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Constructeurs

L’avenir automobile, cette promesse

Publié le 1 octobre 2004

Par Alexandre Guillet
10 min de lecture
Pour la première fois, le CCFA, le CNPA, la Fiev et la SIA organisaient un forum en commun. Sur un vaste sujet présenté comme suit : en pleine interrogation sur la désindustrialisation, en plein psychodrame sur les délocalisations et en plein doute économique, quel avenir l'automobile...
Pour la première fois, le CCFA, le CNPA, la Fiev et la SIA organisaient un forum en commun. Sur un vaste sujet présenté comme suit : en pleine interrogation sur la désindustrialisation, en plein psychodrame sur les délocalisations et en plein doute économique, quel avenir l'automobile...

...peut-elle attendre, en particulier en France ? A vaste question, vastes réponses…


Une première ! Un colloque organisé conjointement par quatre grands organismes (CNPA, CCFA, Fiev et SIA) dont les points de vue peuvent parfois diverger. Une union d'un temps entre constructeurs, concessionnaires et autres professions de l'automobile, équipementiers et ingénieurs, pour tenter d'augurer de l'avenir de l'industrie automobile. L'ouverture du forum est confiée à Christian de Boissieu, professeur à l'université de Paris I, au Collège d'Europe de Bruges et aussi président délégué du CAE. Histoire de poser des jalons économiques fiables de nature à favoriser la vocation prospective du forum. Jalons que Christian de Boissieu dispose en vrac, mais non sans pertinence. En premier lieu, il assure que "la place de l'automobile dans la société est très forte. C'est un endroit où les gens se sentent à l'abri, protégés des agressions extérieures, mais c'est aussi un lieu en contact avec la société à plus d'un titre". Comme un symbole de l'individualisme cependant mis en articulation avec la société. Christian de Boissieu affirme aussi que, "pour le secteur automobile, contrairement à ce que beaucoup de spécialistes croient, il y a encore de la place pour une croissance à la fois intensive et extensive en France". A l'écouter, la France ne va d'ailleurs pas si mal que le disent nombre d'économistes et d'hommes politiques. Même s'il reconnaît que notre modèle touche ses limites, la reprise ne parvenant pas à concilier création d'emplois, hausse de la productivité et croissance.

"La délocalisation ne peut pas être traitée comme un concept"

Par ailleurs, Christian de Boissieu souligne que "la France ne va pas devenir uniquement un pays de services. L'industrialisation et la production doivent demeurer dans notre paysage. En prenant en compte que les frontières sont de plus en plus ténues entre industrie et services". Une assertion qui aiguille le discours vers le thème sensible des délocalisations. "Il faut faire la différence entre l'investissement direct à l'Etranger et les délocalisations qui restent rares. Ainsi, tout ce qui est créé à l'étranger ne serait pas créé en France. Aujourd'hui, au niveau des stocks, nous n'avons pas de problème, mais au niveau des flux, les chiffres sont plus inquiétants. Toutefois, il faut aussi être patient, car selon le principe de corrélation positive, il y aura des flux de retour à moyen terme", explique Christian de Boissieu, avant d'ajouter : "Il faut bien comprendre que la décision de délocalisation dépend d'un package incluant les salaires, la fiscalité, les taux d'intérêt et ce qu'on peut appeler les aménités. Bref, elle ne peut pas être traitée comme un concept. Elle diffère selon les secteurs d'activité et aussi selon les entreprises d'un même secteur." En revanche, il met en garde contre toute tentation de délocaliser les centres de recherche, une telle stratégie mettant promptement en péril la production d'un pays.





l'automobile en chiffres

2,5 millions
d'emplois induits par l'automobile en France.


5,75 millions
de véhicules produits par les constructeurs français en 2003, soit 10 % de la production mondiale.


35,6 millions
de véhicules circulent en France dont 30 millions de VP


115 milliards
d'euros de chiffre d'affaires générés par la construction automobile en France.

