Les surprises de l’infiniment petit
...commence à se pencher sur les propriétés extraordinaires de ces nanomatériaux.
Sans cesse en quête de nouveautés, l'industrie automobile a l'art de déployer des antennes pour découvrir de nouvelles technologies susceptibles de la servir. Il faut dire qu'elle est confrontée à de nombreuses problématiques que les solutions classiques peinent à résoudre : nécessaire allégement des véhicules, réduction impérative de la consommation et des émissions polluantes ou encore recherche perpétuelle de nouvelles fonctionnalités en sont quelques-unes. Le développement de la recherche sur les nanomatériaux n'a donc forcément pas laissé les constructeurs de marbre, surtout face aux innombrables possibilités que ces découvertes laissaient entrevoir. Toutefois, entre la recherche fondamentale et la réalité industrielle, il y a un gouffre parfois difficile à franchir. C'est précisément ce sujet que les étudiants de l'Esirem (Ecole supérieure d'ingénieurs de recherche en électronique et en matériaux), à Dijon, ont souhaité mettre en avant cette année, au cours de leur colloque annuel intitulé "Nanomatériaux, une réalité industrielle".
1959 : Théorie de Richard Phillips Feynamn selon laquelle il serait possible de réorganiser les atomes. 1985 : Invention du microscope atomique 1989 : Pour la 1re fois, des chercheurs déplacent des atomes en manipulant 35 atomes de xénon |
La grandeur du minuscule
Même si elle n'est pas une invention récente, la nanotechnologie, c'est-à-dire la possibilité de manipuler la matière au niveau de l'atome, n'a véritablement connu son essor que vers le milieu des années 80. En effet, jusqu'alors, même les microscopes électroniques les plus perfectionnés n'obtenaient encore que des images assez floues des atomes. Ce n'est donc qu'avec l'apparition du microscope à force atomique que les chercheurs ont pu réaliser une véritable topographie de la matière, en faisant apparaître les atomes, et surtout ont pu commencer à les manipuler. "C'est ce qui a représenté le facteur déclenchant de l'ère des nanomatériaux", explique Henri Van Damme, professeur à l'ESPCI (Ecole supérieure de physique et de chimie industrielle). Cette technique a en effet permis de concevoir la fabrication de matériaux sur lesquels sont placées des "briques" d'atomes, l'interaction entre la matière initiale et ces briques permettant de créer de nouvelles fonctionnalités. Les possibilités offertes par cette technique sont extrêmement diverses. Cela va de la création de flacons de parfum teintés sans introduire de colorant dans la fabrication du verre, à l'amélioration de l'imagerie en biologie, en mettant en fluorescence des tissus pour mieux les visualiser. Henri Van Damme cite également l'exemple du code-barres optique assurant la traçabilité d'un produit pendant toute sa durée de vie ; il suffit pour cela de mélanger certains atomes dans le produit pour intégrer un code-barres optique au sein même de sa matière. Dans le domaine du vitrage, les nanomatériaux font également des merveilles. "Nous avons d'ailleurs un très gros retard sur les Japonais dans ce domaine", estime Henri Van Damme selon qui, aujourd'hui, "les entreprises qui travaillent sur le verre autonettoyant sont à 90 % japonaises." Ces sociétés œuvrent principalement sur deux fonctions, le verre autonettoyant et le verre hydrophobe. L'introduction de nanoparticules dans les vitres pourrait ainsi permettre de ne plus avoir besoin d'essuie-glaces, même sous une pluie battante.
Les développements de matériaux améliorés se multiplient depuis une dizaine d'années. Toutefois le passage à l'industrialisation de produits composés de nanomatériaux n'est pas toujours évident, surtout dans un domaine comme l'automobile où les prix sont tirés au maximum. Certes, des exemples existent, mais sont-ils réellement révélateurs d'une tendance ?
Les nanomatériaux doivent faire leurs preuves
Gérard Maeder, directeur de l'ingénierie matériaux chez Renault, rappelle ainsi une vérité simple : les constructeurs n'ont a priori aucun intérêt à la promotion de tel ou tel matériau. "Un constructeur est avant tout à la recherche de prestations répondant aux contraintes de son cahier des charges, à savoir des contraintes techniques et économiques", explique-t-il. De même, le premier critère d'achat du client final est l'esthétique du véhicule ainsi que son coût et sa fiabilité ; il n'a donc aucune attente particulière vis-à-vis des matériaux employés dans la fabrication de sa voiture. En revanche, il n'en va pas de même entre les différents producteurs de matériaux. "Ils se livrent une concurrence féroce, souligne Gérard Maeder, le concepteur de pièces automobiles se trouve devant un hyper choix."
