Entretien avec Jacques Calvet, ancien président de PSA de 1983 à 1997
Jacques Calvet. "Pour comprendre l'ampleur de la crise que nous traversons actuellement, on ne peut pas se limiter au seul fait financier et il convient de tenir compte du passé.
Tout d'abord, la surcapacité de production dont souffrent les constructeurs n'est pas récente. Dans les années 80, on l'estimait déjà précisément, aux alentours de 20 %, et cette faiblesse était donc connue. Elle a engendré des pratiques commerciales dérégulées qui ont abouti à la mort du concept de prix normal.
Par ailleurs, depuis quelques années, le secteur automobile est la cible privilégiée des attaques du milieu écologique. A force de simplifications et de raccourcis - le problème des infrastructures et l'enjeu social ont-ils jamais été soulevés simultanément ??? -, cela a eu un fort impact sur l'image du secteur. Il a définitivement perdu son lustre d'après-guerre.
En outre, il ne faut pas occulter les attaques permanentes de Bruxelles qui a créé des contraintes, compréhensibles sur le fond, mais pas sur la forme, car il y a eu un manque de concertation et un parti pris d'aller plus vite que la musique. Cela a généré des coûts supplémentaires à la charge des constructeurs, coûts que les clients ne voulaient pas assumer.
Enfin, la concurrence s'est modifiée : elle s'est accrue entre les constructeurs et elle est apparue entre les pays, notamment entre les pays développés et les pays émergents. Avec des pratiques parfois… surprenantes… En Corée, par exemple, l'administration plaçait un inspecteur fiscal devant chaque concession étrangère… D'autres pays ont aussi créé des systèmes de péage à l'entrée, incitant in fine à la délocalisation. Plus récemment, les chinois ont permis à des constructeurs de s'implanter uniquement s'ils créaient des antennes de design et de R&D. En somme, l'automobile est sortie du domaine purement économique pour entrer aussi dans un monde géopolitique complexe".
"Au-delà du contexte général, la crise automobile s'explique aussi par de grandes défaillances individuelles de certains groupes. En clair, l'automobile ne fait pas que subir des éléments défavorables, en son sein, des entreprises ont fait des erreurs dont elles sont seules responsables".
Bruxelles et les institutions en général…
JC. "Il y a un réel problème car l'automobile évolue dans un cadre où il n'y a pas de règles homogènes. C'est notamment le cas sur la propriété intellectuelle et on peut dire que Bruxelles a une action catastrophique sur ce dossier, surtout pour les pièces de carrosserie".
"En fait, le grand problème, c'est que l'automobile fait face à une crise mondiale, mais qu'il n'existe pas d'institutions mondiales pour orchestrer une réaction. Cela viendra peut-être dans le secteur bancaire, mais pour l'automobile, cela semble plus difficile. Il n'y a qu'à voir les divisions qui existent déjà au sein de la seule ACEA…".
"Je crois à l'Etat, au marché et aux intérêts nationaux plus qu'à ceux de telle ou telle entreprise. D'où l'importance capitale des taux, ce que n'a pas toujours voulu comprendre la Banque Centrale Européenne… En revanche, il ne faut pas se laisser aller au protectionnisme qui se révélerait vite contre-productif".
"Actuellement, l'aide de l'Etat est indispensable. Mais elle ne l'est qu'à court terme et sera dangereuse à moyen terme. En effet, elle peut être nocive car elle sort l'entreprise de son cadre normal, la question des bonus en étant la plus parfaite illustration. Est-ce vraiment le rôle de l'Etat de décider de la suppression des bonus ? Bref, c'est l'équilibre du calendrier qui va être délicat à trouver. D'une manière générale, il faut être vigilant par rapport au déficit de l'Etat et ne pas omettre de préparer la sortie de crise".
"Les 35 heures ont eu pour effet de freiner, voire de geler, les hausses de salaires. Aujourd'hui, il faut donc intégrer la variable du pouvoir d'achat dans nos raisonnements".
Retour vachard sur le problème de sur-production
JC. "C'est l'une des plus remarquables conneries dans l'automobile !!! Fixer des objectifs de 2 millions, 4 millions, 6 millions de véhicules ne rime à rien, c'est n'importe quoi ! Le problème des stocks avancé comme excuse, c'est une vaste plaisanterie !".
