Entretien avec Laurens Van Den Acker, responsable du design de Mazda
Journal de l'Automobile. En guise de préambule, pouvez-vous nous préciser en quelques mots l'organisation du Style Mazda dans le monde ?
Laurens Van Den Acker. A dire vrai, nous avons une très bonne capillarité de studios de style à travers le monde. Nous avons précisément 4 grands studios : le principal est à Hiroshima, au siège, et vous trouvez trois autres unités à Yokohama, près de Tokyo, Francfort et Irvine, en Californie. Vous savez que Mazda vend grosso modo un quart de ses voitures au Japon, un autre quart en Europe, un autre quart aux USA et le dernier dans le reste du monde. Cette répartition des studios est donc tout à fait pertinente. Cet ensemble réunit environ 325 designers, dont plus de 200 à Hiroshima. Enfin, nous disposons désormais d'un studio en Chine, mais il en est encore à ses prémices.
JA. Mettez-vous ces différents studios en concurrence sur des projets ou évitez-vous de le faire par souci de gain de temps et d'argent ?
lvda. Quand nous avons des projets de l'envergure de la Mazda 3, tout le monde est sollicité pour faire une proposition. Je suis persuadé que cette forme de compétition est très positive, d'autant que nous avons besoin d'une approche globale. Généralement, sur cinq ou six projets, nous en choisissons deux pour approfondir les recherches. Nous tenons bien sûr compte de la cible géographique du modèle, et pour la Mazda 3, par exemple, les recherches portaient principalement sur l'Europe et les Etats-Unis, les deux priorités. Bref, cette compétition interne nous a permis de progresser au cours des dernières années, en renforçant l'émulation et le dialogue entre les studios. Les concept-cars sont aussi un très bon aiguillon pour cela.
JA. Dans une optique similaire, faites-vous appel à des studios externes pour certains projets ?
lvda. Depuis mon arrivée il y a bientôt trois ans, nous ne l'avons pas fait. Nous devions d'abord créer et consolider notre philosophie de style et c'est quelque chose de très interne, voire de personnel pour les designers. Quand vous cherchez à cerner votre âme, vous ne faites pas appel à des prestataires extérieurs. Surtout quand vous avez le talent à votre disposition.
JA. L'une de vos principales missions consiste à mettre en œuvre un design global : quel sens donnez-vous à cette notion, sachant que les différences de sensibilité stylistique sont très importantes selon vos marchés ?
lvda. C'est effectivement très compliqué. Il y a deux façons de faire. Soit vous écoutez toutes les doléances des différents marchés et vous essayez de les satisfaire bon an mal an et c'est ce qu'on voit souvent sur le marché… Soit vous prenez vos responsabilités et vous dites : "On va faire un grand travail et on va créer un véhicule qui réunit tout ce que Mazda représente. L'émotion, le plaisir de conduire, la différenciation…" Si vous réussissez cela, vous avez gagné et vous trouverez partout des gens pour acheter votre voiture. Le point de départ, c'est la marque et non pas les marchés. Bien sûr, c'est valable pour une marque de notre taille, qui représente environ 2 % de parts de marché dans le monde, mais si vous êtes aussi important que Toyota ou Nissan, c'est beaucoup plus difficile car d'une certaine manière, il y a trop de bouches à nourrir.
JA. A propos de sensibilité stylistique auto, diriez-vous qu'il existe une spécificité chinoise ou, comme certains de vos confrères, pensez-vous qu'ils n'ont pas cette culture et qu'ils sont sous influence ?
lvda. C'est une question difficile… Pour l'heure, les chinois sont avides d'automobiles et ils prennent tout ce que vous leur proposez. Mais c'est un peuple fier et contrairement aux japonais, extraverti aussi, donc vu qu'ils prennent plus que jamais conscience de leur puissance, je ne peux pas imaginer qu'ils ne développeront pas à l'avenir un design qui leur est propre.
De même que nos cultures européennes ont pu être influencées par la bouteille de Coca Cola, je suis curieux de savoir quelles seront les bouteilles de Coca Cola chinoises à l'avenir. Mais je suis sûr que leur culture influencera à son tour le monde. Et dans la foulée, l'Inde suivra.
JA. A propos de la Mazda 3, qui est présentée à Bologne en première mondiale, on peut dire que c'est le véhicule le plus important pour la marque. Dès lors, quelle a été votre démarche pour définir cette nouvelle Mazda 3 ?