L'enjeu international et la difficulté d'obtenir une bonne rentabilité

Derrière l'épouvantail de la délocalisation, se trouve aussi une réalité positive, un potentiel : l'international et ses riches perspectives de développement. "Pour l'automobile, la problématique est internationale. Mais il ne faut pas que la France, et l'Europe en général, cherche à rivaliser avec des pays comme la Chine sur le terrain des coûts salariaux. Ce sont les avantages comparatifs, comme l'innovation ou la R&D par exemple, qui doivent nous valoriser", commente Christian de Boissieu. Si la mondialisation de l'activité est devenue incontournable, reste à savoir la rendre féconde en termes de business. Pour Bernard Delpit, responsable du contrôle de gestion chez PSA qui fut auparavant responsable du joint-venture du groupe en Chine, et Jean-Lucien Lamy, président de FCI, "la plus grande difficulté de l'enjeu international réside dans l'organisation pour parvenir à une bonne rentabilité. Les usines qui existent depuis deux ou trois ans n'ont pas d'expérience et nous leur demandons d'avoir la même efficacité que nos sites historiques". Dans cette optique, l'effort de formation revêt une importance de premier ordre. Par exemple, en Chine, le niveau moyen de formation se révèle faible car les constructeurs ont longtemps vendu des véhicules d'anciennes générations, pour ne pas dire obsolètes dans certains cas, sur ce marché. Le chantier "formation" est donc d'envergure. Jean-Pierre Trenti, représentant de l'Anfa, souligne que "les choses évoluent actuellement. Par exemple, le GNFA vient d'ouvrir un centre à Shanghai, en collaboration avec les constructeurs, tandis que le Garac met en place un BTS en Chine et développe des modules de formation des formateurs". Des initiatives similaires sont naturellement prises dans d'autres pays (Malaisie, Iran,
Egypte…).

A l'international, il y a des opportunités de croissance, mais pas d'Eldorado

Bernard Delpit et Jean-Lucien Lamy stigmatisent aussi l'enjeu du travail en "time to market", lié à des cycles de production toujours plus courts. Avant de s'attacher à battre en brèche certains fantasmes, notamment sur les coûts salariaux dans les pays émergents. En règle générale, le rapport est plus de l'ordre de 1 à 10 que de 1 à 100. Bref, si le développement à l'international est indispensable et qu'il incarne une voie de croissance, le mythe des Eldorado a fait long feu. D'ailleurs, Christian de Boissieu met en évidence un défi colossal sur les marchés chinois et indien : "Pour garantir durablement une véritable demande marché, il faut que le développement de l'automobile s'accompagne de l'émergence puis de l'essor de classes moyennes." Il prévient aussi que si la Chine joue actuellement le jeu des joint-ventures avec les constructeurs internationaux, il serait dangereux de sous-estimer sa capacité et sa volonté d'assurer seule l'activité de production. Enfin, tous les intervenants s'accordent pour reconnaître que la classe politique et les industriels français doivent renforcer leur présence sur le front des négociations pour les implantations à l'international. Le lobbying de nos acteurs hexagonaux se révélant insuffisant.

L'innovation : champ des possibles protéiforme et encore illimité !

Pour les acteurs du forum, l'internationalisation des activités constitue la première voie d'avenir pour l'automobile. Ce postulat macro-économique est assurément difficile à réfuter. Parallèlement, d'autres chemins d'avenir, sans doute plus aisés à matérialiser, peuvent être identifiés. Le forum a ainsi consacré un large volet à l'innovation. Deux axes ont été mis en exergue : la sécurité et les nouvelles technologies. La sécurité s'apparente encore à un vaste champ de possibles. "Des innovations vont intervenir au niveau de la sécurité comportementale, mais aussi de la sécurité technique", annonce Jean-Yves Le Coz, responsable de la sécurité routière chez Renault, avant de préciser : "L'utilisation des enregistreurs, ou "boîtes noires", peut par exemple engendrer des évolutions majeures. Même si cela pose un problème juridique et qu'il faut trouver un accord avec les assureurs." Au-delà de la vitesse, la gestion de la mobilité et des flux de circulation est au cœur des enjeux de demain. L'exploitation des capteurs et des différents radars d'assistance pourrait bien changer la vie des conducteurs. Par ailleurs, les constructeurs, et surtout les équipementiers, conservent un potentiel d'innovation dont il est difficile de percevoir les limites. "Aujourd'hui, des techniques traditionnelles épousent des technologies nouvelles, ce qui aboutit à des combinaisons de fonctions et à des fusions de technologies très fécondes", explique Guillaume Devauchelle, responsable de la R&D Valeo. Sans oublier l'enjeu clef de la miniaturisation ! Cette notion de "fusion de technologies" aura des conséquences directes sur l'industrie automobile. "Cela aura, et a déjà, un impact sur les compétences", déclare Jean-Yves Le Coz avant de poursuivre : "Nous allons avoir besoin de profils vraiment polyvalents. Or, la formation initiale reste trop spécialiste. Il faut aller vers plus de transversalité alors que, pour le moment, tout est organisé verticalement dans nos centres de recherches." En outre, André Douaud, directeur technique au CCFA, a attiré l'attention de l'assistance sur le défi environnemental proposé à l'automobile. Affirmant avec une autorité contestable que "le combat contre la pollution était gagné au niveau local", il souligne que le problème du CO2 reste entier et qu'il faut donc envisager l'avenir sans carburants fossiles. Parmi les autres sources d'énergie explorées, l'hydrogène le laisse sceptique et sa préférence va vers les solutions liées à la bio-masse. Enfin, on peut s'interroger sur le bien-fondé de l'autosatisfaction des intervenants affirmant à l'unisson que "les acteurs de l'automobile avaient beaucoup œuvré pour l'environnement". Certaines saillies contre le "ministre de l'Ecologie" (sic) et contre la campagne anti 4x4 semblent aussi déplacées, au moins dans leur forme…

