Reinhard Lyhs, président de Mercedes-Benz France
Journal de l'Automobile. Par rapport aux différentes prévisions réalisées par les économistes et les hommes politiques français, quel scénario de sortie de crise retenez-vous actuellement ?
Reinhard Lyhs. De quelle crise parlez-vous ??? Quand je regarde les chiffres français, je m'interroge : sommes-nous réellement dans une crise en France ? Sur les douze derniers mois, l'économie française s'est ralentie à certains niveaux, mais nous n'avons pas eu à faire face à une crise bancaire. Nous n'avons d'ailleurs pas eu de difficultés pour re-financer nos produits, VI comme VP. C'est aussi valable pour les réseaux de distribution et les grandes sociétés. Ceci était tout à fait différent en Allemagne et dans d'autres pays où la situation financière des sociétés était plus difficile début 2009. Aujourd'hui, la situation, de manière générale, s'est améliorée. En revanche, il existe bien sûr encore aujourd'hui une crise automobile à l'échelle européenne voire mondiale qui frappe notamment durement les équipementiers car nous, constructeurs, avons tous dû adapter notre production.
JA. Diriez-vous pour autant que les constructeurs sont tout à fait épargnés ?
RL. En ce qui concerne les constructeurs, trois domaines doivent être distingués. Pour le VI, depuis un an, le niveau de commandes toutes marques a baissé de 60 %. C'est une baisse nette qui se vérifie dans d'autres pays, dans la mesure où tous les investisseurs sont attentistes. Ce n'est pas, pour autant, très préoccupant car on sait que les investissements vont repartir vraisemblablement au second semestre 2010. La situation est actuellement très dure car il a fallu adapter la production de façon importante, ce qui a, par conséquent, engendré le développement de l'après-vente. En effet, les camions qui roulent plus longtemps engendrent une consommation plus élevée de pièces, ce qui signifie que le réseau va pouvoir traverser cette période difficile grâce à une activité après-vente soutenue. Par ailleurs, le marché des VUL accuse une chute de 30 % des immatriculations. C'est très dur assurément, mais il convient de mettre ces données en perspective avec la progression de ce marché ces dernières années. En effet, ce marché a tout simplement été multiplié par deux entre 1992 et l'exercice record de 2007. Enfin, concernant le marché VP français on ne peut absolument pas parler de crise. Il y a un problème de valeur car on vend surtout des petites voitures, alors que ce sont les modèles de gamme moyenne ou haute qui permettent de rentabiliser les investissements, dans le développement des produits notamment. Le segment Premium reste très limité en France, en volume, et nous assistons à un downsizing sur les motorisations à cause de la législation adoptée. La pression sur le CO2 engendre une baisse des ventes des 6 et 8 cylindres. Le 4 cylindres s'impose, notamment sur le marché des sociétés qui cherchent des véhicules en dessous du seuil de 160 g de CO2/km, afin d'éviter une TVS trop élevée. Chez Mercedes-Benz, nous avons donc développé une offre très performante avec cinq modèles en dessous de 140 g de CO2/km, de la nouvelle Classe E berline à la Classe A en passant par la Classe C. Sans oublier Smart bien entendu. Le downsizing des motorisations se double d'un downsizing entre les gammes, toujours en lien avec les émissions de CO2. Le transfert des ventes des grands SUV vers des SUV compacts en est une parfaite illustration et nous le constatons chez nous comme chez nos concurrents.
JA. Par rapport à toutes ces données, peut-on en déduire que vous estimez que nous ne sommes pas en crise ?
RL. Nous traversons une phase économique très difficile, bien sûr, mais il ne faut pas employer le mot crise à tour de bras. Je ne cherche aucunement à masquer les problèmes, mais les choses ont évolué depuis l'automne 2008 et les indicateurs ne permettent pas de parler de crise au sens économique du terme. Le contexte est difficile et les consommateurs comme les entreprises se révèlent très prudents. La question est de savoir comment nous allons sortir de ce climat d'incertitude, de cette forme de fragilisation et de perte de confiance. Mais je pense que l'économie va reprendre un cours normal, même si des menaces restent présentes : la dette de l'Etat et les charges sociales par exemple. Mais il y a aussi des évolutions positives pour les consommateurs comme la baisse des prix de vente et de location dans l'immobilier ou le niveau des taux d'intérêts.
