Sergio Marchionne élu Homme de l’Année !
...s'est finalement largement imposé comme l'homme d'action, le manager opérationnel d'un miracle à l'italienne qui a marqué l'exercice 2006.
"Dans les grands châteaux, quand le millésime n'est pas d'une qualité satisfaisante, il n'y a pas de vin cette année-là". Un tantinet abrupte, cette formule d'un membre du jury révèle cependant une sensation prégnante : 2006 n'aura pas été une grande année pour l'automobile. Forcément inexact si on se plie à la rigueur de l'examen de détail, ce constat s'explique en fait par l'accumulation des dérives de nombreux grands groupes. Au premier rang desquels on trouve General Motors et Ford qui ont abondamment nourri l'actualité avec leurs déboires (le premier vient d'ailleurs de reporter la publication de son bilan quand le second a annoncé une perte historique de près de 10 milliards d'euros). Le dérapage soi-disant contrôlé de l'Alliance Renault-Nissan reste aussi dans les esprits, surtout l'indicateur VP après prélèvement de la manne Logan et face à la proximité du couperet de 2009. Et que dire de certains équipementiers de premier ordre (Delphi, Visteon, Faurecia…) qui s'adonnent bien malgré eux à un concours de glissades… Enfin, la surenchère de ce qu'il est désormais pudiquement convenu d'appeler des plans de restructuration, qui s'accompagnent toutefois de plusieurs dizaines de milliers de suppressions d'emploi dans certains cas, contribue à renforcer la morosité du climat ambiant.
Sergio Marchionne ou… Luca di Montezemolo !
Dans ce contexte, histoire d'échapper aux diktats de l'économie, certains membres du jury ont été tentés d'élire un sportif, comme l'an passé avec Sébastien Loeb. Paradoxalement, Fernando Alonso recueille peu de suffrages qui, dans le périmètre Renault F1, se concentrent plus volontiers sur Denis Chevrier, maître es-moteurs et personnage toujours affable. En revanche, Michael Schumacher est mis en avant. "Il laisse une empreinte de géant sur le sport automobile ! L'annonce de sa retraite est un fait marquant de 2006 et de surcroît, même si sa décision était prise avant, il s'est battu jusqu'au bout, démontrant une énième fois sa superbe et son professionnalisme", s'enthousiasme un juré. "Mais il a échoué en 2006, il n'a pas gagné. C'est la seule loi immuable de la compétition", tranche un autre. Qui dit Michael Schumacher dit bien sûr Ferrari et par induction, Fiat qui détient à nouveau depuis cette année 85 % du joyau de Maranello. Largement cité à l'occasion du premier débat du jury (voir JA n°986 du 19 janvier), Sergio Marchionne revient naturellement sur le devant de la scène. Les résultats 2006 de la marque plaident en sa faveur (voir encadré) et l'ensemble du jury salue le spectaculaire redressement amorcé par Fiat. Un redressement qui surprend par sa vigueur et son ampleur, alors même que nombre d'observateurs et d'analystes financiers ne faisaient pas mystère de leur scepticisme il y a moins de dix-huit mois. L'homme de ce miracle à l'italienne, c'est Marchionne. "Oui, mais c'est aussi Luca di Montezemolo", objecte un juré avant d'étayer son argumentation : "Ce choix permet de réunir Fiat et Ferrari et les succès d'un groupe pris dans son ensemble. C'est l'homme des choix et des responsabilités finals". "Quand il est arrivé en 1974 chez Ferrari au poste de directeur sportif, la première impression qu'il a donnée renvoyait à l'idée reçue du bel italien un brin flambeur… Peu de gens prédisaient un grand destin à ce jeune inconnu. Mais il a réussi partout, à des postes très divers, chez Ferrari comme chez Fiat", renchérit un autre juré. La fragilité du redressement de Fiat, notamment sous l'angle de l'endettement, est alors brandie par les membres du jury estimant qu'il est encore trop tôt pour élire Sergio Marchionne et qu'il serait plus sage d'attendre au moins une année. Ce que résume cette métaphore : "Cela me fait penser à l'haltérophilie et plus précisément au porter-jeter. Sergio Marchionne a réussi la première partie de l'exercice, mais on ne peut pas juger sur un fragment. D'autant que le milieu automobile est coutumier des débuts réussis qui ne se confirment pas".
