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Constructeurs

La globalisation à tout prix

Publié le 5 décembre 2003

Par Alexandre Guillet
10 min de lecture
Suivre la demande au plus près, tel est le leitmotiv de l'industrie automobile qui se déploie de plus en plus vers les marchés émergents, principalement l'Asie et l'Europe de l'Est. Les perspectives de croissance y sont en effet fort alléchantes, mais les risques y sont d'autant plus élevés,...

...notamment pour les plus petites entreprises…


Se satisfaire d'un seul marché n'est aujourd'hui plus possible pour les entreprises de l'industrie automobile. Thierry Morin, président du directoire de Valeo, estimait ainsi récemment que, "il y a sept ou huit ans, les enjeux pour travailler en OEM étaient les mêmes qu'actuellement, avec toutefois une différence : la globalisation n'était pas encore nécessaire". C'est aujourd'hui un facteur discriminant pour emporter les contrats auprès des constructeurs automobiles. Ceux-ci ont en fait amorcé le mouvement, en multipliant leurs implantations dans de nombreux pays afin d'augmenter la taille de leur marché, et ils ont ensuite incité leurs fournisseurs à les suivre. Toute la filière est ainsi concernée, qu'il s'agisse des plus grands équipementiers de premier rang ou des PME qui leur fournissent des pièces. Il est en effet important pour une nouvelle usine de pouvoir compter sur un réseau de fournisseurs qualifiés pour lancer la production et ils font donc appel à ceux avec lesquels ils ont l'habitude de travailler. Aujourd'hui, trois grandes régions représentent la plus grosse partie du marché mondial de l'automobile, l'Amérique du Nord, l'Europe occidentale et le Japon. Les marchés de ces régions sont toutefois parvenus à un seuil de maturité critique, la concurrence y fait rage et le potentiel de croissance atteint ses limites.
Les constructeurs automobiles se sont alors tournés vers d'autres marchés où les perspectives à plus long terme se faisaient plus juteuses et ont commencé à se développer vers les marchés émergents. L'Amérique du Sud a ainsi fait l'objet de toutes les attentions avant que la crise économique et sociale ne refroidisse quelque peu les ardeurs des investisseurs étrangers. Aujourd'hui, deux autres régions semblent avoir particulièrement le vent en poupe : les pays de l'Europe de l'Est et de l'Asie, répartie entre la Chine d'un côté et l'Asie du Sud-Est de l'autre.

Investir dans les pays émergents, un risque que les PME calculent sérieusement

La demande dans ces pays ne cesse en effet de croître et, en 2002, les ventes ont ainsi augmenté de 12,4 % en Asie (sans le Japon) et de 9,7 % en Europe de l'Est. Vu le nombre d'habitants dans ces pays et leur taux de motorisation, encore largement inférieur à celui des marchés matures, la démarche des constructeurs semble évidente. Toutefois, plus on descend dans la chaîne de fabrication des automobiles, plus la taille des entreprises devient modeste, et plus le risque encouru par une implantation dans ces marchés à forte demande devient élevé. Implanter une structure pour suivre seulement un contrat peut en effet s'avérer très aléatoire et demande un investissement financier, mais aussi en temps, très important qui peut grever de manière irrémédiable le budget d'une petite entreprise. Les moyens de ces entreprises sont en effet bien souvent très comptés et elles ne peuvent pas se disperser sans certitudes. "La plupart des sous-traitants de la filière automobile sont des petites entreprises dont les équipes sont calculées à l'homme près aux besoins du marché, souligne Jérôme Franz, président du Gifa (Groupement des industriels fournisseurs de l'automobile), il est difficile dans ces conditions de s'expatrier." Les sous-traitants automobiles envisagent donc ces marchés très prudemment et hésitent longtemps avant de franchir le




