Inoubliable Berex
...de ses anciens collaborateurs.
Le Mans, la Formule 1, Dieppe et Alpine étaient de tous les défis sportifs de Renault. Et l'on peut même dire de tous les succès de Renault. Après 1973 et les Berlinette qui ont survolé les rallyes mondiaux avec Jacques Cheinisse comme directeur sportif, 1978 marquera une nouvelle étape. En effet, l'Alpine A442B, numéro 2, emmenée par Jean-Pierre Jaussaud et Didier Pironi, triomphe aux 24 Heures du Mans. L'aventure Formule 1 n'en est encore qu'à ses débuts, mais les espoirs sont grands. Toutefois, ces succès ont des conséquences sur les équipes en place. En effet, Renault Sport, jusqu'ici basé à Dieppe, dans l'usine du Val-Druel, déménage à Viry-Châtillon, sous la houlette de son directeur général Gérard Larousse, pour se consacrer à la Formule 1. Mais beaucoup des hommes de Renault Sport Dieppe et ceux d'Alpine ne veulent pas faire le voyage. "Sur les soixante personnes d'Alpine, se souvient Dominique Guérin, responsable des essais mise au point du Berex, une seule est partie à Viry." Pour ne pas perdre un tel savoir-faire, Renault décide donc de créer le Berex, le Bureau d'études et de recherches exploratoires, en octobre 1978. Au départ, 117 personnes sont alors chargées de faire vivre Alpine, mais aussi de réfléchir à des variantes de Renault plus sportives dont les meilleurs exemples restent la R5 Turbo, la R5 Alpine Turbo ou plus tard la Clio Williams ou le Spider. Cette nouvelle équipe, regroupant une partie du personnel de Renault Sport et le bureau d'études Alpine, débute donc dans les anciens locaux de Renault Sport au Val-Druel. Le Berex est né et son premier patron n'est autre que Georges Douin.
L'implication de Georges Douin était totale, du bureau d'études à la conduite des prototypes
A 35 ans, Georges Douin, dont la première voiture a d'ailleurs été une Berlinette (un signe !), prend la tête de cette nouvelle entité. "J'ai connu Georges Douin en 1974, raconte Dominique Guérin, il était ingénieur au département carburation du Centre de recherche de Lardy, en région parisienne, ce qui explique son très grand intérêt pour la technique durant nos divers projets." Alain Serpaggi, pilote couronné dans différents championnats européens et chez Alpine de 1968 à 1995, date de la fermeture du Berex, abonde dans ce sens. Cet ancien pilote chargé de la mise au point des prototypes se souvient : "J'avais souvent à faire à lui car il s'intéressait à tout ce qui se passait dans la maison. Souvent, il discutait avec l'ensemble des hommes de l'entreprise, des mécaniciens aux pilotes d'essais, dont je faisais partie, en passant par les dessinateurs industriels." Un intérêt réel et aussi une passion pour la technique et le produit qui le conduisaient même à prendre le volant des prototypes du Berex. "Il me téléphonait, se remémore Alain Serpaggi, et il me disait : appelez-moi pour votre prochain essai, je viendrai avec vous." Et le directeur général du Berex participait ainsi aux séances en prenant le volant de divers bolides. "Il conduisait vite, précise Jean-Pierre Limondin, responsable des essais du Berex, mais sans prendre de risque." "C'était un homme droit au travail, d'une implication totale à tous les niveaux d'un projet", poursuit Alain Serpaggi. Cet homme féru de technique, proche des produits, marqua également les esprits du Berex tant il était humain et convivial. Pourtant, Dominique Guérin se souvient d'une certaine froideur au premier contact, sans doute une marque de timidité. "Il était très réservé, mais en le connaissant mieux il était très chaleureux", confie Jacques Cheinisse, qui travaillait avec lui lorsqu'il était chef de produit, notamment des petites séries fabriquées à Dieppe comme la R5 Turbo, avant de devenir un de ses collaborateurs directs à la direction produit du constructeur. Jean-Luc Brodin, secrétaire général du Berex à l'époque, conserve également de nombreux souvenirs : "j'ai eu énormément de plaisir à travailler avec lui, j'ai beaucoup appris à ses côtés, notamment sur le management. Il laissait à l'ensemble de l'équipe une très large autonomie, une caractéristique de son management très libre et très dynamique." Jacques Bornic, à l'époque dessinateur industriel, confirme cette attitude sincère et attentionnée avec les hommes de l'équipe : "Même bien des années plus tard, lorsqu'il évoluait déjà dans les "hautes sphères" de Renault, lors de rencontres, il venait toujours vers nous." Une situation qu'a également connue Henri Gauchet, dessinateur-projeteur au Berex, qui se souvient avoir revu Georges Douin, notamment à l'occasion de plusieurs Salons de l'automobile : "Il se souvenait de moi et venait me serrer la main, c'était l'occasion d'échanger quelques mots."
