Entretien avec Thierry Guillemot, président de Mazda Automobiles France
...illustration de cette tendance. Explications avec Thierry Guillemot.
Journal de l'Automobile. En guise de préambule, quel regard portez-vous sur l'édition 2006 du Mondial ?
Thierry Guillemot. Du point de vue de l'observateur, j'ai trouvé ce Mondial très rassurant. L'automobile prouve qu'elle fait toujours rêver les gens, à un moment où elle est pourtant contestée et critiquée. En tant que constructeur, cette édition a été très satisfaisante, avec des nouveaux modèles qui ont séduit, un volume de prises de commandes significatif et de bons contacts sur le front des prospects. Dans tous les cas, pour Mazda, c'est un événement important car si notre image est bonne, notre notoriété reste faible. C'est donc un axe de travail.
JA. Même si vous n'étiez pas alors directement aux manettes, comment expliquez-vous le léger recul, non attendu, de Mazda dans l'Hexagone en 2005 ?
TG. Pour une raison très simple : nous avions décidé d'équiper en série tous les diesels du FAP, ce qui concerne tout de même les Mazda 3, 5 et 6, et la mise au point technique s'est révélée plus longue que prévu. Fidèles à leur tradition de fiabilité et de qualité, les japonais n'ont voulu prendre aucun risque et d'août à fin décembre, nous n'avons donc pas assuré d'offre diesel. Nous avons essayé de compenser autant que faire se peut, sans pouvoir empêcher le recul des ventes que vous évoquez.
JA. Les bonnes performances que vous collectionnez en 2006 s'expliquent-elles à l'aune de cet élément ?
TG. En partie, oui, puisque l'offre diesel est désormais disponible. Par ailleurs, nous tirons profit de notre bon positionnement en matière de "prix-équipements-style". En outre, notre couverture géographique est aujourd'hui assez complète et nous faisons beaucoup jouer la proximité vis-à-vis du client. Nous mettons l'accent sur l'importance de la relation humaine entre distributeur et client. Compte tenu de nos volumes, c'est un point sur lequel nous pouvons insister.
JA. A propos de vos performances 2006 : quelles sont vos satisfactions et vos déceptions au sein de la gamme ?
TG. Première grosse satisfaction, le M5 qui a vraiment trouvé sa place sur un segment très concurrentiel. Les Mazda 3 et 6 sont aussi très fiables en termes de ventes. Et le MX5 roadster coupé est très prometteur si je me réfère au nombre de commandes enregistrées sur le Mondial. Au chapitre des relatives déceptions, le RX8 souffre sur un segment où la clientèle est par nature très volatile. Pour les pick-up, notre offre est actuellement insuffisante. Enfin, la Mazda 2 n'est pas
CURRICULUM VITAEAgé de 42 ans, Thierry Guillemot, diplômé de l'Essca d'Angers et titulaire d'un MBA de l'IMD Lausanne, vient récemment d'être promu à la présidence de Mazda Automobiles France. Entré chez Mazda en 2002, Thierry Guillemot fait valoir un itinéraire 100 % auto. Il débute sa carrière chez Renault VI en 1986, exerçant plusieurs fonctions commerciales en France et à l'international, avant de prendre la responsabilité de la zone Europe de l'Est pour Renault SA. En 1996, il intègre General Motors en tant que brand manager. Puis devient directeur régional d'Opel France avant, donc, de rejoindre Mazda. |
JA. Sur le segment des monospaces, pensez-vous qu'on puisse peser avec un seul modèle ?
TG. C'est un segment où la concurrence fait rage. Pour exister, il faut un produit bien né et pour survivre sur un marché saturé par l'offre, il faut réussir à se différencier. Même avec un seul modèle, c'est possible.
JA. Qui sont aujourd'hui vos concurrents directs ?
TG. Tous les constructeurs sont nos concurrents car nous sommes un spécialiste avec une offre de généraliste, et je reste prudent même si nos résultats sont bons cette année. Par rapport à nos volumes, Alfa Romeo est un concurrent direct au même titre que Skoda. Bref, il n'est pas totalement faux de dire que nous sommes pris entre deux feux. Par ailleurs, nous sommes très attentifs à la concurrence japonaise, notamment Suzuki et Honda, puisque Toyota s'est bel et bien échappé.
JA. Que pensez-vous de la concurrence chinoise qui s'annonce ?
TG. A moyen terme, les constructeurs chinois seront des constructeurs mondiaux. Il faut donc les prendre au sérieux dès maintenant. Cependant, je ne pense pas que ce sera forcément une concurrence frontale pour Mazda, dans un premier temps. Et puis, c'est une bonne chose car cela promeut l'Asie dans l'esprit des gens.
JA. Vous évoquiez tout à l'heure les progrès de votre réseau, mais quels sont les axes d'amélioration que vous avez identifiés sur ce dossier ?
TG. Nous souhaitons désormais assurer l'homogénéité de notre représentation sur le territoire. Dans cette optique, nos standards évolueront au 1er janvier 2008, avec notamment une nouvelle charte showroom plus pointilleuse et soucieuse de l'identité de la marque. En outre, et c'est un élément capital, nous nous focalisons sur le service. Cela se traduira par exemple par des efforts de formation pour suivre les évolutions électroniques et rester performants.
JA. Quelle sera la rentabilité moyenne du réseau en 2006 ?
TG. Cette année, nous devrions selon toute vraisemblance approcher des 2 % de rentabilité moyenne.
JA. Même s'il convient de dissocier rentabilité et volumes, ne craignez-vous pas que votre réseau soit amené à stagner si vous ne passez pas un cap au niveau des volumes ?
