Faut-il craindre la Chine?
...du pays qui force le respect des industriels occidentaux.
Depuis le Salon automobile de Francfort 2005 et la présence inédite de constructeurs chinois sur un show européen, l'inconnue quant à l'évolution industrielle de l'automobile chinoise n'a jamais été aussi élevée. Où en est leur appareil de production ? Qu'en est-il de leur problème de qualité et de leur législation du travail ? Quand vont-ils commercialiser les véhicules en Europe ? Ont-ils les moyens de redessiner l'échiquier automobile international ? Autant d'interrogations qui traduisent ce formidable fantasme qui recouvre le potentiel chinois, en matière automobile notamment. "Le jour où la Chine s'éveillera, le monde tremblera", prédisait en son temps Napoléon. Voilà désormais quelques années que le monde tremble. Et les Chinois, eux, continuent d'avancer. En 2006, 7,3 millions de véhicules ont été produits en Chine et ce chiffre devrait atteindre les 10 millions d'unités d'ici 2010. La cartographie de l'industrie automobile locale s'en trouve ainsi modifiée.
Un des plus importants carrefour commercial au monde
Traditionnellement implantée dans la région de Shanghai, la production automobile s'est depuis éclatée. De nouveaux pôles sont ainsi apparus. Parmi eux, cette région que l'on nomme "Pearl River Delta". A l'embouchure du fleuve Zhu Jiang, le delta de la rivière des Perles forme un triangle entre Canton (Guangzhou), située en amont du fleuve, et les deux régions administratives spéciales que sont Hong Kong et Macao. Ce delta couvre une superficie de 41 700 km2 pour 48 millions d'habitants. Comme si les 80 % de la population française vivait en Aquitaine. Cette région est, désormais un des hauts lieux de l'industrie automobile. Notamment grâce aux implantations successives de constructeurs et équipementiers japonais. Honda a, par exemple, annoncé la construction d'une troisième usine dans le secteur. Nissan étend actuellement son site à Huadu. Quant à Toyota, la direction nipponne prévoit d'ouvrir une seconde usine après celle inaugurée en 2004 à Nansha, une zone de 544 km2 sur laquelle on retrouve pas moins de 24 fournisseurs de pièces automobiles, tels que Bridgestone, Yokohama, Denso ou Aisin. Nombre des 4 000 équipementiers présents dans le pays ont une implantation sur le delta. Prochainement, Hyundai devrait s'installer lui aussi à Canton, attirant de nouveaux fabricants d'équipements et de pièces détachées dans son sillage. En l'espace de dix ans, cette région est ainsi devenue incontournable dans le paysage automobile chinois. Selon Stephen Pan, directeur général de la Zone Economique de Nansha, un grand constructeur américain serait même en passe de planifier une implantation. Coût de la main-d'œuvre, facilités économiques avec Hong Kong (voir encadré), efficience logistique… l'attractivité de la région est tout à fait singulière.
ZOOMHong Kong : porte d'entrée vers la Chine Face à cette Chine, objet de tous les fantasmes et de toutes les peurs, Hong Kong se fait depuis longtemps appendice de Pandore. Pourquoi ? Parce que son administration rend la création d'entreprise beaucoup plus aisée que sur "Main Land" (nom donné à la Chine par les hongkongais). Parce que sa vitalité économique ouvre les portes de la Chine, toute la Chine. Formation du "groupe des 27", entreprises influentes du milieu automobile, fiscalité, maturité du marché, pro activité du gouvernement… Les avantages économiques séduisent les investisseurs. Taux d'imposition sur les sociétés de 17,5 %, non-imposition des dividendes et intérêts perçus et des plus-values réalisées à Hong Kong, absence de TVA sur le chiffre d'affaires, absence de droits d'importation (sauf hydrocarbures et alcool) sont autant d'arguments pour qui veut allier le Friendly Business Hongkongais au potentiel industriel de la Chine. Les résultats sont éloquents. Aujourd'hui, 40 % des entreprises étrangères qui investissent en Chine ont leur siège social à Hong Kong. Ces dernières représentent 80 000 usines et emploient 10 millions d'ouvriers pour la simple région du Delta de la rivière de perles, dans le Sud du pays. Sur les 82,8 milliards de dollars d'exportations réalisées par la Chine en 2006, 53 % l'ont ainsi été vers Hong Kong. Par ailleurs, depuis l'instauration du CEPA (Closer Economic Partnership Agreement) avec la Chine en 2003, les exportations de Hong Kong vers la Chine sont exempts de droit de douane et 18 activités de service ne connaissent aucune restriction. On comprend donc d'autant mieux la relation qui lie le pays à l'ancienne colonie britannique. |
Symbole de cette activité économique intense : la zone portuaire. Hong-Kong est aujourd'hui le port le plus important du monde, devant Singapour, Shanghai et Shenzhen (voir graphique), cité distante d'à peine 50 km de l'ancienne colonie britannique. Ce delta semble constituer le carrefour commercial le plus important du monde. Et malgré cela, nombreux sont ceux à percevoir la Chine comme un simple atelier, gigantesque certes, mais rudimentaire. Nous sommes pourtant loin des comptoirs de Madras ou de Pondichéry. Ces deux ports s'ouvrent vers un vivier ouvrier et commercial inouï, mais également sur un outil industriel grandement modernisé.