"Cette dérive est en partie liée à la politisation de l'industrie, par rapport à son poids social, mais cela ne doit pas servir d'excuse. Arrêter la production dans certains sites comme on est en train de le faire actuellement est une bonne décision et un acte courageux. Mais que les temps ont changé ! D'un point de vue social et politique justement, c'était impensable à mon époque !".
Pour un prolongement du règlement
JC. "Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, le métier de la distribution se révèle très technique. Avec des champs de compétences multiples, logistique, achats, provoquer l'envie d'acheter grâce aux produits et aux vendeurs, etc.".
"Un ministre du Commerce qui dit qu'il faut baisser les prix, alors que les marges des distributeurs oscillent grosso modo entre 1 et 2, est-il vraiment crédible ?".
"Je pense qu'il faut prolonger le règlement actuel ou veiller à ce qu'il ne subisse pas de modifications majeures"
Pas de grosses fusions-acquisitions en vue
JC. "PSA peut continuer à exister tout seul. En poursuivant sa politique d'alliances ciblées".
"Au cours de ma carrière, j'ai eu à réaliser deux fusions, donc je sais un peu de quoi il retourne. C'est déjà très dur en temps normal, alors dans le contexte actuel !!! Ce n'est pas raisonnable. D'ailleurs, dans le milieu des edge-funds, on sait pertinemment que 2/3 des fusions échouent. Bref, l'idée Fiat-Chrysler : moi pas comprendre !".
"En revanche, il existe un autre type d'intégration à réaliser et toutes les entreprises devraient y songer. C'est l'intégration de tous les effectifs sous la même direction. Il faut une adhésion totale de l'équipage pour avancer. Et en temps de crise, il faut bien définir et expliquer le projet d'entreprise, sans passer sous silence les points critiques. Il y a toujours "ce qui peut se passer de terrifiant" et "ce qui peut se passer de seulement désagréable ou difficile pour éviter le terrifiant".
Genèse du retard de PSA en Chine
JC. "Nous avons sans doute commis une erreur au début. Puis nous avons rectifié le tir avec l'accord conclu avec Dongfeng. Au départ, on voulait nous faire signer pour une capacité de production de 600 000 véhicules. J'ai refusé car le marché chinois était alors de 800 000 voitures. Nous avons donc opté pour un rythme de 300 000. Aujourd'hui, cette capacité a été doublée, c'est mieux".
PSA, le vrai-faux pionnier du véhicule électrique…
JC. "Nous avons décidé d'aller vers le véhicule électrique très tôt, sans doute trop tôt en fait. Le principal défi résidait déjà dans les batteries. Mais nous étions allés loin avec le projet Tulip : nous avions pensé à de nouvelles infrastructures entre banlieues et centres-villes ; nous avions réglé le problème du mobilier urbain pour pouvoir donner des informations dans la voiture en temps réel ; nous avions pensé à un système de location des batteries, sachant que ces batteries avaient une durée de vie deux à trois fois supérieure à celle du véhicule… Autant de choses qui résonnent fort aujourd'hui, n'est-ce pas ?".
"Sur ce dossier, force est de constater que les pouvoirs publics et les grandes flottes nationales ne nous ont pas facilité la tâche…".
Dessine-moi la voiture de demain
JC. "Tout d'abord, je crois qu'on peut encore améliorer les technologies essence et Diesel actuelles. C'est la piste première. On ne manquera pas de pétrole et de gaz aussi rapidement qu'on veut bien le dire actuellement. En outre, de nouvelles perspectives s'ouvrent pour le forage et certains arbitrages sont de simples questions d'argent. Par ailleurs, je ne crois pas trop à l'hybridation, solution trop bâtarde. En revanche, la piste du tout électrique me semble prometteuse. Enfin, concernant l'hydrogène, disons que nous avons déjà réalisé des sous-marins ainsi, mais avec de sérieux blindages…".
Photo : L'aide de l'Etat est indispensable. Mais elle ne l'est qu'à court terme et sera dangereuse à moyen terme. En effet, elle peut être nocive car elle sort l'entreprise de son cadre normal
* Propos recueillis dans le cadre de l'émission Face à la Presse d'Auto K7, animée par Pierre Mercier, et réunissant aussi Denis Fainsilber (Les Echos), Laurence Frost (Bloomberg News), Pascal Galinier (Le Monde), Jean-Pierre Jagu-Roche (Auto-Infos) et Didier Jobart (L'Argus).
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