S'abonner
Constructeurs

La revue Futuribles : Le salut par la recherche

Publié le 14 octobre 2005

Par Alexandre Guillet
8 min de lecture
Dans son édition de septembre, la revue Futuribles (*) se penche sur le thème suivant : "L'automobile de demain, quels enjeux, quelles perspectives ?". Remarquable synthèse, cette étude stigmatise notamment la nécessité européenne et française de réformer le secteur de la recherche,...
Dans son édition de septembre, la revue Futuribles (*) se penche sur le thème suivant : "L'automobile de demain, quels enjeux, quelles perspectives ?". Remarquable synthèse, cette étude stigmatise notamment la nécessité européenne et française de réformer le secteur de la recherche,...

...seul garant du pouvoir d'innovation.


En guise de préambule, Pierre Bonnaure, membre du comité d'orientation de Futuribles, et Véronique Lamblin, directrice des études de prospective et stratégie au sein du groupe Futuribles, posent un postulat en forme d'incertitude : "Autant il est relativement facile d'imaginer le futur de l'automobile sous l'angle technique, autant il est hasardeux de prévoir ce qui sera effectivement commercialisé, à diverses échéances, compte tenu de la combinaison instable des facteurs économiques, sociaux, environnementaux, réglementaires et fiscaux". La part d'imaginaire, de passion, et la dimension de représentativité sociale liée au produit automobile confortent naturellement cette incertitude qui relève cependant surtout d'enjeux plus complexes et macro-économiques. Mais avant d'en venir aux perspectives du secteur à proprement parler, les auteurs peignent le panorama contemporain de l'industrie automobile.

L'automobile face à ses contradictions actuelles

Et soulignent l'existence de nombreuses contradictions, pour ne pas dire impasses. Exemple : "Alors que foisonnent les articles sur la responsabilité de l'automobile dans le réchauffement climatique et la pollution urbaine et que se durcissent les normes environnementales ; alors que s'annoncent des tensions croissantes sur l'approvisionnement pétrolier et qu'augmentent les prix des carburants ; alors que les difficultés de circulation et de stationnement deviennent ingérables dans les grandes villes, c'est à une course générale à l'augmentation du volume, du poids et la puissance que l'on assiste, de Salon en Salon, pour tous les modèles. On peut douter que cet anachronisme résiste longtemps". Encore au stade du frémissement, la tendance au down-sizing semble donc inexorable. Même si elle ne concernera pas tous les segments comme le rappelait récemment Frédéric Saint-Geours, directeur général de Peugeot. Le segment du haut de gamme en sera sans doute exempté, afin de ne pas rogner des marges confortables. Pour respecter les futures normes environnementales, le down-sizing s'accompagnera sans doute aussi d'un amenuisement des équipements de sécurité et de confort, vecteurs de poids et par extension, de consommation supplémentaire. Ce qui viendrait contredire la situation actuelle : "Avec la multiplication des radars et des bouchons, les français redécouvrent maintenant, avec vingt ans de retard sur les Etats-Unis, l'intérêt du régulateur de vitesse et de la boîte automatique. Faute de pouvoir s'exprimer sur la route, les automobiles se muent en salons roulants, lumineux, insonorisés, climatisés, dotés d'une foule de gadgets : les "voitures à vivre"".

Une nouvelle division de la valeur ajoutée entre constructeurs, équipementiers et bureaux d'études

Par ailleurs, les auteurs de l'étude indiquent que la chaîne des valeurs dans le secteur automobile se restructure fortement. "De nos jours, les bureaux d'études peuvent donner libre cours à leur fantaisie car ils disposent d'un hyper-choix de matériaux et de techniques d'usinage, et ils peuvent puiser dans de vastes banques de composants et d'organes performants (souvent produits par des concurrents), au point que la valeur ajoutée par le constructeur ne cesse de se réduire, amplement dépassée par celle des fournisseurs, en constante augmentation". Un phénomène qui a encore été accentué par la révolution de l'électronique dans l'automobile au cours des vingt dernières années. Ainsi, l'ensemble du système électricité-électronique-informatique peut désormais représenter plus du tiers du coût d'un véhicule. Si le prix des composants est à la baisse, cette proportion devrait cependant continuer à augmenter. "Il s'ensuit une évolution considérable de la division du travail entre constructeurs, équipementiers et bureaux d'études", souligne l'étude.

