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Constructeurs

Le musée imaginaire de Jean-Pierre Ploué

Publié le 14 mars 2008

Par Alexandre Guillet
7 min de lecture
Jean-Pierre Ploué, l'homme du renouveau Citroën. Surexposé mais pas vedette. Encensé mais accessible. Il a accepté notre invitation à composer son musée imaginaire du design. Entre produits et théorie, voyage aux sources d'une sensibilité. Quelques...

...réminiscences de la petite enfance

"Tout petit, parmi les choses qui m'ont marqué, rétrospectivement on pourrait presque dire influencé, il y a bien sûr les Legos. Les petites voitures aussi, mais les Legos sont encore plus fondateurs. Ils offrent une immense liberté, la capacité de créer un infini. En plus, j'ai eu accès à des trucs sympas dans ma "génération" de Legos, comme les engrenages ou les fameux blocs moteurs noirs ! Cette liberté donnée par les jeux avec les Legos n'est pas datée, elle est un peu hors du temps, et je l'ai vérifié en voyant mes enfants jouer passionnément avec. Dans un registre similaire, je me souviens aussi des boîtes de Meccano, mais c'est moins fort."

Dis l'enfant

"Il y a le Rubik's Cube ! Un classique, mais un objet que j'aime bien, qui a du sens. Et puis, c'est la période des premières voitures : la 2 CV de mon arrière grand-père, la DS de mon grand-père ! J'aimais beaucoup les voitures comme l'Alfa Carabo, la Lancia Stratos dessinées par Bertone ou la Maserati Boomerang, l'un des premiers concept-cars sportifs de Giorgetto Giugiaro. Ce sont des véhicules très anguleux, avec un museau pointu très marqué. Pourtant, ce n'est pas ce j'apprécie le plus en général. Mais il reste la beauté de ces voitures, leur indéniable dimension sculpturale. Ce type de véhicules vieillit assez vite, c'est certain. Je crois que c'est inhérent aux formes utilisées, à cet aspect très anguleux… On prend un coup de vieux plus vite quand on s'éloigne des formes de la nature."

L'étudiant bisontin, roman de formation

"J'ai commencé mes études supérieures en architecture intérieure, mais j'ai rapidement voulu basculer vers le produit. Dans l'effervescence d'un groupe, d'une bande de copains. Vous connaissez bien certains d'entre eux : Oleg Son, Anne Asensio, Thierry Metroz. Nous étions passionnés d'automobile, mais il a fallu pousser nos professeurs pour qu'ils acceptent que nous choisissions cette voie. Accepter, c'est un grand mot, disons tolérer… A l'époque, l'auto n'avait rien de noble, au contraire ! L'automobile, c'était vulgaire, c'était le garagiste plein de cambouis… Bref, il a fallu qu'on force un peu le destin. Dans la bande, certains l'ont d'ailleurs fait au détriment de leur diplôme !
Les voitures que je retiens, disons la Lamborghini Athon, la Chevrolet Ramarro de Nuccio Bertone, ou encore la Citroën Zabrus de Marc Deschamps. En fait, le style Bertone m'a toujours plu et j'aime beaucoup les réalisations de Deschamps durant cette période. Un véhicule comme la Ramarro reste anguleux, mais déploie aussi des lignes pleines très significatives. Je me souviens bien aussi de la Lancia Medusa. Ce prototype se distinguait par la modernité de ses galbes, le traitement ambitieux de la surface vitrée et un style à la fois structuré et excessivement fluide. C'est aussi une référence en matière de qualité. Bien entendu, avec son nez pointu et ses "trous", elle a un peu vieilli mais elle reste très intéressante."
Je me rappelle aussi de renouveau stylistique créé par les japonais en 1986-87 avec des concept-cars sensationnels. Ensuite, cet esprit s'est dilué. Mais il a eu un impact sur mon parcours d'étudiant en arts appliqués."

Momo ou Bobo ?

"Pour parler de façon imagée, je me sens à mi-chemin entre deux courants générationnels, celui des Momos et celui des Bobos (ndlr : Né en 1962, Jean-Pierre Ploué est un très jeune directeur du style Citroën). Les premiers sont très attachés aux concepts, aux structures acérées, quand les seconds sont séduits par plus de rondeur, de galbe. Et j'ai assurément le côté Bobo de l'amateur de Bugatti Veyron ou de Ferrari 250 GT."

