Les constructeurs ont-ils une stratégie commerciale ?
...majeurs, pour ne citer qu'eux, auraient dû inciter les constructeurs, notamment les constructeurs européens, à se doter d'une stratégie commerciale à la hauteur des défis qu'ils vont bien devoir affronter. Il s'agit du règlement européen, dont les effets commencent à peine à se faire sentir et de l'arrivée prochaine de nouveaux et redoutables concurrents, chinois et indiens, sur le marché. La combinaison de ces deux événements a une signification précise en termes de concurrence ; on peut la résumer en une expression populaire et imagée : "ça va faire mal". Pourtant, rien n'a l'air d'émouvoir une industrie automobile qui continue à pratiquer le commerce d'antan, avec des ajustements de détail assez anodins, là où serait nécessaire une stratégie nouvelle. Les constructeurs, il est vrai, sont engagés sur tous les fronts, et la plupart d'entre eux ne savent pas comment interrompre, ou pire, inverser, des politiques mises en œuvre il y a cinq, dix ou quinze ans. On peut ainsi comprendre qu'après avoir organisé et renforcé le binôme "une marque, un réseau" pendant des années voire des décennies, il leur soit aujourd'hui difficile de prôner autre chose, par exemple "plusieurs réseaux pour une marque et plusieurs marques dans chaque réseau". Mais l'heure n'est plus aux pruderies : il s'agit de définir des stratégies commerciales conformes à l'esprit du temps et de les mettre en œuvre.
Partir des intérêts objectifs des acteurs du marché
Une marque ayant le droit de nommer des concessionnaires qui en représentent déjà une autre (ou plusieurs) et de choisir le même lieu de vente, la politique "une marque, un réseau" n'est plus qu'une survivance fragile du passé. Rien n'a bougé jusqu'ici pour deux raisons : un front uni tacite des principaux constructeurs et des associations de concessionnaires favorables au statu quo a résisté aux pressions du marché. Pour sa part, la Commission européenne a longtemps (jusqu'au 13 mars dernier) laissé dans le doute un certain nombre de questions relatives au multimarquisme et à ses avantages. Depuis peu, toutefois, les choses ont commencé à changer : par exemple, dans la chronique précédente (voir JA n°958), le "rouge", c'est Renault et le "bleu", c'est Fiat. Fiat, dans ce cas, va s'installer dans des locaux qui étaient uniquement réservés à Renault. Les constructeurs chinois ou indiens suivront-ils un chemin analogue ? Ils ont intérêt à le faire… Le maître mot est lâché. C'est bien l'intérêt objectif des uns et des autres qui va façonner la distribution de demain. Or, celui-ci est assez facile à comprendre : dans un marché hyper compétitif, l'intérêt des concessionnaires, groupes inclus, est de vendre plusieurs marques dans les mêmes locaux et c'est ce que les meilleurs sont en train de faire ; celui des constructeurs est de mettre en concurrence plusieurs types de réseaux, plusieurs types d'entreprises de distribution. C'est ce qu'ils ne font pas.
A chaque marque sa stratégie commerciale
Dans ses grandes lignes, la stratégie commerciale d'aujourd'hui devrait tenir compte de ce qui précède et de nouveaux équilibres entre constructeurs et distributeurs naîtront de leurs nécessités partiellement divergentes en matière de concurrence. Par conséquent, l'immobilisme de l'un ou l'autre des acteurs laissera le champ libre aux concurrents ; autrement dit, si un constructeur ne bouge pas, il subira les décisions de ses confrères et celles de son réseau. Par ailleurs, il serait dangereux d'imaginer la distribution de demain comme une simple évolution de celle d'aujourd'hui, avec un peu de multimarquisme en plus ici ou là. Il faut en effet tenir compte des facteurs intrinsèques à chaque marque, à chaque réseau de distribution : Peugeot n'est pas Citroën, Renault n'est pas Dacia. Le seul point commun à tous les constructeurs, qu'ils soient généralistes ou pas, est l'exigence de sortir, avec aussi peu de dégâts que possible pour les concessionnaires et pour eux-mêmes, du marécage "une marque, un réseau" dans lequel ils continuent à s'enliser. Non seulement parce que les consommateurs n'en ont pas grand-chose à faire, mais aussi parce que les signes avant coureurs du changement sont perceptibles : voyez le cas Fiat cité plus haut.
Ernest Ferrari, consultant
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