Les standards B2B : lentement, mais sûrement
...communes basées sur des standards de communication. C'est la mission que constructeurs et équipementiers ont confié à Odette. Et ça n'est pas une mince affaire…
"Il existe un paradoxe, dans notre industrie : c'est l'une des plus concurrentielles au monde, où l'objectif de chacun d'entre nous est de faire mieux que chacun de ses concurrents, et pourtant, c'est aussi l'une des industries où le dialogue entre les entreprises est le plus fort", lançait Louis Schweitzer, P-dg de Renault, en guise d'ouverture à la conférence internationale d'Odette, l'association réunissant constructeurs et équipementiers (voir encadré), qui s'est tenue à Paris les 16 et 17 octobre derniers. Et il est vrai qu'Odette est une bonne illustration de cette coopération entre entreprises concurrentes et/ou clientes les unes des autres, la mission de cette organisation européenne étant d'établir des standards de communication pour améliorer les flux d'informations, de produits et de services entre les acteurs de la chaîne de fabrication des automobiles.
L'élaboration de standards, un chemin semé d'embûches
Depuis longtemps, les constructeurs et leurs fournisseurs ont compris que le travail en commun pour élaborer des systèmes d'échanges standard permettait non seulement de faire gagner du temps à tout le monde, mais aussi de réduire les coûts de logistique. Odette a ainsi été créée en 1984, notamment pour mettre en place des standards de communication pour l'EDI (Echange de données informatisé).
Toutefois, si la coopération existe bel et bien, mettre tout le monde d'accord n'est pas forcément chose aisée. Les intérêts des intervenants peuvent parfois diverger, la prudence est forcément de mise lorsque l'on discute avec ses plus proches compétiteurs, les cultures d'entreprises sont par nature différentes, bref, le dénominateur commun ou la solution unique est difficile à trouver. La
ZOOMAlliance Le portail Internet de Renault matérialisera clairement dans les mois qui viennent la convergence avec Nissan, en affichant une page d'ouverture commune. Il y aura ensuite une partie commune pour RNPO et des parties spécifiques pour les marques. |
En quelques années, les portails se sont multipliés
L'une des premières places de marché automobile créées sur Internet était Covisint. Ce site réunit en fait plusieurs constructeurs, le noyau dur étant constitué des "big three" (le groupe Ford, DaimlerChrysler, General Motors) rejoints par la suite par Renault, Nissan puis PSA Peugeot-Citroën. L'objectif de réaliser une sorte de "guichet unique" sur Internet pour les fournisseurs, regroupant plusieurs constructeurs, semblait donc en bonne voie, mais par la suite les constructeurs ont quelque
ZOOMQui est Odette ? Créée en 1984 par les acteurs de l'industrie automobile, Odette a pour vocation d'élaborer des standards et des recommandations afin de faciliter les relations entre les constructeurs et les équipementiers, dans le domaine de la logistique et de la communication électronique. Aujourd'hui, Odette se penche tout particulièrement sur le cas des NTIC (nouvelles technologies de l'information et de la communication) qui offrent des possibilités de services de plus en plus étendues. L'adoption de standards devient donc extrêmement importante afin d'améliorer l'efficacité de toute la chaîne logistique globale. Les membres d'Odette ne sont pas directement les entreprises, mais les organisations nationales des pays européens (République tchèque, France, Allemagne, Espagne, Suède et Royaume-Uni), la France étant représentée par Galia (Groupement pour l'amélioration des liaisons dans l'industrie automobile). |
Aujourd'hui, les solutions B2B mises en place par PSA commencent à fonctionner. Ainsi, en 2002, le groupe a réalisé un chiffre d'achats d'un milliard d'euros au travers de 250 enchères en ligne et, en 2003, le chiffre d'achats est passé à 2 milliards d'euros avec 750 enchères. Quant aux appels d'offres, ils sont passés de 50 en 2002 à 110 en 2003 (jusqu'au 30 septembre). Par ailleurs, depuis 2001, 6 programmes d'ingénierie collaborative ont été réalisés via le portail Internet, impliquant plus de 400 personnes chez PSA, ses partenaires et ses fournisseurs. Enfin, au niveau de la gestion de la chaîne logistique, le constructeur a réussi à y impliquer quelque 600 fournisseurs.
Un mot d'ordre : gérer la complexité
En tout, on compte près d'une vingtaine de portails de constructeurs et les équipementiers doivent gérer les contraintes administratives pour chaque connexion. De l'avis des acteurs du marché, il y a peu de chances que l'on revienne en arrière vers un système de plate-forme unique pour tout le monde. "Je ne pense pas que les travaux d'Odette aideront à réduire le nombre de portails, estime ainsi Jean-Claude Fichera de Rieter Automotive, mais ils permettront de faciliter l'interface avec tous ces portails et à gérer la complexité." De plus, à côté des portails de constructeurs, les grands équipementiers de premier rang se sont également dotés de leur propre outil sur Internet, ajoutant encore à la complexité ambiante.
