes suivent le courage". Je crois que c'est quelque chose de très important parce que du courage pour vendre 300 000 Lancia en 2010, je crois qu'il en faut.
JA. Quelle est sa définition de l'exigence ?
OF. L'exigence, Sergio Marchionne n'en a pas beaucoup, il nous demande juste une chose, faire l'impossible ! Là aussi, il a une phrase qui m'a profondément marqué et que je trouve très belle : "La différence entre le possible et l'impossible ? Il n'y en a presque pas, l'impossible c'est juste un possible qui n'a pas été réalisé".
JA. Est-ce que Sergio Marchionne est quelqu'un de secret, mêle-t-il vie privée et vie professionnelle ?
OF. A-t-il une vie personnelle à protéger ? Je me pose la question mais pas très longtemps parce que je pense que, s'il a la même vie privée que moi ou que mes collègues, et c'est le cas, il n'a pas grand-chose à nous cacher.
JA. Qu'est-ce qui est important pour lui ?
OF. Se donner des objectifs impossibles et faire beaucoup mieux.
JA. Quelles sont ses ambitions pour Lancia et quelles sont les vôtres ?
OF. Il a toujours dit 300 000 voitures pour 2010. Les miennes ? 300 000 et une voiture un peu avant 2010.
JA. Si vous deviez dresser le portrait du groupe Fiat Auto aujourd'hui, quel serait-il ?
OF. Le tableau exact qui décrirait le groupe Fiat, je ne saurais pas exactement vous le dire. Ce que je peux dire, c'est que ce serait évidemment un tableau de la renaissance, italienne évidemment.
Franco Miniero, responsable de la marque véhicules utilitaires légers Fiat
Journal de l'Automobile. Vous rappelez-vous de votre première rencontre avec Sergio Marchionne ?
Franco Miniero. Je l'ai rencontré la première fois un lundi matin à 8 heures. Le dimanche soir, j'avais reçu un SMS qui me disait d'appeler dans les plus brefs délais son secrétariat. Le rendez-vous, le lendemain matin, a été tout de suite amical et révélateur et son style, un manager à l'écoute. Il prend le temps pour écouter ses collaborateurs, beaucoup si cela est nécessaire. Ensuite, il est très rapide pour prendre les décisions et il le fait de manière très structurée.
JA. Comment qualifieriez-vous son management ?
FM. Sergio Marchionne est quelqu'un qui a la capacité de laisser parler, de laisser expliquer. Il apprécie beaucoup et encourage les collaborateurs qui ont des idées, qui apportent des suggestions opérationnelles. Il a la capacité d'arriver toujours à une décision : lorsque vous quittez la salle de réunion, c'est avec une décision commune, prise avec lui. C'est très important, c'est ce qui fait la différence entre un grand manager et nous.
JA. Quelles sont les décisions qui vous ont le plus marqué ?
FM. L'évolution du groupe, ces dernières années, montre sa capacité à prendre les bonnes décisions. Elles ont changé complètement les résultats de Fiat. Il n'y a pas une décision qui soit plus surprenante qu'une autre, c'est le style dans son ensemble de gérer la compagnie avec un groupe de managers, une équipe en qui il place une grande confiance, qui étonne.
JA. Sergio Marchionne est connu pour s'entourer de collaborateurs jeunes, les "kids", pensez-vous que cela soit un gage de pérennité pour le groupe ?
FM. C'est un investissement très important, il a mis le "turbo" dans le groupe Fiat, dans l'équipe. Il nous a donné la possibilité, l'opportunité de gérer des secteurs importants et de nous laisser travailler.
JA. Comment se présente le groupe Fiat Auto aujourd'hui ?
FM. Fiat aujourd'hui est une compagnie qui a opéré un grand changement mais ce ne sont que les débuts. Le plan que nous avons présenté en novembre dernier montre nos objectifs pour les trois prochaines années, c'est un grand défi pour le groupe Fiat d'arriver en 2010 en position de leader dans le secteur automobile.
