Entretien avec Carlos Gomes, directeur général de Fiat France.
Journal de l'Automobile. Avec une croissance des ventes de 25 % en 2008, on imagine aisément que vous êtes satisfait des résultats de votre groupe, n'est-ce pas ?
Carlos Gomes. L'année 2008 représente une grande satisfaction, c'est clair. Avec 125 000 immatriculations, nous nous positionnons au 3e rang des importateurs en France, derrière Volkswagen, mais à seulement quelques encablures de Ford et loin devant les autres poursuivants. Je souligne volontiers trois grandes réussites. Primo, la marque Fiat qui progresse de 40 % en VP. Secundo, la consolidation de notre 1re place chez les importateurs VU, avec, en parallèle, une amélioration de notre part de marché et un écart accru avec Ford. Tertio, le très bon lancement d'Abarth, puisque la France est le 1er pays export pour la marque.
JA. Pour Fiat, avez-vous réussi à accompagner cette croissance d'un meilleur mix, avec le renforcement des ventes à particuliers notamment ?
cG. Tout à fait, et les ventes à particuliers ont représenté 65 % de nos volumes. Le mix est donc très bon en France, rien à voir avec celui de l'Espagne par exemple.
JA. En revanche, au-delà de ces satisfactions, le bilan se révèle nettement moins flatteur pour Lancia et surtout pour Alfa Romeo, comment expliquez-vous ces contre-performances ?
cG. Pour Lancia, nous progressons, donc le bilan reste plutôt positif. D'autant que nous estimons qu'un modèle comme la Delta, sous l'angle du cycle produit, est taillé pour avancer et s'imposer petit à petit. Concernant Alfa Romeo, c'est moins reluisant, c'est clair. Nous avons souffert de la fermeture de l'usine pour améliorer la qualité et cela a généré une rupture très préjudiciable, par rapport aux flottes notamment. En outre, les problèmes d'adaptation des motorisations à la nouvelle donne du bonus-malus ont aussi pesé. Toutefois, la MiTo a été bien accueillie et les prises de commandes sont à un bon niveau en ce début d'année. Au 18 février, nous affichions + 39 %.
JA. Quels objectifs nourrissez-vous pour cette année, étant entendu que le poids de la crise et le manque de visibilité rendent tout exercice prévisionniste incertain ?
cG. Malheureusement, nous n'avons pas non plus de boule de cristal ! Cependant, nous savons pouvoir nous appuyer sur des socles solides. Tout d'abord, nous disposons d'une gamme parfaitement adaptée à l'enjeu écologique et par extension, aux dispositifs du bonus-malus ou de la prime à la casse. A ce propos, j'ouvre une parenthèse pour saluer l'action du gouvernement pour soutenir l'automobile : il a su faire preuve de réactivité, d'efficacité et de prosaïsme ce qui est loin d'être le cas dans d'autres pays. Par ailleurs, nous bénéficions de l'effet "Fiat 500" qui a des répercussions positives considérables sur notre image de marque. A l'exception de l'Italie naturellement, la France est d'ailleurs le seul marché où la 500 enregistre de meilleurs résultats que la Mini. En outre, nous avons une politique commerciale juste et solidement appuyée par notre stratégie de communication. En clair : il ne suffit plus de faire des rabais, mais il faut savoir travailler sur le capital de la marque et son attractivité pour s'inscrire dans la durée. Enfin, et c'est primordial, notre réseau gagne de l'argent et une relation de confiance existe. Ainsi, le réseau a d'ores et déjà signé ses objectifs de vente, depuis un mois exactement. Je peux vous dire que nombre de mes confrères aimeraient être à ma place !
JA. Plus concrètement, s'il est difficile de planifier des volumes, quelles sont vos ambitions en termes de parts de marché ?
cG. Sur le périmètre VP, notre part de marché était de 4,3 % en 2008 et nous visons 4,5 % cette année. Actuellement, nous sommes au-dessus, à 4,9 %, mais il ne faut pas s'emballer. Sur le VU, nous comptons désormais dépasser les 8 %. Au final, nous pourrions passer devant Ford sur le podium des importateurs.
JA. L'objectif de 5 % de parts de marché est-il confirmé pour 2010 ?
cG. Oui, mais on ne peut pas être catégorique car la crise est passée par là. Par conséquent, il y a un nouveau voile qui flotte devant le plan produits. Des incertitudes pèsent sur certains projets comme sur la date de certains lancements. C'est cette variable qui validera ou non l'objectif des 5 %.
JA. Vous évoquiez l'importance du travail sur le capital image de la marque, qui constituait l'une de vos priorités dès votre arrivée : cela n'a-t-il pas été plus difficile que prévu ?
cG. Il est vrai que cela a pris plus de temps en France que dans d'autres pays, mais d'une certaine manière, cela n'est guère surprenant. En effet, on sait qu'en France, ce type de travail est de longue haleine, mais une fois que ça prend, c'est aussi fort et durable. C'est différent en Espagne par exemple où ça peut prendre très vite, mais retomber ensuite tout aussi rapidement. Bref, ce travail constitue l'un des socles essentiels de notre croissance. Et c'est encore à l'ordre du jour car nous pouvons faire mieux sur toutes les marques. Au niveau Corporate, nous avons véritablement progressé et l'objectif consiste maintenant à venir titiller les marques françaises sur les segments A et B. Dans cette optique, la Topolino est attendue avec impatience. Par ailleurs, nous avons des progrès à accomplir sur des marques prises isolément. Avec Alfa Romeo, nous pourrons capitaliser sur la MiTo puis sur la 149, tandis qu'avec Lancia, nous pourrons nous appuyer sur la montée en puissance de la Delta puis sur la nouvelle Ypsilon.