"Georges Douin a su respecter les gens, leur histoire, leur culture, tout en construisant quelque chose de neuf"
Cependant, ces traits ne doivent pas en gommer d'autres, comme une rigueur pouvant s'apparenter quelquefois à celle des militaires, se rappelle Jacques Bornic. Mais, pour ce dernier, Georges Douin est aussi et surtout un homme qui a marqué l'équipe du Berex. "A l'époque, se souvient-il, le défi était de taille : il fallait donner une nouvelle identité au Berex sans pour autant effacer celle du passé, l'esprit Dieppois ! Georges Douin a su respecter les gens, leur histoire, leur culture, tout en construisant quelque chose de neuf. Cela n'a pas été facile, mais il s'est affirmé comme un très bon manager." Et Jean-Pierre Limondin nous explique le contexte de cette fusion : "Le regroupement de ces deux entités n'était vraiment pas chose aisée, car le personnel de Renault Sport 24 Heures du Mans se sentait frustré qu'on leur annonce en octobre 1978 une telle mesure (ndlr : abandon du programme endurance et regroupement des services F1 à Viry) après leur victoire dans la célèbre épreuve en juin 1978. Certains disaient même sur le moment, à chaud : "On aurait mieux fait de ne pas gagner !" Voilà toute l'ambiguïté du Berex. La mission de Georges Douin était là : arriver à intéresser à nouveau ce personnel très qualifié à une tout autre activité. "Il n'y avait pas la fanfare de la compétition, raconte de façon imagée Jacques Cheinisse, mais il s'agit d'une reconversion brillante. Le Berex était une nouvelle utilisation de ces formidables talents." Pour réussir ce nouveau départ, Georges Douin s'est appuyé sur son bagage technique, son intérêt pour cette technique, ainsi que sur son implication dans les différents projets. Autant d'éléments fédérateurs pour cette équipe reconstituée. Des équipes, Alpine et Renault Sport, toutes deux dieppoises et qui n'avaient aucune animosité l'une envers l'autre. Ainsi, Georges Douin a-t-il toujours porté une attention toute particulière à l'ensemble de son équipe, comme en témoigne cette anecdote de Jean-Luc Brodin. "Chaque fois qu'il devait se rendre à Paris, pour des réunions notamment, il demandait si un collaborateur n'avait pas également un rendez-vous pour faire la route ensemble, pour pouvoir échanger d'une autre manière", explique-t-il. Des voyages dont se souvient également Jean-Pierre Limondin : "Georges Douin était très organisé afin d'optimiser le rendement et si, effectivement, nous étions plusieurs à avoir une réunion au siège de Renault, par exemple à 14 heures, nous partions tous ensemble vers 12 heures. Nous nous arrêtions alors chez lui pour récupérer des sandwichs que son épouse nous avait préparés et nous déjeunions dans la voiture durant le trajet." Georges Douin pensait donc à tout, optimisait tout. Un ensemble de témoignages qui plaide en faveur de ses qualités de manager d'hommes qui n'oublie toutefois pas la rentabilité d'une structure, mais aussi qui met en exergue sa passion pour les produits. Sous l'ère Douin, le Berex va produire des modèles qui marqueront leur époque, comme la R5 Turbo, mais également développer des projets, comme le VVA, Véhicule Vert Alpine, qui auraient peut-être valu à Renault son slogan de "Créateur d'automobiles" bien avant l'heure.