JA. Quelles sont vos ambitions pour le secteur des utilitaires ?
FM. Aujourd'hui, dans le secteur des véhicules utilitaires, nous avons changé toute la gamme. Avec le nouveau Doblo, le nouveau Ducato et aujourd'hui, le nouveau Scudo, le véhicule utilitaire a l'opportunité de gagner beaucoup de parts de marché au niveau mondial. Notre ambition c'est de devenir en quelques années, l'un des premiers acteurs dans le secteur utilitaire.
Antonio Baravalle, responsable de la marque Alfa Romeo
Journal de l'Automobile. Quels changements Sergio Marchionne a-t-il apportés au sein du groupe ?
Antonio Baravalle. Son travail concernant les produits de la marque et le redressement financier du groupe est remarquable. Mais sa plus grande œuvre fut surtout la motivation en interne qu'il a réussi à faire renaître. Il a fait apparaître un changement de culture dans le groupe. Il a fait tomber les barrières, les gens sont plus que jamais prêts à aller de l'avant. Aujourd'hui, grâce à lui, nous envisageons tous l'avenir différemment.
JA. Quelles sont ses qualités humaines ?
AB. Il a réussi à créer un groupe composé de personne prêtes à se battre pour l'avenir du groupe. Il est très respectueux des collaborateurs qui l'entourent et de leur manière de travailler. Il respecte toutes les idées d'où qu'elles proviennent.
JA. Quel est son style de management ?
AB. Il a une grande confiance dans la créativité de ses équipes. Il a instauré un grand respect entre nous. Il a créé une équipe où chaque membre possède sa propre spécificité. Il a apporté de la sérénité, de la tranquillité. Le secret de la réussite, c'est de savoir se remettre en question chaque jour pour aller de l'avant.
Roberto Ronchi, responsable de la marque Maserati
Journal de l'Automobile. Quand avez-vous rencontré Sergio Marchionne ?
Roberto Ronchi. La première fois que j'ai connu le docteur Marchionne c'était chez Maserati. Il venait à peine d'être nommé dans le groupe.
JA. Comment qualifieriez-vous son style de management ?
RR. Très informel mais en même temps très pointu. C'est impressionnant. Il a cette faculté d'aller en profondeur quand il aborde les choses. Il voit plus loin que la plupart d'entre nous. C'est définitivement un grand meneur et un passionné de voitures.
JA. Quelle est sa qualité principale ?
RR. Je dirais qu'il a la faculté de faire grandir les hommes. C'est très important. Je ne retrouve pas cette qualité chez n'importe qui. Il peut paraître dur au début, lorsque l'on ne le connaît pas. Mais on se rend vite compte que l'on apprend beaucoup à ses côtés.
JA. Un adjectif pour le qualifier ?
RR. Il va jusqu'au bout des choses. Il est très déterminé, pour tout. Par exemple, il ne termine pas une réunion sans être sûr que tous les points à l'ordre du jour ont été abordés. Chez Fiat, au cœur de la période la plus sombre, son objectif était de résoudre chaque problème, les uns après les autres. C'est sa détermination qui nous sauvé.
JA. Avez-vous douté à un moment de l'avenir du groupe ?
RR. Les résultats prouvent que nous avons eu raison de croire dans nos 4 marques que sont Fiat, Lancia, Alfa Romeo et Maserati. Certains proches, il y a quelque temps encore, ne croyaient plus dans l'avenir du groupe. Ils avaient peut-être raison à ce moment. Mais aujourd'hui, nous leur prouvons que c'étaient eux qui avaient tort. Sergio nous a guidé, il y avait beaucoup à faire, et il nous a prouvé que les miracles étaient encore possibles. Et malgré tout cela, il est resté très humble.
Propos recueillis
par Hervé Daigueperce et Alexandre Guillet
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