Un outil de production modernisé
Pour qui promène son regard le long des routes qui lient Shenzhen à Canton, l'axe industriel et économique du Delta, deux constats apparaissent clairement irréfutables. En premier lieu : le pays est en chantier. Les travaux sont partout et témoignent d'une évolution permanente du secteur. Mais en marge de cela, l'important nombre de ruines industrielles paraît incompréhensible, notamment au regard de la vitalité économique de la zone et des 14 % de croissance enregistrés l'an dernier, contre une croissance nationale de 10,4 %. Pourtant, il s'agit-là d'une mutation profonde de l'industrie chinoise. "Avant, beaucoup de structures ne trouvaient pas leur point d'équilibre. Ce qui explique les nombreuses usines désaffectées. Depuis environ cinq ans, par le biais des joint-ventures, les entreprises étrangères prennent la majorité dans les compagnies locales. Et la rentabilité des usines s'en porte nettement mieux", explique Stephen Metzger, professeur d'économie à l'Université de New York, spécialiste de la question chinoise. Un processus souhaité, et totalement maîtrisé, par la Commission pour la Réforme et le Développement National (NDRC), qui prévoit d'ailleurs de libérer les industriels chinois de la "tutelle occidentale" à l'horizon 2015. En effet, cet organe public a fixé une feuille de route dans le but de réduire la dépendance des sociétés à capitaux mixtes avant d'assurer la domination des marques chinoises.
De la même manière, l'outil industriel s'est largement mis à la hauteur des exigences occidentales. L'image récurrente du grand atelier qui colle à la Chine est donc aujourd'hui sérieusement à nuancer. Certes, de nombreuses microstructures persistent à bâtir leur business sur la copie, ou sur la pièce de piètre facture. Beaucoup gardent en mémoire les divers étals chinois qui s'affichent à Equip'Auto et imaginent volontiers le visage du site de production. Mais réduire l'industrie chinoise à ces seules compagnies est, outre la preuve d'une méconnaissance du pays, un dangereux raccourci. Car aujourd'hui, les grandes entreprises, celles qui travaillent à l'international, qui intègrent déjà certaines pièces (non techniques) en première monte sur des modèles européens et qui ont la puissance financière suffisante pour attaquer à terme le marché du Vieux Continent, s'efforcent de coller aux exigences internationales.