JA. Vous évoquiez à l'instant les seuils de CO2 : au-delà du verbiage politiquement correct, est-ce vraiment pesant d'un point de vue industriel ?
RL. Les seuils de CO2 ont été fixés par les autorités européennes avant la crise de fin 2008. Or les conséquences de cette décision sur les budgets sont lourdes. L'adaptation représente 180 milliards d'euros pour l'industrie automobile européenne ! Et le calendrier de Bruxelles sur les émissions de CO2 n'a pas été réajusté à l'automne 2008. Dès lors, tout en restant rentables, il est difficile pour les constructeurs européens d'investir suffisamment d'argent pour développer leurs nouvelles motorisations et leurs nouvelles technologies propres. Le challenge est considérable et doit être relevé. Certains constructeurs sont en meilleure position que d'autres. Mercedes-Benz en fait partie et j'en veux pour preuve la commercialisation en petites séries dès 2010 de la Smart Electric Drive et de la Classe B à pile à combustible.
JA. Concernant le VUL, on sait que ce segment est très dépendant des indices macro-économiques. Or ils ont peu de chances d'évoluer positivement l'an prochain : ne craignez-vous pas que cela puisse contrarier vos prévisions ?
RL. Il est clair que les TPE et les PME sont touchées par tout ce qu'on entend. Mais cela ressort plus du domaine psychologique que rationnel. On en mesure bien les conséquences cette année. Mais fondamentalement, pour le VI et le VUL, j'ai moins de soucis que pour le VP. Sur le VP, le consommateur est tout simplement dans le brouillard, ce qui se traduit par un report d'achat motivé pour des raisons économiques ou par l'attente de l'arrivée de nouvelles technologies. Et sur le marché des sociétés, j'insiste sur le fait que les marques Premium sont très pénalisées par la TVS. Cela nous renvoie à une réflexion plus globale. Initialement, l'Etat a mis en place des aides pour soutenir le secteur automobile en prenant en compte son poids économique et social. Le bonus-malus a aussi été bien accueilli et même s'il favorisait les petites voitures et d'une certaine manière, les constructeurs nationaux, cela n'a posé aucun problème à Mercedes-Benz. En revanche, la TVS et l'éco-taxe ont été beaucoup plus problématiques pour les ventes sociétés. Ces mesures sont improductives car elles pénalisent les entreprises ! Et cela va à l'inverse de ce que font les autres Etats européens… C'est incompréhensible. Un seul exemple est plus parlant qu'un long discours : pour une société, le coût sur trois ans d'une nouvelle Classe C 220 CDI est 20 fois plus élevé en France qu'en Allemagne !
JA. Sur ce marché des sociétés, on imagine aisément que la Classe S hybride est un argument de poids, n'est-ce pas ?
RL. Tout à fait car au-delà des coûts maîtrisés et des performances environnementales, ce véhicule est porteur d'un message plus large de responsabilité. Vis-à-vis de l'extérieur comme des collaborateurs. D'ailleurs le modèle rencontre un franc succès. Ainsi, 30 % des Classe S vendues depuis la commercialisation en juin sont des versions hybrides. Grâce ou à cause de ce dont nous venons de parler, la France affiche donc une des plus fortes pénétrations européennes de la Classe S hybride dans le mix de ventes Classe S.
JA. Toutefois, selon une récente étude Arthur D. Little, il apparaît que le client Premium est très intéressé par les nouvelles technologies vertes, mais qu'il n'est pas pour autant plus disposé que les autres à en assumer le surcoût : qu'est-ce que cela vous inspire et selon vous, quel surcoût le client Mercedes-Benz est-il prêt à supporter ?