L'un des enjeux majeurs aujourd'hui, pour les fournisseurs, est la mise en place de standards permettant l'interopérabilité des applications, c'est-à-dire la possibilité d'interfacer facilement les différents outils de B2B de tous les opérateurs. Ainsi, si tous les outils B2B des clients (appels d'offres, vendor management systems, gestion de la supply chain, etc.) sont interopérables, le fournisseur a accès avec un seul système à tous les outils de ses clients. Dans le cas inverse, il doit soit intégrer tous les systèmes de ses clients, ce qui est fort coûteux, soit opérer de façon manuelle, ce qui est d'une part moins efficace et d'autre part source d'erreurs. L'interopérabilité est l'un des projets actuels d'Odette, qui entend lancer un projet pilote dès 2004. Pour l'heure, les entreprises informatiques ont encore du travail pour réaliser des systèmes permettant cette interopérabilité. Les difficultés sont bien présentes avant d'atteindre cet objectif et satisfaire toute l'industrie automobile, mais l'espoir est permis. D'ailleurs, Olivier Merle, directeur du projet e-business, achats et logistique de Robert Bosch GmbH, rappelle que "l'interopérabilité est déjà un concept bien connu et qui a fait ses preuves dans bien d'autres domaines, tels que les télécommunications ou Internet". L'interopérabilité des services électroniques constitue donc l'une des requêtes majeures des entreprises utilisatrices de ces places de marché. Mais une autre demande revêt une importance tout aussi capitale : la sécurité des données. Les informations échangées au cours, par exemple, de négociations en ligne sont bien souvent sensibles et ne doivent pas se retrouver entre les mains de n'importe qui. Et la multiplication des places de marché alourdit les risques pour les entreprises. "Bientôt, nous allons devoir gérer toutes les informations en B2B, estime Juan Ramon Martinez, administrateur B2B de Faurecia, nous devrons nous assurer que les bonnes personnes auront accès aux différents sites et que cela sera sécurisé." Dès le mois de juin 2002, Odette a mis en place un groupe de travail afin d'étudier la sécurité des transmissions d'informations sur les places de marché et, en septembre 2003, l'organisation a approuvé le projet S2R (Sécurité et Réduction des Risques) développé par ce groupe. Ce projet vise en fait à élaborer un outil d'évaluation du risque encouru par une entreprise au cours de ses échanges B2B, celui-ci étant défini à la fois par la confidentialité des données en question et par la vulnérabilité des plates-formes. Plusieurs paramètres sont pris en compte pour évaluer le risque potentiel : le degré de confidentialité des informations, les moyens de modification des données, l'authentification des personnes pouvant communiquer les informations et la disponibilité des portails Internet. Au final, le croisement des données une fois les plates-formes auditées devrait permettre aux entreprises utilisant le commerce en ligne de gérer le risque dans les transmissions de données, l'outil S2R d'Odette devant être finalisé d'ici le mois de juin 2004.
Qui est l'utilisateur des applications B2B ?
Au chapitre de la sécurité des portails Internet, l'un des problèmes que rencontrent les gestionnaires de ces plates-formes est l'identification des utilisateurs. En effet, l'accès aux places de marché est restreint et seules les entreprises ayant un intérêt à travailler en B2B peuvent prétendre à l'obtention d'un mot de passe. Pour cela, le fournisseur doit renseigner une base de données détaillant notamment ses activités ou encore les utilisateurs précis de la plate-forme, ces bases de données devant être remises à jour régulièrement. Plusieurs personnes dans une société peuvent ainsi être amenées à avoir leur propre mot de passe pour pouvoir utiliser l'un ou l'autre des services électroniques. Or, bien souvent, l'identification n'est pas respectée. "Beaucoup de nos fournisseurs nous ont dit qu'ils utilisaient toujours le compte d'une personne ayant quitté la société ou bien que plusieurs personnes différentes utilisaient un seul et même compte, explique Robert Bauer, directeur des technologies de l'information pour le groupe BMW. Or, il est important pour nous de savoir exactement qui utilise notre portail, à qui nous avons affaire." Le problème, ce sont les procédures d'identification… "Chaque constructeur utilise un système d'identification différent", déplore ainsi Bernard Jacquin, directeur de la stratégie et des process d'affaires, des places de marché et des portails constructeurs chez Siemens VDO Automotive. "En tant que fournisseur, nous devons savoir comment appréhender chacun de ces systèmes", continue-t-il. Pour chaque site où il est référencé, l'équipementier doit donc établir une base de données et, là encore, la mise en place d'un standard d'identification représenterait un gain de temps important.