La force tranquille des allemands et de Toyota en mal d'incarnation
En plus de cette "concurrence interne" qui s'instaure dans cette élection, il convient de souligner le poids d'autres nominés, principalement allemands. Martin Winterkorn recueille ainsi plusieurs suffrages pour son bilan immaculé avec Audi et sa promotion chez Volkswagen. Parallèlement, Helmut Panke et les records de BMW font aussi sensation. Toutefois, il manque une étincelle, un éclat de passion susceptible de créer une adhésion forte aux deux hommes. En outre, certains membres du jury reprocheraient presque au premier d'être trop lisse : "Même si son efficacité est indéniable, c'est l'homme d'un système et fondamentalement, il n'a fait qu'embellir la mariée". S'il
FOCUSListe des membres du jury |
Sergio Marchionne : quand un italien casse un système italien
Sergio Marchionne est distingué comme l'homme d'action qui a piloté sur un mode opérationnel le sursaut de Fiat. "Il a véritablement donné une impulsion personnelle au groupe et ce choix rentre parfaitement dans le cadre de l'élection car il est empreint d'une forte identité annuelle", souligne un membre du jury. En outre, ce bourreau de travail qui boit café sur café n'a pas prescrit un traitement traumatique au groupe pour le sortir de l'ornière. Contrairement à ce qu'auraient fait nombre de managers, pas de fermetures d'usines en cascade et pas de licenciements massifs. "Les analystes aiment qu'on leur présente une stratégie coupant 30 000 emplois en cinq ans. Ca les rassure… Mais je ne crois pas à cette approche destructrice de rationalisation à tout prix. Fiat avait atteint le point où elle n'aurait plus eu les forces pour lutter. Alors, j'ai dit aux analystes comme en interne et à tout le monde : je veux redémarrer par la croissance du business et le gain de parts de marché. Avec une telle stratégie, la base marche avec vous", expliquait-il récemment à un confrère italien. En revanche, Sergio Marchionne n'a pas toujours été clément. Convaincu que le management est la clé de voûte de toute réussite et que c'est l'exercice le plus difficile à accomplir, il a mené un travail de titan en rencontrant tous les cadres de l'entreprise. Résultat : tous ceux qui n'avaient plus l'énergie et la foi pour aller de l'avant ont été priés d'aller voir ailleurs. Comme tous ceux qui restaient trop attachés à la "vieille Fiat" et qui menaçaient l'édifice et le projet par leur immobilisme. A la place, il identifie des profils à fort potentiel en interne ou en recrute à l'extérieur. Souvent très jeunes. Il leur donne une mission, une responsabilité. C'est ce qu'on appellera rapidement ses "kids". Maintenant que les kids ont confirmé et que certains sont sortis du lot, il sait que la maison est bien tenue et qu'il peut donc prendre du recul, en passant de Fiat Auto à Fiat Groupe, sans nuire à son dessein. Parallèlement, Sergio Marchionne a sabré dans les frais fixes (un demi-milliard d'économies réalisées dans les 90 premiers jours !) et il a su jouer, sans en abuser, du précieux levier de la Cassa d'Integrazione (dispositif qui permet de payer temporairement les ouvriers quand il faut réduire les effectifs). Et le succès est au rendez-vous : l'hémorragie de la dette et du cash est jugulée, les mots bénéfices et dividendes sont redécouverts par les salariés et les actionnaires. Et Fiat a dépassé ses objectifs en termes de parts de marché pour afficher plus de 30 % sur son marché domestique et 9 % en Europe. "C'est étrange de voir un italien casser un système italien pour réussir. Surtout quand on sait qu'il ne vient pas de l'automobile", glisse alors un membre du jury.