Une nouvelle division internationale du travail

En outre, le marché évolue, devenant toujours plus concurrentiel. "L'industrie automobile mondiale, en surcapacité, a été le théâtre d'importantes fusions et restructurations, mais le nettoyage n'est pas terminé. Le sort de plusieurs constructeurs, chroniquement dans le rouge, reste en suspens", affirment Pierre Bonnaure et Véronique Lamblin. Si Matra et Rover ont déposé les armes, des marques comme Smart ou Jaguar peuvent à terme être menacées. Dans un autre registre, les difficultés de groupes comme Volkswagen, DaimlerChrysler, Ford et Fiat sont loin d'être réglées et bien naïf serait celui qui prédirait leur redressement général sans casse. Par ailleurs, les marchés traditionnels sont saturés. La France est un bon exemple de cet état de faits, avec des immatriculations annuelles qui oscillent au gré des cycles économiques aux alentours de trois millions d'unités mais qui fondamentalement, stagnent. La tentation est alors forte - et légitime - de s'intéresser à des marchés extérieurs prometteurs comme l'Europe centrale et orientale, le Maghreb, la Turquie, et bien entendu, la Chine et l'Inde. "Mais pour l'heure, cela se traduit davantage par des coopérations et des implantations d'unités de production que par un surcroît d'exportations", note l'étude. De plus, la concurrence est très rude entre européens, américains, japonais et coréens. Et les constructeurs "locaux" ne sont pas encore montés en régime sur leur marché domestique ni devenus exportateurs… "Une nouvelle division internationale du travail s'annonce donc, qui pourrait coûter cher à tout constructeur qui n'anticipe pas, qui innove trop peu, qui met trop de temps pour faire évoluer ses concepts et ses modèles, qui ne met pas en œuvre de sévères plans d'économies", prévient l'étude avant d'ajouter : "Le risque est, à l'image de l'industrie automobile britannique, d'être absorbé par des concurrents étrangers, qui revendront les usines par appartements, pour ne conserver que la marque, l'image et le réseau commercial, voire les équipes de conception".

"Faire face à la Renaissance asiatique"

Cette nouvelle géographie du monde automobile représente le premier défi majeur pour les industriels du secteur. Et "la réponse passe évidemment par une meilleure utilisation, au niveau européen, des laboratoires, des bureaux d'études, des bureaux de style et des unités de production", avancent Pierre Bonnaure et Véronique Lamblin. Comme en attestent leurs politiques de plates-formes ou de coopérations sur les moteurs, les constructeurs l'ont compris. Les équipementiers aussi. Mais il faut faire plus. "A la manière des districts italiens et des groupements américains de petites et moyennes entreprises, il faudrait accroître les joint-ventures thématiques, en y associant étroitement les chercheurs de l'université et des laboratoires publics de recherche. C'était d'ailleurs la vocation des technopoles, remises au goût du jour sous le label "pôles de compétitivité"", préconisent ainsi Pierre Bonnaure et Véronique Lamblin tout en tirant une sonnette d'alarme : "Encore faudrait-il disposer du réservoir nécessaire de talents. Or, en France, les laboratoires ont à peine de quoi payer leur personnel et les étudiants se détournent des filières de recherche ou choisissent d'émigrer. L'Europe doit relever le défi des Etats-Unis, du Japon, de l'Inde, de la Chine, de Singapour, de Taiwan et de la Corée du Sud, voire d'Israël, qui forment des cohortes d'ingénieurs et de chercheurs dans les nouvelles technologies. (…) Il va falloir beaucoup d'imagination et d'énergie pour faire face à la Renaissance asiatique".

L'inquiétant retard pris par l'Europe sur le front névralgique de la recherche

Ce défi capital est encore accentué, dramatisé pourrait-on dire, par l'enjeu environnemental et énergétique proposé à l'industrie automobile. En premier lieu, la voiture fait partie des gros pollueurs, principalement en ville. D'un strict point de vue scientifique, "l'automobile en ville est donc une aberration, a fortiori s'il s'agit d'un engin inutilement surdimensionné comme cela semble malheureusement devenir la mode", assène l'étude. Face aux normes qui entreront au fur et à mesure en vigueur, les choses doivent donc évoluer rapidement. Les auteurs de l'étude mettent aussi en évidence la responsabilité de l'administration en prônant qu'elle sorte "de sa culture de la norme descriptive pour se convertir au concept autrement plus moderne et efficace de la norme "performancielle", qui libère l'innovation au bénéfice du résultat". Par ailleurs, si les prédictions des spécialistes divergent sur la date du fameux pic de Hubbert, il convient d'envisager l'ère de l'après-pétrole dans son acception radicale. D'autant qu'au moment de la transition, la contrainte se portera principalement sur le transport terrestre, les véhicules routiers et urbains en tête, car la priorité sera donnée aux transports aérien et maritime, pour l'heure plus démunis face à cet horizon. Les solutions alternatives (GNV, biocarburants, électricité, pile à combustible…) sont bon an mal an identifiées, mais une nouvelle fois, la compétition mondiale se jouera à l'aune de la qualité et du pouvoir de la recherche. Or, les européens sont en retard à ce niveau… Et la France traverse, comme un malencontreux hasard, une crise profonde de son système de recherche… Pierre Bonnaure et Véronique Lamblin estiment que "libérer la recherche passe par une refonte de la politique de recherche et développement, de la fiscalité des entreprises, et du marché de la matière grise. Il faudra aussi réformer les mentalités du petit monde français de l'enseignement supérieur et de la recherche, qui considère trop souvent le management, l'économie, la propriété industrielle et la création d'entreprise comme des disciplines mineures, sinon comme une soumission regrettable aux lois du marché". La question est à prendre au sérieux car comme l'indique l'étude en conclusion, "l'alternative est de perdre sa brave industrie automobile, comme vient de le faire la Grande-Bretagne qui a choisi de se spécialiser dans les services financiers et les industries de la communication et du savoir"…


(*) Futuribles, septembre 2005, numéro 311. Pour plus de renseignements : www.futuribles.com


Alexandre Guillet

Vous devez activer le javacript et la gestion des cookies pour bénéficier de toutes les fonctionnalités.
Partager :

Sur le même sujet

Laisser un commentaire

cross-circle