"La mobilité individuelle, garantie par l'automobile, n'a pas de produit de substitution !"

Le forum a ensuite sondé l'avenir de l'automobile sous l'angle de l'explosion des activités de services. "Les services automobiles constituent une vaste chaîne qui maintient et crée nombre d'emplois", rappelle d'emblée Bruno Courtois, concessionnaire Peugeot. Tandis qu'Eric Baconnier, concessionnaire Renault, souligne ce qui tend à devenir un poncif : "La qualité des services devient capitale, ce qui n'était pas le cas auparavant." Tout le monde s'accorde à dire que l'importance prise par les services n'est pas prête d'être remise an question et qu'elle devrait même encore augmenter. D'autant que l'après-vente génère désormais des ventes et des profits. Eric Baconnier et Jean-Marie Humeau, réparateur agréé Peugeot, signalent néanmoins "qu'il faut faire un distinguo entre la notion de services dans les grandes villes et dans les zones rurales". La demande du client n'est pas la même, pas plus que la relation au client, et il est donc illusoire de tabler sur des systèmes de prestations de services uniformes. Mais, au final, l'idée que les services seront au cœur de l'activité automobile de demain fait l'unanimité. Une évolution qui n'est pas sans nuages. Avec beaucoup de pertinence, Michel Debargue, président de la commission nationale de la négociation sociale du CNPA, avertit que "cette problématique doit être intégrée dans la formation des jeunes. Surtout que ces derniers n'ont plus le même rapport au travail, à l'entreprise et à l'argent que les générations précédentes". L'efficacité des entreprises dépendra aussi de la gestion de ce paramètre. Déroutant soudain le débat, Bruno Courtois lance que "l'esprit d'entreprise doit être transmis par les anciens et qu'il faut savoir les garder, car  c'est plus efficace qu'un DRH", avant d'ajouter : "Nous devons prendre en charge les jeunes. Par exemple, avec les filières recyclage, nous avons ouvert de nouveaux métiers et avons appris aux jeunes à être propres, ce qu'ils n'apprennent pas forcément chez eux." Reprenant le fil de son discours et du forum, Michel Debargue met en garde contre "la menace des plaques de distribution, inscrites dans une logique financière, voire bientôt boursière, vis-à-vis de la gestion du personnel et de la lisibilité des stratégies." Le forum, sans doute trop théorique, s'est achevé sur un appel en direction des jeunes pour qu'ils rejoignent la branche automobile. Un forum somme toute réussi même si on peut regretter certaines déclarations trop caricaturales pour être constructives. Comme en témoigne la provocation de Manuel Gomez, président du CCFA, pourtant brillant sur le thème de la compétitivité : "Nous en avons assez d'être dans la position du bouc émissaire ou de la vache à lait." Ou ce trait d'humour peu opportun de Roland Gardin, président du CNPA : "L'Etat collecte 38 milliards d'euros grâce à l'automobile. Nous avons donc demandé d'avoir un bureau à Bercy !" On peut aussi regretter l'absence de réflexion sur le concept de mobilité, incluant tous les modes de transports. A l'exception de cette jolie sortie pleine d'espoir d'Armand Batteux, président de la Fiev : "La mobilité individuelle, garantie par l'automobile, n'a pas de produit de substitution ! Nous pouvons donc être tranquilles pour l'avenir."


Alexandre Guillet

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