Une révolution de velours dans l'urgence
Pourtant, le défi n'était pas gagné d'avance ! L'arrivée de Sergio Marchionne intervient au moment où Fiat est à l'agonie. On garde encore en mémoire la boutade aigre-douce de Stephen Norman : "Quand je dis que je travaille chez Fiat, les banquiers détournent le regard !". La situation est d'autant plus critique que l'instabilité règne en haut lieu. Dès le début du printemps, Umberto Agnelli demande à Sergio Marchionne de se tenir prêt et dans la foulée, le fait rentrer au conseil d'administration de Fiat en tant que directeur général de la société SGS. Fin mai, l'Avvocato décède. Le problème épineux des ambitions de Giuseppe Morchio est résolu d'un glacial coup de scalpel et Luca di Montezemolo prend la présidence du conseil tandis que le jeune John Elkann devient vice-président. Le rôle de l'urgentiste et du méticuleux gestionnaire est déjà attribué : ce sera Sergio Marchionne. A peine arrivé, il imprime une impulsion duelle : le leadership du changement et le leadership des hommes. Toutefois, l'acte fondateur de sa prise de pouvoir est encore à venir. C'est, bien entendu, le dossier GM. L'issue heureuse de cet imbroglio va insuffler un vent de confiance à tous les niveaux du groupe, notamment chez les "kids" et adouber Sergio Marchionne. Pragmatique, il fixe l'échéance 2006 pour le retour aux résultats positifs (pari tenu) et s'appuie fortement sur les forces vives que sont Iveco et Case New Holland. Le groupe Fiat, habitué aux révolutions de palais, va alors vivre une révolution de velours (pas pour tout le monde, certes…). Aujourd'hui, Sergio Marchionne peut à nouveau tenir un discours ambitieux et c'est dans cet esprit qu'il a dévoilé un plan de conquête pour 2010. "Le modèle, c'est Toyota et nous devons trouver les moyens de combler la distance qui nous sépare du constructeur japonais", affirme celui qui refuse d'endosser la tunique du messie, citant volontiers Mel Gibson dans Braveheart "les gens ne suivent pas les gens ; ils suivent le courage", et rêvant d'implémenter durablement la stabilité et la discipline helvétiques au sein du groupe. Des sujets que nous pourrons aborder en détail le 15 mars prochain quand Sergio Marchionne nous fera l'honneur de venir recevoir son prix. Une cérémonie qui sera aussi l'occasion de rendre un nouvel hommage à Edouard Michelin. Le jury tient, en effet, à l'unanimité à évoquer cet homme toujours affable et disponible et ce manager qui a lui aussi, dans un autre registre, mené une révolution de velours très positive chez Michelin.
Alexandre Guillet
FOCUSFiat Auto redevient bénéficiaire Un chiffre d'affaires en hausse de 11 %, à 52 milliards d'euros, une marge commerciale quasiment doublée, à 2 milliards d'euros, le groupe Fiat va mieux. Pour la première fois depuis 2000, sa filiale Fiat Auto (Fiat, Alfa, Lancia) n'est pas déficitaire : elle dégage une marge commerciale de 291 millions d'euros, supérieure à celle de Ferrari (183 millions, + 16 %). Seule la marque Maserati continue de perdre de l'argent (33 millions de perte, contre 85 en 2005).L'automobile reste toutefois un faible contributeur au résultat du groupe : elle assure 44 % du chiffre d'affaires mais seulement 21 % de la marge. Avec un taux de marge de 2,5 %, l'automobile est en effet bien loin des 7 % dégagés par la branche agriculture du groupe qui, avec les tracteurs et les bulldozers de Case New Holland (CNH), assure plus d'un tiers de la marge. Iveco n'est pas en reste : avec une part de marché de 10,7 % en Europe de l'Ouest, le leader de l'utilitaire en 3,5 tonnes réalise plus d'un quart de la marge du groupe. |
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