S'abonner
Constructeurs

Pierre Loing, vice-président Planning Produits & Véhicules électriques de Nissan Europe.

Publié le 27 mars 2009

Par Alexandre Guillet
7 min de lecture
"Il faut arrêter de mentir sur les performances des modèles électrique"Pierre Loing revient longuement sur la crise...
...avec des prévisions pessimistes, même s'il estime que Nissan est plutôt bien loti en Europe. Il tient aussi des propos très clairs sur le véhicule électrique, dégagés des scories de la communication, et mettant en garde les bonimenteurs.

Journal de l'Automobile. Quelle analyse faites-vous de la crise maintenant qu'elle fait partie du paysage et qu'on a plus de recul à défaut de visibilité ?
pierre loing. Il ne faut pas raconter d'histoires et force est de reconnaître que comme les autres, nous n'avions pas anticipé le trou d'air de la fin 2008. Du coup, il a fallu s'adapter dans l'urgence. Désormais, deux interrogations demeurent : le marché peut-il encore descendre plus bas, et jusqu'où ? ; et quelle sera la durée de la crise ? Les prévisions que nous faisons en ce début d'année sont sombres. Nous estimons que 2009 et 2010 seront deux exercices très difficiles. Le début d'année nous conforte dans cette idée : janvier et février ont été très mauvais, mais finalement moins mauvais que le scénario que nous avions retenu.

JA. Vous évoquez une adaptation dans l'urgence : quelles coupes franches avez-vous réalisées et dans quels domaines ?
pl. Au-delà des ajustements opérés sur nos capacités de production, nous nous sommes attelés à réduire fortement les stocks. Parfois, on perd peut-être des ventes, mais nous nous sommes mis en mode survie. Par ailleurs, nous avons révisé notre plan produits et sur la période 2008-2013, nous lancerons 48 nouveautés au lieu de 60 comme initialement prévu. Ce n'est pas dramatique, nous aurons largement de quoi tenir, mais c'est tout de même significatif. Enfin, nous réduisons les frais à tous les niveaux. Un exemple parmi d'autres, Nissan ne sera pas présent au Salon de Francfort.

JA. De surcroît, les ventes sur les marchés de l'Est, dont la Russie, ont plongé avec une ampleur inattendue, comment encaissez-vous le choc ?
pl. Comme tout le monde, mal… La zone Russie-Ukraine-Kazakhstan subit une forte baisse du marché automobile et la situation est encore dégradée par un contexte monétaire défavorable. Du coup, ce qu'on vend, on le vend avec des marges bien plus faibles. Et le contexte est vraiment troublé : il y a deux ans, nous sommes passés du $ au rouble et aujourd'hui, nous ressortons du rouble pour aller vers le $ et l'e… L'impact sur les volumes est automatique.

JA. Parvenez-vous à conserver votre bon mix entre ventes à particuliers et ventes sociétés ?
pl. Oui, et nous confirmons, voire renforçons, notre pénétration sur le segment des particuliers. Aujourd'hui, le rapport est de l'ordre de 75 %/25 %.

JA. Les valeurs résiduelles sont actuellement irrationnelles et le marché du VO est dérégulé, quelle stratégie épouser dans un contexte aussi brouillé ?
pl. Tout d'abord, il ne faut pas s'affoler. La priorité de déstocker était générale car il fallait trouver du cash. Du coup, à mouvement massif, conséquences massives. Mais c'est l'affaire de quelques mois et on va ensuite tous sortir de cette urgence. Concernant le VO, la situation négative est donc plus conjoncturelle que structurelle.

