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Constructeurs

Entretien avec Philippe Dauger, directeur général de Renault Italia SpA

Publié le 16 janvier 2009

Par Alexandre Guillet
11 min de lecture
"La pratique intensive des "km 0", c'est le cancer de l'automobile !"Même si Renault a durement subi la crise italienne en 2008, Philippe Dauger se veut rassurant, estimant que le respect de pratiques saines prémunit...
...la marque contre un gros trou d'air. Sans éluder une rigoureuse restructuration du réseau, il s'en remet aussi à un plan produits prometteur, surtout si l'offre GPL suit.

Journal de l'Automobile. Comment analysez-vous la sévère récession qui frappe le marché automobile italien, au-delà de l'affaiblissement naturel de l'effet "prime à la casse" ?
Philippe Dauger. La situation est critique, mais cela était somme toute prévisible. Peut-être pas dans de telles proportions, certes. En fait, il y a eu un décalage de trois mois entre la certitude de l'effondrement du marché et la confirmation au travers des chiffres. Ce décalage s'explique par le fait qu'on analyse toujours sur la base des immatriculations, alors que nous disposons de notre côté des prises de commandes. Trois chiffres méritent d'être mis en avant. L'an dernier : 2 490 000 voitures, cette année : 2 130 000, et l'an prochain : 1 900 000. C'est tout de même une belle dégringolade ! Et ce ne sont que les chiffres visibles, artificiellement portés par les km 0. En 2008, cette pratique a pris une ampleur considérable! Quand le marché baisse de 15 %, on voit que le segment des loueurs courte durée augmente et que celui des véhicules constructeurs s'envole. Autrement dit, le marché réel, celui des particuliers, s'effondre beaucoup plus que les chiffres visibles le laissent entendre. Ce marché est en baisse de 29 ou 30 % ! Or, c'est là que se joue la rentabilité des réseaux et par extension, la capacité à investir… Bref, la situation est dramatique et si la prime à la casse a bien fonctionné en 2007, elle s'essouffle désormais et nous ne savons toujours pas quelle sera la position du gouvernement de Berlusconi.

JA. Selon vous, quelles seraient les bonnes mesures gouvernementales pour aider le marché à traverser 2009 ?
PD. J'insiste sur le fait qu'il ne s'agit pas d'aider les constructeurs, mais bel et bien de soutenir un marché. Par le biais de l'UNRAE, nous demandons donc le prolongement de la prime à la casse, en élargissant le spectre des véhicules concernés et en étant encore plus incitatifs. Il convient aussi de pérenniser les aides pour les véhicules fonctionnant au GPL.

JA. Renault affiche un retrait important, avec une perte de 0,2 % de PDM (0,4 sur le VP). Pourquoi faites-vous partie des constructeurs généralistes les plus touchés ?
PD. Attention, il s'agit d'être précis. Comme je l'indiquais, le marché a été maintenu artificiellement par la pratique des km 0. Or, justement, Renault a décidé de se retirer de ce marché. Tout simplement parce que c'est le cancer de l'automobile ! Si vous voulez constituer du stock de VO, si vous voulez accumuler les invendus et dégrader votre image de marque, c'est l'idéal… D'où notre décision ferme début 2008. Alors, c'est vrai qu'au global, notre pénétration est en baisse, mais si vous regardez le marché des particuliers, vous constaterez que notre PDM est en progression, ce qui correspond à notre stratégie. Donc, vu le contexte, nous sommes plutôt satisfaits.

JA. Qu'en est-il de votre mix, sachant qu'il a fortement évolué au global ?
PD. L'aspect spécifique du marché italien réside dans le poids des segments A et B. En effet, les petites voitures représentent 55 % du marché ! En Italie, on ne peut réussir qu'en réalisant des performances sur ces segments. Deux leviers étaient à notre disposition en 2008 et le seront plus encore cette année. D'une part, la marque Renault, avec un vrai retour à la séduction par le biais des Mégane berline et coupé ou de la Laguna coupé. Or ce qui est vrai en Europe l'est encore plus en Italie, à savoir que le design est prépondérant dans les critères d'achat. Et coup de chance, le responsable du design de la Mégane est italien, ce qui a un réel impact ici. D'autre part, la marque Dacia se trouve plus que jamais en parfaite adéquation avec la situation économique actuelle. Cette année, nous progressons de 66 % par rapport à 2007 et la Sandero cartonne avec 4 300 commandes. Si l'usine pouvait en produire deux fois plus, nous n'aurions aucun mal à les vendre ! En outre, nous sommes très présents sur le marché du GPL qui est très important en Italie. Notre pénétration sur ce sous-marché est de 14 %, à mettre en perspective avec nos 5 % au global. La Sandero, la Clio Storia et le Scénic sont nos fers de lance en GPL. D'ailleurs, si nous avions plus de ressources sur le GPL, nous pourrions faire encore beaucoup mieux, notamment avec la Sandero.