lvda. Nous sommes partis de la marque, son identité, et où nous voulions l'amener. La Mazda 3 est essentielle dans cette optique. D'une certaine manière, c'est elle qui donne le ton. Dans le passé Mazda, et les marques japonaises en général, avaient beaucoup de mal à renouveler leurs modèles. Ils faisaient parfois de très beaux modèles, mais la suite était terrifiante. Bref, pour nous, ce modèle était celui d'une certaine maturité et il nous fallait donc de la consistance, car c'est ainsi qu'on construit et renouvelle une marque. La base du cahier des charges était de concevoir la Mazda 3 comme une BMW ou une Mercedes, c'est-à-dire des marques qui savent garder leur image en avançant pas à pas et en ne cherchant pas à réinventer le monde à chaque fois. C'est aussi important par rapport au concept de voiture globale. Certes, c'est facile à dire, mais ça ne se programme pas. Une voiture comme ça, elle arrive. C'était donc la première étape : garder ce qui était bien avant et ne pas jeter le bébé avec l'eau de bain. Ensuite, il était impératif de trouver des axes d'amélioration en adéquation avec notre philosophie zoom-zoom. D'où le choix d'une face avant beaucoup plus sportive ou de flancs bien plus sculptés et dynamiques. Mais nous avons conservé l'architecture générale de l'arrière, car celle-ci reste une référence sur le segment. Enfin, nous avons franchi un palier dans l'habitacle, ce qui était nécessaire, pas forcément en termes de qualité, mais sous l'angle de la sophistication et du dynamisme. Donc, nous avons pris des risques, mais des risques calculés. Mais c'est à vous et aux clients de nous dire si nous avons réussi notre pari ou non !
JA. Considérant son importance, diriez-vous que ce projet, que vous avez piloté, était difficile et angoissant ?
lvda. C'est peut-être parce que je suis jeune, mais je n'ai jamais ressenti cette pression. Je ne pensais pas aux chiffres des ventes, qui auraient pu me paralyser, et je n'étais pas indécis non plus. En fait, j'avais, depuis le début, des convictions et une idée assez précise de ce que je voulais faire. D'ailleurs, nous sommes allés très vite, l'essentiel ayant été arrêté en cinq mois. On a eu le soutien des équipes d'ingénierie et cela nous a aidés. Parfois, la vitesse d'exécution a du bon ! En fait, c'est maintenant que je stresse !
JA. Justement, de nos jours, les délais de développement sont plus réduits et les contraintes sur les coûts plus fortes, comment relevez-vous ces défis ?
lvda. Quand les choses vont bien, il n'y a aucun problème, mais quand un projet s'enlise ou reste hésitant, la situation devient très tendue, c'est vrai. Avec la Mazda 3, on avait vraiment l'objectif de renforcer la marque. Nous n'avons pas eu de problème. On nous disait parfois que nous allions peut-être trop loin, mais simultanément le marketing nous disait : "Comme ça, ceux qui aiment, aimeront plus encore et ceux qui n'aiment pas, de toutes façons, au moins, en parleront !". Comme je le disais tout à l'heure, une marque de notre taille peut et doit se permettre cela.
JA. Les contraintes liées au poids et au respect des normes environnementales sont aussi bien plus rudes qu'avant : n'est-ce pas un frein pour les designers ?
lvda. Non, c'est simplement une partie de notre travail. Sous l'angle environnemental, les changements vont encore s'accélérer et il faudra s'adapter et trouver de nouvelles solutions séduisantes. Nous n'en sommes qu'au début. Il faut inventer des formes pour concevoir des voitures compactes mais spacieuses à l'intérieur, sportives mais peu gourmandes en carburant, solides mais pas plus lourdes etc. Toutes ces équations paradoxales sont palpitantes à résoudre et c'est ce qui fait le sel de notre job !
JA. Dans le même esprit, les nouvelles solutions alternatives au pétrole mises en avant aujourd'hui vous semblent-elles être une formidable perspective ou un obstacle en termes de créativité ?
lvda. Si vous vous penchez sur l'histoire de l'automobile, vous voyez qu'il y a déjà eu des ruptures technologiques et que le design a évolué avec elles. Sans décliner pour autant. On ne résiste pas au changement, on l'accompagne. C'est une opportunité. Et ce n'est pas parce que les technologies vont changer qu'il sera impossible de concevoir un roadster à l'avenir. On va trouver des solutions. Chez Mazda, on travaille sur ces solutions, notamment l'hybride, mais contrairement aux grands constructeurs, on ne peut pas travailler sur tout à la fois.
FOCUSLe point de vue de Thierry Guillemot "La nouvelle Mazda 3 s'améliore sous tous les angles : le design, la qualité perçue et le positionnement environnemental. Même si elle reprend une plate-forme existante, elle embarque par ailleurs 90 % de nouvelles pièces. Avec le réseau, c'est un véhicule que nous attendions avec impatience, même si nous avons bien géré la fin de cycle de l'ancienne. Elle sera commercialisée au 2e trimestre et dans le contexte économique actuel, son rapport équipement/prix, sa fiabilité et son style dynamique sont autant d'éléments qui sont de nature à nous rassurer sur son potentiel commercial, une vraie carte dans notre gamme pour 2009 !". |
JA. Pour conclure, que vous inspire le fait que vous soyez considéré comme une des grandes stars de la nouvelle génération de designers ?
lvda. "Tu ne vaux toujours que ta prochaine voiture", me disait mon boss. ça permet de ne pas penser aux lauriers et de relativiser tout de suite !
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