RL. La clé, c'est de proposer ces solutions à un prix que le client accepte. Ainsi, à équipement comparable, la Classe S hybride n'est que 2 % plus chère que la Classe S traditionnelle. Nous sommes persuadés que le consommateur peut tolérer un surcoût compris entre 5 et 10 %, mais pas plus. Si les constructeurs proposent ces solutions trop chères, le client refusera et on en restera aux programmes pilotes. C'est une certitude. Dans ce domaine, les marques Premium ont un léger avantage, à savoir la possibilité d'introduire les solutions sur le très haut de gamme sur des volumes réduits, avant de les élargir à un meilleur coût. C'est ce que nous faisons déjà pour les innovations en terme de sécurité.
JA. Quand allez-vous faire descendre en gamme ces innovations ? En somme, à quand une version hybride sur la Classe E, voire sur la Classe C ?
RL. C'est à l'étude, mais il faut se montrer prudent car les coûts sont très conséquents. Il faut y aller progressivement et garder une bonne synchronisation par rapport au cycle de vie de chaque modèle. Disons qu'à partir de 2012, chaque gamme nouvelle ou renouvelée aura une offre hybride. Mais nous restons réalistes : en l'état actuel des choses, un constructeur ne peut pas se limiter à une seule technologie telle que l'hybride ou l'électrique, mais doit aussi poursuivre son travail d'optimisation des moteurs thermiques.
JA. Par rapport aux projets de certains généralistes, comment comptez-vous re-paramétrer le trio névralgique Classe A/Classe B/Smart et considérant votre statut Premium, où placez-vous le seuil limite de votre entrée de gamme ?
RL. Smart est le véhicule citadin par excellence qui a su trouver sa place dans le paysage urbain, et ce, dans le monde entier. La marque continuera donc d'exister en tant que telle dans le futur et dès 2012, la Smart Electric Drive sera produite en grande série. Par ailleurs, la Classe A restera la plus petite voiture de Mercedes-Benz, même pour la prochaine génération. Sur le segment des véhicules compacts (Classe A et B), nous passerons même de deux produits (aujourd'hui) à quatre produits à partir de 2012. Cet élargissement de la gamme sur une même plateforme nous permettra de renforcer significativement notre présence sur le segment des compacts, qui a toute son importance pour la marque Mercedes-Benz et plus particulièrement dans notre pays. Actuellement, les deux gammes Classe A et Classe B représentent 40 % de notre volume de ventes en France.
JA. Sous l'angle de la communication environnementale, vous apparaissez en retrait par rapport à Audi ou BMW, en France, tout du moins : quels réajustements prévoyez-vous ?
RL. Pensez-vous ! C'est une affaire de perception…
Depuis plus de 2 ans, les marques Premium émergent fortement du paysage automobile en matière de perception environnementale. Cette évolution tient à la nouvelle priorité donnée par les acteurs en recherche et en développement pour proposer des véhicules plus sobres. Ces évolutions sont accompagnées par une communication plus visible et tournée vers un public plus large. Seuls la manière et le choix du type de communication diffèrent d'une marque à une autre. Dès 2007, lors du salon de l'IAA de Francfort, Mercedes-Benz a lancé et présenté sa stratégie de développement durable et ses produits et technologies associés, avec comme objectif clair, d'être leader en "green technologies". Aujourd'hui, nous poursuivons encore cette communication en relayant nos axes stratégiques environnementaux. Mais au final, ce qui compte sont les résultats de vente. En France, la compétition est certes serrée sur le segment premium, et la politique environnementale de chaque constructeur joue un rôle important dans cette compétition. Nous sommes leaders depuis maintenant plusieurs années sur le segment premium en France. Aujourd'hui, notre actualité produits et les innovations technologiques propres que nous développons (Classe E avec un taux de CO2 inférieur à 140 g/km ; Classe S Hybrid, Smart Electric Drive…) me permettent de rester confiant sur le leadership de Mercedes-Benz sur ce segment en France.
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