Lettre ouverte à Sergio Marchionne
...entré, de plein droit, dans la galerie des grands serviteurs (ou ministres, s'agissant d'une monarchie qui se reconnaît comme telle ?) de l'entreprise que vous dirigez. En restant, vous acceptez en revanche, de courir un risque, parce que vous savez que le chemin est encore long, pour ramener Fiat dans la cour des grands.
Qu'allez-vous faire à présent ? On le devine. Ce qu'il y a de plus "facile" (façon de parler, bien entendu), c'est de continuer à progresser en Europe, en volumes comme en rentabilité. Heureusement, le triste bémol qu'est la "Stilo" dans la gamme Fiat, va enfin rendre une âme qu'elle n'a pas. Le modèle Bravo se vendra beaucoup mieux, un peu partout en Europe, à commencer par la France, mais sans oublier la Lombardie - Vénétie, où, souvent, on vend aujourd'hui plus de voitures allemandes qu'italiennes. On dira peut-être, ici ou là, qu'il n'est pas difficile de revenir d'aussi loin, et on commettra une erreur. D'abord, parce que la marque Fiat souffre encore d'une insuffisance de crédibilité et d'image. Ensuite, parce que les réseaux de la marque ont été décimés et affaiblis, la crise du début de siècle ayant succédé et ajouté ses effets à une politique réseau primesautière. Sur ce dernier point, il nous a été donné de remarquer que Fiat est le seul grand constructeur européen à avoir brisé le tabou de la concession monomarque ou monogroupe. C'est un avantage compétitif certain. Voici donc, Monsieur, pour votre tâche la plus aisée. Par ordre de difficulté croissante, vous allez devoir gérer trois marques, donc trois gammes, ce qui serait ardu pour quiconque, puisque la stratégie de renouvellement des modèles s'est emballée. Vous savez certainement mieux que moi que vous vendriez plus de voitures et que vous réaliseriez des bénéfices supérieurs si vous concentriez vos efforts sur une seule marque, deux au maximum. Plus difficile encore : vous allez devoir assurer l'expansion de Fiat en Asie et, sans doute, en Amérique du Nord.
Après ces évidences, il nous reste à parler de l'essentiel, et cela concerne votre marque principale : Pourquoi un consommateur devrait-il acheter une Fiat, plutôt qu'une Volkswagen ou une Renault, par exemple ? Les trois gammes s'étalent de façon analogue sur les segments du marché, mais l'effet d'image, pour affaibli qu'il soit dans les processus décisionnels des consommateurs, ne joue pas en faveur de Fiat, votre désavantage augmentant avec la montée en gamme. Vous risquez donc de devoir constamment céder plus de marge que les autres constructeurs. Comment briser ce carcan ? Pour acquérir un statut à la hauteur de ses ambitions, Fiat devrait sans doute, nous semble-t-il, retrouver sa capacité d'innovation en matière de concepts de modèles. Les racines en sont profondes, peut-être trop au gré de certains : la première 500 et la 600 "multipla" sont apparues dans des segments où il n'y avait personne, il y a longtemps. Si vous parveniez à innover vraiment dans un monde qui, en guise d'innovation, enrichit désespérément les modèles, mélange les genres et multiplie les clones (qui naissent vieux, comme chacun sait) sans jamais proposer de rupture (à l'exception, remarquable, de Logan), on criera au miracle. Considérez cependant qu'il y a quelque part, dans les gènes de Fiat, un savoir-faire spécifique de l'innovation, au moins en ce qui concerne les voitures d'entrée de gamme. Votre joint-venture avec Tata peut vous aider à le faire renaître. Cela ne pourrait pas mieux tomber, s'il est vrai qu'il existe une clientèle nombreuse, dans les pays peu motorisés mais aussi en Europe occidentale, pour des voitures d'entrée de gamme non conventionnelles. Fiat pourrait devenir le leader d'un macro-segment à peine effleuré par les concurrents. Pour commencer.
Vous êtes "l'Homme de l'Année Automobile 2006" : Félicitations et surtout, bonne route…
Ernest Ferrari, Consultant
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