La R5 Turbo, épine dorsale du Berex durant l'ère Douin
Bien que le projet ait débuté en 1976, sous le nom de code 822, la R5 Turbo est la véritable épine dorsale du Berex. Cette fabuleuse auto entra en production à Dieppe en mai 1980 et aussi bien les versions civiles que compétition resteront dans l'histoire de l'automobile. Dès 1979, la R5 Alpine Turbo était entre les mains d'Alain Serpaggi alors que sa commercialisation n'interviendra que deux années plus tard. Bien évidemment, la marque Alpine était également présente parmi les projets de l'ère Douin. L'A310 phase 2 a été développée durant cette période. La suite de la marque Alpine, la GTA, trouve également ses sources à cette époque. Bien que finalisées par le successeur de Georges Douin au Berex, Jean-François de Andria, leurs premières esquisses datent de cette ère. Mais le Berex, avec sa vocation exploratoire, n'a évidemment pas vu aboutir tous ses projets. Le VVA en est l'exemple, malheureusement pourrait-on dire. Le Véhicule Vert Alpine aurait dû être l'un des premiers SUV et, en tout cas, le premier SUV français puisque, même aujourd'hui, il n'y en a toujours pas ! Sous les trois années de présidence de Georges Douin, le Berex a développé ce 4x4, "un Range Rover moderne" pour l'équipe de l'époque. En effet, le VVA comptait déjà sur une caisse autoporteuse, des suspensions indépendantes et une transmission intégrale grâce au savoir-faire des hommes du Berex qui avaient modifié une boîte de Trafic pour l'occasion. Un projet qui nous vaut une anecdote, un souvenir que partagent notamment Dominique Guérin et Jean-Pierre Limondin. Lors des essais des modèles potentiellement concurrents du VVA, principalement des 4x4 américains et le Range Rover, Georges Douin était resté coincé dans un gué, après que le moteur eut bu la tasse. Heureusement, le patron du Berex, lui, ne l'a pas bue, mais il a dû patienter quelques minutes sur le toit du 4x4 avant de retrouver la terre ferme. "Le projet avait tout pour aboutir", se rappelle Jean-Pierre Limondin, mais le VVA ne connaîtra pas la série. En effet, lorsque Renault rachète le constructeur AMC en 1980, il hérite par là même du Cherokee, un 4x4 qui aurait été un concurrent direct du VVA. Ceci explique cela : l'abandon du projet. Mais les regrets sont d'autant plus grands qu'en 1987 Renault a revendu AMC à Chrysler et n'avait ainsi plus de 4x4 dans sa gamme. Georges Douin a donc dirigé le Berex du 1er janvier 1979 au 1er janvier 1982 et a laissé une forte empreinte. Claude Foulon, à l'époque responsable du montage mécanique de l'atelier prototype, lui rend le plus bel hommage : "S'il était resté avec nous, le Berex existerait peut-être encore ! Après lui, on s'est sentis un peu esseulés." Son bagage technique a été un incontestable atout, il lui a offert une crédibilité sans pareille avec les équipes de techniciens du Berex, mais aussi au cours de ses divers postes techniques de 1982 à 1992, notamment de responsable des études mécaniques à Rueil-Malmaison de 1982 à 1985. Georges Douin, technicien, mais aussi stratège, qui a fait entrer la dimension internationale de l'entreprise dans tous les esprits.
Christophe JaussaudVoir aussi :
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