La société allemande ZF Friedrichshafen AG a pour cela mis en place une solution originale afin de rationaliser, pour tout le groupe, l'utilisation des places de marché. "Auparavant, il n'y avait aucune transparence, on ne savait pas avec exactitude quel employé travaillait sur quelle application, se souvient Sandra Schmid, responsable de l'activité B2B de ZF. Cela entraînait non seulement des problèmes de sécurité, mais également de synergie car il n'y avait aucune coordination." L'équipementier a alors installé un gestionnaire de portails qui se positionne, dans le système d'information du groupe, entre les employés et les portails extérieurs. Celui-ci gère les bases de données relatives à ZF ainsi que les connexions aux plates-formes des constructeurs, les employés passant obligatoirement par lui pour y accéder. "Aujourd'hui, nous vérifions chaque portail pour voir s'il est intéressant pour ZF, nous vérifions les termes et les conditions et nous avons des contacts bien identifiés", reprend Sandra Schmid. La mise en place de standards se fait donc à petits pas et Odette avance de son côté par la négociation entre ses membres, chaque entreprise mettant en place ses propres solutions. Les besoins sont là, ils sont pressants, et attendre l'adoption de standards n'est pas toujours possible si constructeurs et équipementiers veulent rester dans la course.
Arnaud Dumas
ZOOMComment créer une norme ? Si l'on considère le nombre de personnes impliquées dans l'élaboration de standards pour l'industrie automobile, l'adoption d'une norme commune pourrait presque tenir du miracle. Pourtant, au niveau de l'efficacité, du gain de temps et de la réduction des coûts, ces standards sont pour ainsi dire vitaux pour chacune des entreprises impliquées dans la chaîne de fabrication. Aurélien Rouquet, étudiant en doctorat de sciences de gestion de l'université d'Aix-Marseille, a précisément choisi d'orienter sa thèse sur ce sujet : "Les facteurs clefs du succès de la mise en œuvre des standards logistiques dans la Supply Chain automobile". Cette étude met en lumière quatre étapes dans l'élaboration d'un standard et les nombreuses embûches rencontrées au cours du processus. La première est la décision par une association représentant l'industrie automobile de s'engager dans un projet ; il y a en l'occurrence des arbitrages à effectuer entre différents projets, l'objectif étant de trouver celui qui se rapproche le plus des besoins des industriels. Plus le standard sera proche des besoins de l'industrie et plus il aura de chances d'être rapidement diffusé. Une fois le secteur de recherche déterminé, la deuxième étape est l'élaboration du standard par les groupes de travail constitués de membres de l'industrie automobile. Ceux-ci doivent être particulièrement bien choisis et être suffisamment hauts placés dans l'entreprise pour en connaître les besoins et éviter qu'il n'y ait un décalage trop grand entre ce que sera le standard et ce que sera son intégration dans l'entreprise. Le projet de standard doit ensuite être adopté par l'association puis, dernière étape, être diffusé dans la communauté. La diffusion du standard commence en général lorsque les constructeurs le décident et, bien souvent, il suffit qu'un constructeur intègre un standard dans ses process pour que ses concurrents fassent de même. Chacune de ces étapes présente des difficultés particulières tant la conciliation des intérêts des différents acteurs de la chaîne de fabrication est difficile à mettre en œuvre. La mise en place de ces normes nécessite par ailleurs une implication forte des entreprises qui doivent déléguer des personnes hauts placées et compétentes pour que le travail d'élaboration soit efficace. Et cela coûte forcément assez cher… |
FOCUSLa commande en ligne par le groupe Volkswagen Au cours des conférences Odette, le groupe Volkswagen a présenté son nouveau mode de commande auprès des fournisseurs qui passe désormais par son portail Internet www.VWGroupSupply.com. "Notre objectif est de nous éloigner du papier et de tout faire en ligne", explique Burkhard Wiegand, directeur du comité de pilotage chez Audi, qui rappelle par ailleurs que, tous les ans, le groupe passe 250 000 commandes pour environ un million de pièces. Avant la mise en place du système de commande en ligne via le portail Internet, ces commandes étaient éditées tous les jours puis envoyées par courrier aux différents fournisseurs ; ceux-ci répétaient ensuite la même opération pour accepter ou refuser la commande. "Ce système ne créait pas de valeur", estime Burkhard Wiegand. Désormais, le constructeur allemand n'envoie plus de courrier sur papier, mais passe par le site VWGroupSupply.com. Les fournisseurs reçoivent les informations sous format Pdf et peuvent donc les traiter en temps réel. Ils ont la possibilité de refuser la commande, de l'accepter ou de l'accepter partiellement s'ils veulent y apporter des corrections. Si le fournisseur refuse la proposition, l'acheteur qui l'a émise est automatiquement informé par la plate-forme Internet. Si, au contraire, les fournisseurs ne se sont pas penchés sur la commande et que celle-ci garde le statut de commande nouvelle pendant quatre semaines, alors la plate-forme renvoie un message e-mail pour relancer les fournisseurs. |
Sur le même sujet
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.