Un exemple avec SMT, société qui a réalisé 332,2 millions de dollars de CA l'an dernier et qui compte 11 000 employés en Chine. A errer dans les couloirs de cette usine de Duonggan, près de Canton, à une heure de route de Shenzhen, on comprend combien le potentiel de production est considérable. Des circuits imprimés à la carte mère, de la calculatrice au module d'autoradio s'enchaînent sur les lignes de fabrication des produits d'une grande variété. "Les Chinois sont capables de tout faire", s'enorgueillit le professeur Chan Kei Biu, président-directeur général de SMT. D'ailleurs, chez ce fournisseur de rang 2, l'automatisation n'a rien d'outrancière. Des mains, beaucoup de mains en revanche. De l'assemblage aux tests qualité. Le faible coût de la main-d'œuvre rend son utilisation plus rentable que l'exploitation de machines. Quand cela ne nécessite pas une mécanique de précision, évidemment. Car le cas faisant, SMT possède également ces machines. "La Chine a un avantage incroyable sur le monde. Nous avons des millions de gens qui cherchent du travail. Et souvent, la situation familiale (pour ne pas dire sociale), fait qu'ils sont prêts à tout pour obtenir ce travail", explique sans détours Chan Kei Biu. C'est ici que la lancinante question des droits du travail se pose, notamment pour les enfants. Sur le sujet, il est toujours difficile de faire reculer les poncifs. A cette problématique, l'homme paraît pourtant rodé. "Personne ne travaille en dessous de seize ans", affirme-t-il sèchement. C'est du reste la loi chinoise qui fixe cette limite. Et devant la pression des industriels occidentaux, nombreuses sont les entreprises chinoises à se soumettre à cette loi. Tout au moins, les entreprises d'envergure internationale. Celles qui ne se "cantonnent" pas aux marchés occultes. Ici, on arbore d'ailleurs fièrement les contrats liés avec les Sony, Samsung, LG, Clarion et autres Bosch et Magneti Marelli. Autant de sigles qui décorent les vitrines du hall d'entrée et donnent un peu de leur notoriété à l'entreprise.
La généralisation des cités dortoirs
Quant aux autres raisons qui font de l'ouvrier chinois l'un des moins chers du monde, elles sont encore en grande partie liées à l'évolution démographique du pays. Nombreux sont en effet les ouvriers a avoir déserté les campagnes chinoises, empruntes à une grande pauvreté. Une particularité socio-économique qui approche le paysage industriel du pays à celui du Creusot de la fin du 19e siècle. De grandes cités dortoirs jonchent en effet les routes. Parfois, elles sont également installées au sein même des usines, ou en lisière de ces dernières. Chez Jing Mei International, producteur de poignées de portes, badges, rétroviseurs et de diverses pièces non techniques, on ne déroge pas à la règle. Sur les 3 000 employés du site de Dongguan, les 2/3 logent dans ces installations. Jusqu'à six personnes entassées dans 12 m2, le cottage apparaît bien peu attirant. D'autant moins séduisant, d'ailleurs, que le loyer est retiré de la paye, à raison de 35 à 40 centimes la nuit et que le règlement des lieux n'autorise que peu d'écart de conduite. Avec un salaire moyen de 100 euros par mois, les employés sont pourtant demandeurs. Pour Peter K.B Tsui, directeur des opérations de JMI, la démarche de son entreprise est louable. C'est d'ailleurs, non sans fierté, que ce dernier détaille le fonctionnement des lieux. En effet, l'usage de ces grands internats est totalement généralisé. Pour son usine de Nansha, où le constructeur nippon produit 100 000 moteurs par an, mais également la Camry, Toyota a construit pas moins de 17 immeubles pour y faire vivre
ZOOMUn marché en explosion mais qui manque de compétences Le marché chinois grandit vite, trop vite peut-être. Porté par l'émergence massive des classes moyennes, le potentiel de marché a en effet explosé ces derniers mois. Estimé à 1,36 million en 1978, puis à 10,9 millions en 1999, le parc automobile chinois s'établissait l'an dernier à près de 36 millions d'unités. Loin, toutefois d'avoir atteint son plein potentiel (8 voitures pour 1 000 habitants). Selon la China Association of Automobile Manufacturers (CAAM), il y aura plus de voitures en Chine qu'aux États-Unis en 2020. Les experts sont donc résolument optimistes. L'an dernier, la Chine a vu plus de 100 nouveaux modèles automobiles intégrer son marché. Soit plus de un tous les trois jours. Les prévisions montrent que les marques locales devraient ainsi enregistrer