JA. Vous ne semblez pas inquiet outre mesure, est-ce une posture ou une conviction ?
PD. En fait, si le contexte nous inquiète forcément, nous sommes assez confiants par rapport à nos atouts. Grâce à Renault et Dacia, mais aussi grâce aux trois piliers qui nous guident : la qualité, désormais reconnue par les clients, la sécurité, avec 11 modèles au top d'Euro NCAP, et l'environnement. Sur ce dernier point, nous sommes bien armés, avec le GPL, le label Eco2 et surtout les modèles électriques à venir qui sont la vraie réponse à l'enjeu proposé, à savoir le zéro émission. Quand on prend, la mesure de la croissance programmée du parc mondial, on se rend compte que c'est la seule solution et je suis fier de travailler pour une marque à l'avant-garde sur ce sujet.

JA. En France, l'état des stocks devient critique, le problème se pose-t-il avec la même acuité pour Renault Italie ?
PD. Nous avons heureusement réussi à identifier le problème assez tôt. Cela concerne aussi bien le VN que le VO ou les pièces de rechange. Or, sur ce sujet, la clé du succès et le nerf de la guerre, c'est précisément la réactivité. Il fallait donc fermer le robinet qui fait rentrer des voitures dans le stock constructeurs ou dans le stock réseau et simultanément, il convenait d'orienter la politique marketing vers un écoulement prioritaire des stocks. Du coup, le stock constructeur de Renault Italie, en l'espace de sept mois, est passé de 16 000 à 10 000 voitures. C'était un de mes engagements vis-à-vis de la direction générale et il sera tenu. Au niveau du réseau, l'effort est similaire. Quant aux stocks de VO, même si les volumes ne sont pas comparables, nous avons aussi une bonne situation. En anticipant et en débloquant des moyens, nous avons pu juguler la menace. Donc, nous avons évité la catastrophe que connaissent certaines marques, principalement celles qui ont continué à faire des km 0 à outrance. Certains vont le payer très cher dans les mois qui viennent.

JA. Quel soutien apportez-vous au réseau en ces temps difficiles ?
PD. Tout dépend de ce que vous appelez soutien car nous ne sommes pas la sécurité sociale. Nous ne sommes pas là pour garantir un résultat au concessionnaire, surtout s'il n'est pas performant. Donc notre position est claire : nous aidons les concessionnaires qui jouent le jeu. Comment ? Via des facilités pour écouler les stocks par exemple. Mais un concessionnaire qui traîne la patte depuis deux ou trois ans, sans relayer localement les plans d'action que nous déployons, nous n'allons pas forcément le soutenir. C'est toujours pareil. Vous avez 1/3 qui mérite du soutien pour son exemplarité, 1/3 qui souffre un peu mais qui mérite aussi du soutien et un dernier tiers qui est moins performant et vis-à-vis duquel se pose la question de l'avenir du partenariat. En 2008, nous nous sommes déjà séparés de certains concessionnaires qui n'étaient pas à la hauteur.

JA. Du coup, la physionomie du réseau est-elle amenée à changer significativement ?
PD. Oui, je pense, surtout avec un marché qui passe de 2,5 à 1,9 million d'unités. Aujourd'hui, nous avons 135 concessionnaires, pour 220 points de vente environ, et vu que certains ont de réels problèmes de rentabilité et d'efficacité, il est certain que nous avons intérêt à nous poser la question de continuer à travailler avec eux. On se pose donc la question du maintien de ce nombre de concessionnaires. Je le dis d'autant plus sereinement que nos relations avec les distributeurs et l'UCRI (Ndlr : l'équivalent du GCR en Italie) sont très bonnes. En fin d'année, nous avons eu une réunion sur le plan de restructuration du réseau notamment et en toute franchise, tout le monde a compris que cette démarche s'inscrivait dans l'intérêt du plus grand nombre.

