Lettre ouverte à Joaquin Almunia, commissaire à la Concurrence
Il n'y en a pas assez, de concurrence. Notre petit monde de l'automobile est sclérosé, enfermé dans des logiques perdantes, et souvent convaincu que le protectionnisme est une solution ; les gouvernements, d'ailleurs, ne sont pas loin de penser la même chose… bien que les aides prodiguées au moyen des primes à la casse n'aient nullement amené les constructeurs à remettre en cause leurs stratégies inefficaces. Mais vous venez d'arriver, Monsieur, et l'héritage qui vous incombe est fondamentalement sain ; il vous reste à le préserver, ou plutôt à le faire fructifier, à l'image de ce qui reste dans notre mémoire collective de la parabole des talents. Lourde responsabilité que la vôtre. Comment faire ? Pour l'après-vente, un brin d'attention pourrait suffire à éviter qu'on en revienne à des pratiques anticoncurrentielles : le projet de règlement qui a été élaboré devrait produire des effets analogues à ceux du règlement 1400/02. Mais… "in cauda venenum", attention aux amendements de la dernière heure !
Les choses sont moins claires en ce qui concerne la vente des véhicules neufs. Certes, le règlement 1400/02 a été prorogé jusqu'au 31 mai 2013, et ceci est une bonne chose. Mais que se passera-t-il après ? Au cours d'un débat sur l'avenir de la distribution automobile, organisé à Paris le 15 avril, n'a-t-on pas entendu dire que le rééquilibrage du rapport de forces entre les constructeurs et les réseaux n'avait pas à être pris en compte par la Commission européenne ? Ce point est fondamental, aujourd'hui plus que jamais. On sait en effet que les constructeurs ont utilisé la liberté qui leur a été offerte de fixer les critères qualitatifs comme ils l'entendent, pour réduire à peu de choses la concurrence intra marque, et pour empêcher le développement du multimarquisme. Il n'y a pas lieu de développer ce thème ici, si ce n'est pour constater qu'à l'évidence, les consommateurs sont les premières victimes de cette "anomalie". Mais il y a pire : la destruction de la concurrence commerciale sera parfaite si, comme prévu, le secteur automobile devait subir à partir de 2013 les rigueurs anticoncurrentielles du règlement général.
Quelle sera, Monsieur, votre politique ? Et surtout, quelle sera votre liberté d'action ? En temps de crise, la concurrence est peu aimée, parce qu'on imagine que l'industrie risque d'en souffrir. Au vu de ce qui se passe depuis 2004 dans le domaine de la "protection des dessins et modèles", domaine qui ne vous concerne qu'indirectement, mais qui témoigne de la force de blocage des constructeurs, on peut tout craindre. L'absence d'une claire vision stratégique en est la cause. On peut, en effet, obtenir des avantages à court terme si on s'enferme dans un monde anticoncurrentiel ; mais la sclérose qui en résulte implique un assistanat permanent de l'industrie. En attendant, les constructeurs chinois, les Indiens et quelques autres, auxquels nous ne pourrons pas empêcher trop longtemps d'entrer sur nos marchés au moyen d'obstacles en matière d'homologations, progressent. Nous ne vivons plus dans un monde où la fermeture des portes est la panacée.
Ce n'est pas à vous, Monsieur, que nous devons vanter les avantages d'une concurrence dynamique. Permettez-nous simplement de constater que votre tâche sera difficile, et que la distribution automobile n'évolue pas depuis une cinquantaine d'années.
Bonne chance, Monsieur. Et bon travail.
Ernest Ferrari, consultant
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