EN BREF

La répartition de la demande selon Global Insight


  • 2003 : 72 % de la demande automobile est répartie entre les 3 grands marchés (Europe de l'Ouest, Amérique du Nord et Japon).
  • 2013 : la part des 3 grands marchés passera à 61 %.
  • pas. "Nous avons déjà développé plusieurs partenariats techniques avec des entreprises asiatiques", confie Rémy Pone, directeur du développement commercial et des ventes d'Electrifil Automotive, une entreprise spécialisée dans la connectique et les faisceaux électriques automobiles. "Nous n'y avons pas encore d'implantation réelle, mais cela fait partie de nos projets, continue-t-il avant d'ajouter : Nous voulons y aller petit à petit avec, en dernière étape, la création d'une usine." Même son de cloche chez Saint Jean Industries, un industriel fabricant de pièces de suspension en aluminium pour l'automobile et possesseur de deux sites de fabrication en Europe et d'un autre en Amérique du Nord. "La Chine nous intéresse pour suivre nos clients, affirme ainsi Hervé Véricel, chef de projets export de Saint Jean Industries, nous voulons voir quels partenaires peuvent nous y représenter, soit pour un partenariat technique et commercial dans un premier temps, soit pour un partenariat industriel dans un second temps." Il ne voit ainsi pas d'établissement avant 2006 ou 2007 pour son entreprise. "Il nous faut un minimum de 15 millions d'euros de chiffre d'affaires pour nous implanter si nous voulons rentabiliser la création d'une ligne de production", explique-t-il. Avant d'envisager une implantation, les industriels commencent par se renseigner sur les conditions d'installation sur le marché chinois, notamment en s'inspirant de l'expérience d'autres entreprises. Hervé Véricel explique par exemple avoir appris par le biais de ses confrères qu'"il est extrêmement important d'être très présent là-bas pour suivre le développement de l'entreprise. Il faut une équipe dirigeante française, c'est en général ce que font les autres sociétés".
    Plusieurs modes d'implantation sont à la disposition des sociétés étrangères pour s'attaquer au marché chinois : la création ex nihilo avec des capitaux 100 % français, le rachat d'une entreprise chinoise ou encore le joint-venture avec un investisseur local. "Le joint-venture présente l'avantage d'être un moyen rapide d'accès au marché, explique le représentant de Saint Jean Industries, mais l'inconvénient, c'est qu'il est alors difficile de garder quelque chose de secret. Or notre procédé est breveté. Nous devons donc être prudents quant à la propriété intellectuelle." Une préoccupation que l'on retrouve d'ailleurs chez Electrifil Automotive, qui se méfie du copiage des technologies en Asie, et qui a d'ailleurs déjà intenté des procédures pour s'en prémunir.

    Comment évaluer le risque d'une implantation à l'étranger ?