JA. Quelles sont vos performances sur le dossier névralgique du financement ?
PD. En Italie, du fait d'éléments techniques comme la titrisation par exemple, la situation est moins tendue qu'en France. Du coup RCI Italie nous aide normalement pour le financement du réseau comme des clients. Nous avons travaillé sur des produits percutants, avec un taux zéro sur une période de 7 ans par exemple, et cela fonctionne bien. Bien entendu, nous l'appliquons surtout sur les véhicules en stock et c'est aussi ce qui nous permet de tenir les engagements que j'évoquais tout à l'heure.

JA. Quelle est votre répartition des ventes entre particuliers et sociétés ?
PD. Le marché des particuliers est très important en Italie, puisqu'il couvre environ 65 % du marché. Donc si vous êtes bons sur les petites voitures et les particuliers, vous êtes "les rois du pétrole". Nous répondons présents avec Twingo, Clio, Modus et Grand Modus, mais aussi la Sandero. C'est le minimum car la bagarre commerciale est rude et il faut compter avec un concurrent national qui est loin d'avoir les deux pieds dans le même sabot. Concernant le marché des sociétés, nous avons historiquement une pénétration supérieure à celle de Renault en Italie. Sur les grands comptes, c'est très difficile de rentrer car Fiat est omniprésent. Si nous parvenons à faire quelques coups, comme avec la livraison de Laguna à la Police Nationale par exemple, cela ne va guère plus loin. Par ailleurs, nous avons un bon réseau de partenaires avec les loueurs longue durée, comme LeasePlan, Overlease, Arval ou encore ALD Automotive. Enfin, il y a les flottes de proximité, c'est-à-dire les commerçants et les artisans, et cette clientèle est traitée par le réseau. C'est surtout le réseau des toutes petites entreprises qui est porteur et la relation se rapproche donc du schéma commercial des particuliers. On ne peut donc pas avoir la même approche qu'en France car la donne diffère.

JA. Comment appréhendez-vous un marché du VO qui semble très éclaté ?
PD. En étant critique, on peut dire que la plupart des constructeurs en Italie ne se sont jamais préoccupés du VO. En Italie, le VN règne en maître ! Sur l'après-vente, il faut pousser le réseau à développer l'activité et sur le VO, nous en sommes encore au stade de la professionnalisation des pratiques. D'ailleurs, les constructeurs maîtrisent une infime partie du marché des VO à particuliers : on est plus dans un rapport de 1 pour 4 que dans un rapport de 1 pour 1. Il y a donc un gros travail de fond à accomplir.

JA. Dans le cadre de la guerre des prix, traditionnelle en Italie et actuellement exacerbée, jusqu'où acceptez-vous d'abaisser le curseur ?
PD. C'est un marché un peu décourageant, dans le sens où on vend plutôt des petites voitures, donc avec des marges réduites, où les négociations sur le prix ont tendance à être inférieures à ce qu'on voit dans les autres pays et où la publicité coûte plus cher que dans les autres pays d'Europe… Bref, le business-model automobile italien n'est pas le plus séduisant. Dans ce contexte, on ne peut pas s'exonérer de la guerre des prix, sinon on sort du marché. Donc nous nous adaptons constamment en essayant de tirer notre épingle du jeu. Et la bagarre s'annonce féroce cette année.

JA. Qu'attendez-vous du Salon de Bologne et pouvez-vous vraiment miser sur un effet Mégane ?
PD. Tout d'abord, Bologne est un Salon très particulier car il est très fréquenté ! Après Paris, c'est le Salon européen le plus important sous cet angle. Donc j'envoie un message : "Donnez-nous les moyens de faire des premières mondiales à Bologne !". C'est aussi un Salon attirant un visitorat très jeune, passionné par le sport auto et le design. Il est donc inutile d'exposer mille et un VUL et mieux vaut organiser des parcours 4x4 en Koleos comme nous le faisons cette année. Dans le cadre de notre plan produits, il est clair que les lancements de la Mégane et des coupés Mégane et Laguna sont très importants. Ensuite, cette année sera aussi marquée par des lancements capitaux pour l'Italie, avec Scénic, la Mégane Estate et la Clio 3 phase 2. Si elles sont toutes proposées en version GPL dès le départ, nouveau message que je fais passer, Renault fera un carton sur le marché.

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