Starck, mentor-menteur

"Starck a représenté un choc. Il est synonyme de renouveau du design produits. C'était un mentor pour moi à l'époque. En plus, c'est un français et cela n'était pas anodin au moment de son éclosion, alors que la France était un peu à la traîne sur sa conception du design dans l'univers de l'entreprise par rapport au monde anglo-saxon notamment. C'est difficile à expliquer, mais Starck a amené de la poésie, de la magie dans le design produits. Je reste encore aujourd'hui enthousiasmé par sa brosse à dents. Simple, évidente, fonctionnelle, belle ! On n'a pas fait mieux depuis. Et il faut bien comprendre que la poésie n'empêche en rien la praticité, l'ergonomie, la fonctionnalité ou la simplicité. J'aime bien les réalisations architecturales de Starck, même s'il est sans doute moins brillant dans ce domaine que dans le design produits. Aujourd'hui, je reconnais qu'il en fait un peu trop, qu'il est trop happé par le marketing. Pour l'anecdote, l'autre jour, je le voyais en interview affirmer que la voiture est un produit trop simple, trop contraint pour être intéressant à traiter… Je crois que c'est parce qu'il aimerait bien faire un véhicule et qu'on ne lui en a pas donné l'occasion."

La salle des belles anciennes

"C'est difficile de choisir, mais je craque pour la Bugatti Atlantic. Il n'y en a que trois ! La beauté, l'évidence même. Avec un travail exceptionnel sur la qualité dans l'habitacle, sur les matières et les couleurs. D'ailleurs, le subtil contraste entre la teinte ganache et l'intérieur clair a inspiré une version de la C6 ! J'aime aussi la Talbot Lago T150 SS de 1937, modèle de fluidité et d'exploration du principe de la goutte d'eau. Avec ce roadster réalisé sur une base Bugatti, on perçoit la quintessence du luxe français. Luxe qui est aussi très technologique."

Le salon des refusés

"Pas de Ferrari dans ce musée, car je trouve cela trop lointain. La notion d'inaccessible me dérange. Pas de grosses américaines versions nostalgie sixties non plus. A mon sens, c'est plutôt une forme de décadence…"

Le département des Beaux-Arts

"Par rapport à ma sensibilité et à mon discours, vous pouvez comprendre que je préfère Botero aux préraphaélites. Pour la peinture, je suis séduit par les impressionnistes, mais mon artiste préféré reste Van Gogh. Ce sont les couleurs qui m'émeuvent au premier chef. Couleurs que Cézanne a aussi sublimées dans certaines de ses toiles. En revanche, je suis peu réceptif à l'abstraction ou à l'art conceptuel. Peut-être parce que cela réclame un effort intellectuel plus intense…"

Ma liberté

"Je n'appartiens pas à un courant de pensée donné, pas plus qu'à une école de style. Je crois d'ailleurs que ce phénomène d'appartenance n'a plus cours dans l'automobile, même si à une période, certains revendiquaient une proximité avec le Bauhaus par exemple. Je crois que nous cherchons avant tout un langage formel adapté à une marque donnée. Quand je suis arrivé chez Citroën, avant de développer un langage formel à proprement parler, nous voulions marquer les esprits avec des produits forts. C3 et C2 en sont l'illustration. Puis, nous nous sommes attelés à fonder un langage formel commun à tous les véhicules de la marque. Cela ne doit pas forcément passer par une récurrence de motifs ou de formes immédiatement identifiables. L'air de famille peut, et doit, être transmis par un esprit qui anime et se retrouve sur tous les véhicules."

Si JPP n'avait pas été designer ?

"Gamin, je rêvais d'être pilote de chasse, pas très original n'est-ce pas… Le métier de cuisiner aurait aussi pu m'attirer, d'autant que je trouve plusieurs similitudes entre la fonction de chef cuisinier et celle de responsable du design. Autrement j'aime bien l'univers de l'architecture extérieure ou du nautisme. Mais rassurez-vous, je n'ai pas de regrets ! L'automobile, c'est magique car c'est toujours différent ! Et les contraintes du métier m'apparaissent comme autant de challenges, comme une nourriture pour l'esprit de compétition."


Photo : Maserati Boomerang

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