    Mais vers quels pays s'implanter et quels critères prendre en compte pour déterminer une éventuelle implantation ? Jean-Pierre Reynier, directeur délégué benchmarking de Renault, apporte quelques éléments de réponse. "Il n'y a pas de pays idéal car, dans les marchés émergents, il y souvent de grandes instabilités", rappelle-t-il tout d'abord, en soulignant l'exemple de la crise en Corée de la fin des années 90 ou encore celle survenue en Amérique du Sud plus récemment. Il énumère néanmoins des critères à étudier afin de déterminer le coût d'une implantation à l'étranger : le volume de référence, les éléments de logistique du pays, les indices de pouvoir d'achat, la réexportation, la fiscalité locale s'appliquant aux entreprises ou encore la structure du marché des fournisseurs. Selon lui, les régions les plus en pointe actuellement sont ainsi la Chine et l'Asie du Sud-Est.
    Toutefois, pour chaque pays, les risques sont différents et le cabinet de consultant anglais Global Insight a mis au point une méthode d'analyse des risques dans les pays émergents. "Il faut d'abord évaluer les risques actuels et futurs en comparant les économies émergentes à celles des pays européens", affirme ainsi Robert Marshall, chef économiste Europe de Global Insight, qui ajoute : "Il faut ensuite estimer le niveau de retour sur capital ou bien de marge nécessaire pour compenser le niveau de risque encouru." Le cabinet a ainsi mis en place un service d'évaluation des risques couvrant 118 pays, permettant d'analyser les sources de risques pouvant potentiellement avoir un impact sur la vie des affaires et ce, avec une vue à horizon de cinq ans. Cette évaluation, Global Insight l'a commencée à la fin 1995, en la réactualisant tous les trimestres, et le cabinet se targue ainsi d'avoir su prévoir, grâce à cette méthode, des événements tels que la crise asiatique, la dévaluation au Brésil ou encore la stagnation de l'économie japonaise et la crise en Argentine. Les analystes se fondent pour cela sur la situation de chaque pays étudié, à la fois sur le plan économique, politique et social, et sur le contexte économique mondial. Concrètement, ce sont quelque 33 critères prédéfinis qui sont passés au crible, tels que les différentes taxes en vigueur (impôts sur les sociétés, taxes d'exportation et d'importation, etc.), le coût du travail, le nombre d'investissements étrangers déjà présents, le coût de l'immobilier, etc. Pour chacun de ces critères, l'analyste établit une probabilité de risques en pourcentage, cette probabilité étant affinée également par rapport à des éléments relatifs à l'entreprise : veut-elle produire pour le marché local ou bien pour exporter, les actifs de l'entreprise seront-ils importés ou achetés localement, ou encore quel est l'état de l'infrastructure locale au regard de l'opération prévue ? Au final, cet outil permet d'établir un hit-parade des pays en fonction du risque d'investissement et de savoir, selon le pays, quel niveau d'affaires il faut pouvoir réaliser pour compenser le risque. Concernant un investissement relatif à la mise en place d'un site de production destiné au marché domestique, le cabinet de consultants estime que l'Argentine est le pays présentant le plus de risques (près de 65 % de risques), la Russie dépassant quant à elle les 55 %. Concernant l'Europe de l'Est, la Pologne semble être la mieux placée, avec un peu moins de 25 % de risques, suivie de la Slovaquie et de la Roumanie. En Asie, la Corée du Sud est la mieux positionnée (environ 25 %), la Chine dépassant pour sa part les 40 %.
    Les perspectives de croissance dans les pays émergents sont donc extrêmement alléchantes pour les entreprises de la filière de fabrication automobile, mais les risques sont néanmoins bien présents et les entreprises doivent les prendre en considération de manière très précise pour éviter une éventuelle débâcle. 


    A.D.





    FOCUS

    Internationalisation, le cas Valeo

    Les équipementiers de rang 1 ont, depuis quelques années, intensifié leur internationalisation. "Quel que soit l'endroit où le client veut que nous allions, nous y sommes et parfois même avant" : ainsi Valeo, l'un des plus grands équipementiers français, résume-t-il sa stratégie de globalisation. Très présent dans les marchés émergents, aussi bien en Amérique latine, en Europe centrale qu'en Asie, le groupe avoue aujourd'hui s'orienter de plus en plus fortement vers la Chine. Son chiffre d'affaires en Chine a ainsi augmenté de 35 % entre 2001 et 2002, passant de 170 millions à 230 millions de dollars. L'équipementier vient notamment d'y ouvrir, à Wuhan, un centre de recherche et développement dans le domaine de l'éclairage qui travaillera pour toutes les activités de Valeo dans le monde. Il compte en outre poursuivre ses efforts en augmentant les investissements dans ses joint-ventures chinois, en créant de nouvelles gammes de produits ou encore en continuant de valoriser l'activité de son bureau commercial de Shanghai, qu'il a ouvert en 2001. Par ailleurs, la globalisation pour Valeo n'est pas seulement un moyen de se rapprocher de la demande de ses clients, mais aussi de produire à bas prix. Il cherche donc à s'implanter dans les pays où les coûts de production sont les plus faibles et ce, principalement pour les produits nécessitant beaucoup de main-d'œuvre. Ainsi, près de 40 % des capacités de production du groupe sont situées dans des pays à faible coût de main-d'œuvre.

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