C'est en fait plutôt l'évolution des automobiles qui pousse un constructeur et ses fournisseurs à s'orienter vers l'utilisation de nouveaux matériaux. Par exemple, l'augmentation des équipements de sécurité et de confort, et la taille croissante des automobiles font que les véhicules sont de plus en plus lourds. Or, pour se conformer aux réglementations sur les émissions polluantes, les constructeurs doivent remédier à ce poids en trouvant des matériaux plus légers. De même, les réglementations relatives au recyclage des véhicules supposent que leurs concepteurs choisissent des matériaux facilement recyclables et dont les filières de recyclage existent déjà.
Dans ce cadre, les nanomatériaux peuvent fournir des solutions adéquates aux constructeurs, toutefois, ils doivent encore surmonter un obstacle : leur jeunesse. "Afin de satisfaire aux exigences de qualité, nous avons besoin de connaître extrêmement bien les lois de comportement de chaque substance, confie le représentant de Renault. Or, les lois de comportement des nanomatériaux sont loin d'être connues." Même constat en ce qui concerne leur durée dans le temps, qui n'est encore pas bien définie. "De tels facteurs constituent des freins à l'introduction de nouveaux matériaux", juge ainsi Gérard Maeder.
L'aile du Scénic II est renforcée de nanotubes de carbone
Pourtant, malgré les obstacles à l'introduction de nanomatériaux dans les véhicules, il existe quelques exemples de leur utilisation par l'industrie automobile. La marque au Losange elle-même en a fait l'essai, sur l'un de ses véhicules les plus récents : le Scénic II. Dans ce cas précis, c'est la réglementation sur l'interdiction de l'utilisation du plomb dans les véhicules qui a obligé le constructeur à avoir recours à cette technologie pour la fabrication des ailes du nouveau Scénic. Les ailes des véhicules Renault sont depuis quelque temps fabriquées en thermoplastique, ce qui présente pour principal avantage de faire gagner du poids à la voiture. Elles sont montées sur la caisse en début de chaîne, avant le passage en cataphorèse, et sont donc capables de résister à des températures de 175°C. Le plomb ayant dû être supprimé des bains de cataphorèse, les nouvelles solutions ont nécessité une augmentation de 10°C de ces bains, température que le thermoplastique ne pouvait pas supporter. GE Plastic, le fournisseur des ailes, a dû trouver une alternative de remplacement pouvant résister à de telles chaleurs. "La solution a été de renforcer les ailes en composite par des nanotubes de carbone", explique Gérard Maeder qui ajoute immédiatement : "Le problème, c'est que cela revient à environ 2 à 3 euros de plus par pièce." Cette "prouesse" technologique de la marque au Losange n'a donc été qu'un demi-succès car elle ne remplit pas le critère fondamental de réduction des coûts. D'ailleurs, le directeur de l'ingénierie matériaux ne cache pas que "c'est une utilisation effective des nanomatériaux chez Renault dont nous avons essayé de nous débarrasser". Dont acte, les prochaines générations de Scénic n'utiliseront plus ces nanotubes de carbone.
Le stade industriel est encore bien loin
Il ne s'agit pas pour autant d'une fin de non-recevoir aux nanomatériaux dans leur ensemble, le directeur de l'ingénierie matériaux de Renault ne bannissant pas tout espoir pour leur utilisation. Il énumère ainsi certaines fonctionnalités utiles pour l'automobile telles que des aspects de surface améliorés dans l'habitacle, la possibilité de créer des senteurs actives directement intégrées dans les matériaux, ou encore une meilleure tenue au choc des plastiques intérieurs. Encore plus concrètement, Gérard Maeder cite l'exemple du toit en verre de l'Espace IV dont le poids, environ 60 kg, mériterait d'être réduit. "Nous avons essayé de le remplacer par du polycarbonate, mais cela posait des problèmes de rigidité et de dilatation", confie-t-il, ajoutant que la recherche sur les nanomatériaux pourrait permettre de résoudre ces problèmes. De même, il envisage la possibilité d'utiliser des nanocomposites à la place des simples pièces en composites, telles que le plancher arrière de la Mégane II, afin d'en réduire encore le poids. Par ailleurs, des pièces en nanocéramiques pourraient permettre de réduire les frottements et l'usure des pièces dans le groupe motopropulseur, ou encore des nanoparticules dans le pot catalytique pourraient permettre de réduire la quantité de métaux précieux.
Les possibilités sont nombreuses mais, si l'imagination n'a pas de limites, il n'en va pas de même pour le passage à l'industrialisation. La recherche a encore du chemin à parcourir afin que les solutions techniques soient adaptées à la durée de vie d'une automobile et aux diverses contraintes environnementales. Mais, surtout, le rapport entre le coût et les performances doit pouvoir entrer dans les canons de l'industrie automobile. Il faut donc pouvoir maîtriser suffisamment le prix de ces technologies.
Arnaud Dumas
En BrefDu vernis "génétiquement modifié" |
Sur le même sujet
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.