une croissance entre 25 et 50 % de leurs ventes. Du reste, les marques étrangères tablent également sur de belles perspectives. PSA espère, par exemple, une hausse de ses ventes comprise entre 25 et 30 %, dès cette année. En marge de ce développement, néanmoins, le pays connaît une situation quelque peu paradoxale : l'industrie automobile chinoise semble manquer de fournisseurs. Dans la province de Guangzhou notamment. "Depuis que les Japonais se sont installés dans le sud du pays, la tendance est criante. Toyota, par exemple, est très exigeant sur la qualité des fournisseurs. De ce fait, peu parviennent à remplir les conditions fixées par le constructeur nippon", témoigne Carl Hung, vice-président de Season Components. Conséquence, cela tire progressivement la production locale vers le haut, vers des standards de qualité non atteints jusque-là par l'industrie locale. Selon de nombreux observateurs, c'est ici une évolution qui devrait permettre aux manufacturiers chinois d'intégrer, à terme, le marché européen. |
La Chine travaille son image
Jeux Olympiques obligent, c'est toute la Chine qui tente actuellement de se façonner un visage propre et conventionnel. Une image qui tente de reléguer les excès totalitaristes de son communisme et abus liés à son développement économique au second plan. L'industrie du pays est ainsi engagée dans la même démarche d'assainissement. Aujourd'hui, un mouvement de certification de masse semble en effet gagner ces grandes entreprises. ISO9001, ISO14001, ISO/TS16949, OHSAS18001… tous les standards y passent. De la qualité à l'environnement. Un véritable témoignage de l'application des importantes compagnies locales pour séduire les grands comptes internationaux. Du reste, ces dernières n'hésitent pas à mettre en avant ces différents labels comme de sérieux faire-valoir. "Ces certifications sont très importantes pour nous. Il s'agit de prouver l'éthique de notre entreprise, notamment vis-à-vis de nos partenaires étrangers", confirme Rudolph Yip, vice-président de JMI.
Conscient du déficit d'image dont souffre son industrie, la République Populaire de Chine s'efforce, elle aussi, de participer à ce relatif assainissement. Comment ? En s'engageant, par exemple, contre la contrefaçon. Après de longs mois de négociations avec les instances européennes et américaines, les autorités chinoises commencent en effet à lâcher du lest. Une délégation de policiers pékinois a récemment intégré le programme de formation de l'Unifab, Union des fabricants qui œuvre pour la propriété intellectuelle. Aujourd'hui, de nombreux experts considèrent que la Chine reste le premier producteur de faux au monde et livre 80 % des contrefaçons mondiales. Dans ces conditions, la création d'un bureau de la propriété intellectuelle à Pekin, en relation avec les brigades occidentales, semble aller dans le bon sens. Dans un autre domaine, celui de l'environnement, l'Etat chinois a par exemple incité tous les constructeurs locaux à développer des véhicules propres. Avec ou sans l'aide de leurs partenaires européens ou américains, les constructeurs chinois se sont donc lancés dans l'élaboration de modèles hybrides. Geely, FAW, SAIC, Landwind, Chery, Brilliance, Dongfeng… sont à pied d'oeuvre. La China's Association of Automotive Manufacturers estime même que les premiers modèles débarqueront avant 2010… sur le marché local. Quant à l'export, seule quelques annonces ont fusé quant aux intentions de certaines marques pour l'Europe. Et chacun reste suspendu aux homologations qui devraient intervenir dans l'année. Une chose est sûre néanmoins, c'est la préparation de ce futur déferlement. "Inéluctable" disent certains. Pékin, en tous les cas, veille au grain. Il vient d'ailleurs d'inciter les différentes marques à s'entendre et s'unir pour former des mastodontes capables de s'imposer dans le monde. En marge de cela, les autorités chinoises pressent les chefs d'entreprises locaux à investir à l'étranger. Conséquence : les investissements réalisés hors du territoire sont passés de 6 milliards de dollars en 2004 à 12,5 milliards en 2005. Le gouvernement prévoit même d'atteindre les 60 milliards en 2010. Des investissements qui devraient donner, selon les experts, toute leur puissance à partir de 2015. Dans les 18 mois qui viennent, pourtant, Landwind, Brilliance, Greatwall et Roewe seront probablement déjà passés à l'acte sur le sol français.
David Paques
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