JA. Dans ce contexte, le spectaculaire "effet 500" n'est-il pas à double tranchant puisqu'il vous cantonne aux petites voitures et aux gammes inférieures ?
cG. Pour plusieurs raisons, je ne pense pas que cela soit pénalisant. Tout d'abord, l'effet 500 bénéficie à l'ensemble de la gamme. Ainsi, même si les volumes sont réduits, la Croma a progressé de 87 % et la Bravo de 27 %. Par ailleurs, Fiat n'a pas de modèles de moyenne gamme supérieure. Vous ne verrez pas de Fiat Laguna et la limite de la marque réside au niveau du M1. Pour le reste, nous avons Alfa Romeo et Lancia et c'est donc là qu'il faut travailler les gammes supérieures. En fait, je crois que ce n'est pas une faiblesse de travailler sur ces forces et qu'on gagne plus d'argent en vendant des petites voitures que les gens veulent qu'en essayant de vendre des gros véhicules que les gens ne veulent pas.
JA. Parmi les rares échecs de votre plan produits, on trouve la grosse désillusion du Sedici : comment l'expliquez-vous ?
cG. D'une part, cet échec s'explique par des facteurs internes. J'ai volontairement focalisé le réseau sur la vente des petites voitures et il est difficile de tout faire en même temps, surtout quand le contexte n'est pas très souriant. Mais je pense que c'est le bon choix et que la priorité de Fiat doit rester son expertise sur les petites voitures avec de bonnes performances écologiques. D'autre part, il y a des facteurs externes, à savoir que le marché n'attendait pas forcément un 4x4 aussi petit et polyvalent. Il y a donc un problème de positionnement. Toutefois, on peut peut-être espérer un léger rebond du modèle car nous disposerons bientôt de deux nouvelles motorisations, essence et diesel, non malussées.
JA. Au-delà de la Topolino, la gamme Fiat présente un manque sur les monospaces : est-ce inscrit dans votre plan produits et à quelle échéance ?
cG. C'est prévu, mais la date précise du projet est remise en cause car il faut bien admettre que nous sommes entrés dans l'ère de l'après-été 2008 et que l'impact de la crise n'épargne personne.
JA. Au chapitre du réseau, avec le plan de Paris, le lancement de l'académie de vendeurs et l'homogénéisation de l'image, considérez-vous que le plus dur est fait ?
cG. Nous avons effectivement beaucoup travaillé et cela porte ses fruits. Au niveau du développement, nous avons fait ce qu'il fallait à Paris et dans les principales villes qui manquaient à notre maillage. Simultanément, de grands groupes nous ont rejoints, ce qui est significatif. Par ailleurs, 70 % du réseau répond désormais à notre nouvelle identité. En outre, l'académie a été lancée et nous avons formé 200 nouveaux vendeurs en 2008. Toutefois, tout est affaire d'amélioration et c'est un chantier permanent. Nous développons, par exemple, un module de formation de vendeurs à sociétés et nous pouvons parfaire nos performances dans la relation clients.
JA. Vous travaillez notamment avec Everlog sur une amélioration de votre CRM, n'est-ce pas ?
cG. Nous travaillons avec Everlog et d'autres entreprises sur ce dossier. Nous sommes déjà bien avancés, mais nous devons aller beaucoup plus loin cette année et en 2010. Avec l'optimisation du système Link, nous allons gérer tous les clients et les prospects de a à z en étant très réactifs.
JA. D'une manière plus générale, partagez-vous l'impression, largement exprimée dans certaines études, que le consommateur s'éloigne inexorablement de l'automobile ?
cG. Les temps changent et la problématique de la mobilité soulève de nouvelles questions, mais je ne pense pas que le consommateur s'éloigne réellement de l'automobile. D'ailleurs, le groupe Fiat tire sa réussite actuelle d'un réinvestissement de valeurs très automobiles. Le plus délicat réside dans la bonne orchestration de ces valeurs et dans le dynamisme. Mais d'autres marques vont aussi dans le même sens, Citroën avec DS par exemple. Bref, l'attrait de l'automobile n'est pas si affaibli qu'on le dit.
JA. Autre marronnier de l'actualité : les énergies alternatives. En France, on sent Fiat un peu en retrait sur le sujet, est-ce délibéré ?
cG. Le groupe a des solutions d'avenir et nous venons d'ailleurs de les présenter à Madrid autour de la Fila, de la 500 City Mobile et du Doblo électrique. Mais ensuite, il faut savoir garder le contact avec les demandes des clients et rester en prise avec la réalité commerciale. En France, la marque est dans une spirale positive et propose une gamme très performante sous l'angle écologique, donc ce n'est pas forcément le moment de communiquer sur des solutions plus lointaines. Pas maintenant en tous cas, d'autant qu'il faut savoir gérer ses budgets.
JA. Pour conclure, on vient de vous confier le marché espagnol en plus de la France : comment comptez-vous sauver les meubles sur un marché dévasté ?
cG. C'est si récent que je suis encore en phase d'analyse et de préparation. Nous allons beaucoup travailler pour trouver de nouvelles recettes, qui ne seront pas les mêmes qu'en France. Le problème des stocks est important… Je présenterai un plan stratégique fin mars. Toutefois, dans une situation très difficile, il faut saluer l'état d'esprit espagnol, toujours dynamique et volontaire, refusant les lamentations et le repli sur soi. C'est une vraie force pour trouver une issue à la crise.
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