TG. La question se pose. Aujourd'hui, nous nous attelons à la mise en place des fondamentaux, c'est capital. Pour s'améliorer, il faut être capable d'investir et on en revient donc à la rentabilité quels que soient les volumes. Et lorsque l'on dispose des fondamentaux, les nouveaux volumes qui viennent s'additionner sont générateurs de marge. Et par rapport à notre programme pour 2007 et 2008, c'est-à-dire aujourd'hui, on peut être optimiste.
JA. Vous n'êtes traditionnellement pas adeptes de la guerre des prix, mais comment jugez-vous l'impact de ce phénomène de plus en plus aigu ?
TG. La guerre des prix : nous la regrettons et nous la condamnons. Cependant, elle s'explique par le fait que l'industrie automobile en général souffre de surproduction, avec au final une offre supérieure à la demande. Sur certains segments, nous devons composer avec cette donnée macro-économique, alors que notre marque est plutôt dans une situation inverse, avec une production limitée… D'ailleurs, nous limitons nos ventes flottes, même si nous sommes présents sur le marché de la LLD. En fait, nous n'achetons pas de parts de marché et les ventes à particuliers représentent 75 % de nos ventes totales.
JA. Comment analysez-vous l'importance grandissante de l'après-vente, et notamment des PR, pour l'équilibre des distributeurs ? Est-ce une menace ou une opportunité ?
TG. On peut penser que c'est une opportunité. Mais chez Mazda, comme chez la plupart des constructeurs japonais, le taux d'absorption des frais fixes est très bas et il nous faut donc être performant sur le VN. Cependant, dans la perspective d'un parc plus large et de la fidélisation des clients, il est clair que les services après-vente sont déterminants, comme je le disais précédemment. Nous sommes donc très investis pour assurer le respect des délais et de la bonne réparation dès la première fois.
JA. A ce propos, quels sont vos résultats en Indice de Satisfaction Clients ?
TG. L'analyse des questionnaires clients que nous utilisons pour mesurer l'ISC révèle que nos résultats seront stables cette année. Il sera donc nécessaire de continuer à s'améliorer en 2007 et nous venons d'ailleurs d'organiser trois réunions régionales sur le thème du service. Nos distributeurs adhèrent à cette démarche et sont très demandeurs de formation. Avec deux axes prioritaires. D'une part, la remise du véhicule au client, un moment qu'il faut soigner, le vendeur devant avoir le temps et les compétences pour faire la démonstration de toutes les fonctionnalités du véhicule. D'autre part, l'après-vente, encore une fois, avec la nécessité d'expliquer un devis et plus encore une facture. Sur ce dernier point, il y a des progrès à accomplir et la formation des réceptionnaires sera déterminante.
JA. Si c'est bien expliqué au client, pouvez-vous envisager, une fois le marché libéralisé, de laisser le distributeur choisir entre une pièce d'origine et une pièce Cora par exemple ?
TG. Nous privilégions la pièce d'origine. Toutefois, nous respecterons l'évolution du marché en gardant à l'esprit que la priorité est bien entendu de garder le client chez nous. Donc, il nous revient de rester attractifs. Et n'oublions pas l'impact de notre garantie 3 ans et ce qu'elle représente.
JA. Revenons à des considérations plus générales : un dirigeant de Mazda Europe nous confiait récemment que la France était le marché européen le plus difficile pour la marque, partagez-vous cet avis ?
TG. Je crois qu'il existe une vraie particularité du marché français en Europe, qui tourne presque au paradoxe parfois. C'est d'ailleurs assez difficile à expliquer aux dirigeants japonais… Il est certain que ce marché n'est pas le plus simple pour une marque comme Mazda, mais les choses commencent à évoluer.
JA. En examinant les alternatives
au pétrole, que pensez-vous de l'E85, en tant que marque Mazda, j'insiste sur cette précision ?
TG. Cette alternative est en phase d'observation chez nous. Mais des interrogations subsistent et je ne suis pas persuadé qu'il faille s'engager dans cette voie en France. D'accord pour sortir de la dépendance des pays producteurs de pétrole en France, mais on sait aussi que l'hexagone n'a pas assez de surfaces agricoles pour assurer une production autonome de canne à sucre ou de betterave… Ceci dit, au niveau de l'ingénierie, nous pouvons le faire et si la décision est prise en haut lieu, nous pouvons proposer une offre.
JA. Vous évoquez le groupe, les grandes difficultés actuelles de Ford se répercutent-elles sur vous ?
TG. Pour le moment, non. Mais nous sommes naturellement attentifs, car il va de soi que plus Ford se porte bien, mieux nous nous portons. A l'aune du nombre de distributeurs que nous avons en commun, c'est une évidence.
JA. L'image de Ford vous sert-elle vraiment par les temps qui courent ?
TG. Difficile de répondre à cette question… D'un point de vue industriel, la coopération a un véritable sens. Mais commercialement, nous sommes très différents. Et étant donné que chez Mazda, nous cultivons notre unicité, il n'y a pas d'avantage à être Ford sous cet angle.
JA. En ces temps de crise pour bien des géants de l'industrie automobile, quelle vision portez-vous sur votre secteur ?
TG. Je crois que le fait d'être petit est un immense avantage ! Cela rime avec une meilleure réactivité et moins de problèmes de culture et d'inertie. Il faut bien sûr avoir des produits attractifs, mais les contraintes de volumes sont moindres. Surtout, cela garantit une proximité terrain plus performante car la chaîne hiérarchique est plus courte. Il n'y a pas de parasitage, disons, politique…
Propos recueillis par
Alexandre Guillet
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