JA. Cependant, la guerre des prix et des remises n'est-elle pas fortement destructrice de valeur et génératrice de conséquences à long terme par rapport à la notion de juste prix ?
pl. Les pratiques actuelles sont clairement destructrices de valeur. Mais pour Nissan en Europe, les conséquences sont mesurées. En effet, l'Europe représente 17 % des ventes mondiales du groupe, donc nous sommes mieux lotis que d'autres constructeurs. Par ailleurs, d'une manière générale, nous savons rester vertueux sur les rabais. En outre, depuis 6 à 7 ans, les sommes allouées au marketing des lancements et de la vie des produits ont été nettement revues à la baisse. La politique de maîtrise des coûts de distribution est donc assez ancienne chez nous. C'est une force, car quand on voit, dans certains cas, que le coût du marketing est supérieur au coût de développement du modèle, on se dit qu'il y a des limites à respecter…

JA. A l'occasion du Salon de Genève, vous présentez le Cube, un véhicule attrayant mais promis à des volumes mesurés : qu'en attendez-vous exactement ?
pl. J'ai toujours pensé qu'il fallait lancer ce modèle en Europe. Parce qu'il s'agit d'un modèle très différenciant et très prometteur pour notre capital image. Les deux 1res générations de Cube étaient limitées au Japon, mais comme nous lançons la 3e génération aux Etats-Unis, une opportunité s'est présentée pour l'Europe, dans un schéma de coût très raisonnable, et nous l'avons saisie. De plus, par rapport à ce que nous évoquions précédemment, ce modèle va renforcer notre présence et notre image sur le segment des particuliers.

JA. Nissan mise fortement sur les véhicules électriques, mais comment allez-vous procéder pour éviter l'écueil de l'autonomie limitée ?
pl. C'est effectivement un objectif stratégique pour Nissan et pour l'Alliance en général. Dès 2010, nous introduirons ces véhicules aux Etats-Unis. Je rappelle que nous développons une approche par gamme, plus ambitieuse que celle qui se limite à un modèle spécifique, et que nous contrôlons totalement la chaîne traction-batteries, via plusieurs partenariats. Nos batteries comptent parmi les meilleures en densité comme en packaging. Reste le problème de l'autonomie… Actuellement, ce n'est pas un problème, mais une barrière technologique. Donc, l'autonomie quasiment illimitée, le Lille-Marseille sans s'arrêter, ce n'est tout simplement pas envisageable ! Donc les volumes seront forcément réduits dans un premier temps. Mais cela évoluera vite par la suite.

JA. Comment cela peut-il évoluer rapidement alors que la barrière technologique est significative ?
pl. Tout d'abord, au fur et à mesure, l'autonomie des batteries sera bel et bien améliorée. Par ailleurs, des partenariats se mettent en place pour adapter les infrastructures au véhicule électrique, le Danemark en est un bon exemple. Ensuite, l'usage du véhicule en centre-ville sera vraisemblablement légiféré dans de nombreux cas, ce qui renvoie d'ailleurs à notre stratégie du zéro émission. Enfin, le client réalisera assez vite que le coût global de ce type de véhicules est moindre que celui d'un véhicule conventionnel, de l'ordre de 10 à 15 % sur 3 ans.

JA. Par rapport à cela, le fait de cibler les particuliers plutôt que les flottes n'est-il pas inadapté ?
pl. Il faut travailler les deux segments, même si dans un premier temps, ce sera plus aisé à mettre en œuvre avec des flottes captives. Mais l'essentiel, et j'insiste sur ce point vu ce qu'on entend à droite et à gauche, c'est de ne pas mentir sur les performances des modèles électriques et notamment l'autonomie ! Sinon, nous allons décevoir les clients et sans doute durablement. Ainsi, lorsque nous lancerons le modèle en Europe, nous insisterons bien sur son autonomie de 150 km seulement. Mais un vrai 150 km, c'est-à-dire intégrant toutes les contraintes du nombre de passagers, des températures extérieures, de la clim, de la radio, etc.

JA. Considérant que les américains et les européens ne disposent pas des ressources 1res nécessaires aux systèmes des véhicules électriques, contrairement aux chinois par exemple, la stratégie est-elle vraiment judicieuse d'un point de vue géo-économique ?
pl. Ce sujet se pose avec acuité et nous l'étudions tous de très près. Toutefois, les solutions électriques actuelles sont considérées comme transitoires et si la R&D progresse normalement, d'autres voies, faisant appel à d'autres matières premières, devraient s'ouvrir. Donc, nous ne nous rendrions pas durablement dépendants de certains pays pour l'achat des matières premières.

Vous devez activer le javacript et la gestion des cookies pour bénéficier de toutes les fonctionnalités.
Partager :

Sur le même sujet

Laisser un commentaire

cross-circle