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Constructeurs

Entretien avec Carlos Ghosn, président de Nissan Motor co. ltd : "Le seul pouvoir est la capacité à mobiliser et à motiver"

Publié le 16 janvier 2004

Par Alexandre Guillet
8 min de lecture
Très demandé, Carlos Ghosn accepte régulièrement de faire des exposés sur son mode de management devant les étudiants du monde entier. En duplex avec Beyrouth, au Liban, il s'exprimait à Paris le 18 décembre dernier devant un parterre d'étudiants en école de commerce et d'ingénieur, à l'invitation...

...du comité d'échange franco-japonais. Petite sélection de questions que lui ont posées les étudiants.

Quelles sont les qualités que vous attendez d'un manager ?

La première qualité que je recherche est la soif d'apprendre, l'écoute, la curiosité. Dans une vie professionnelle, on apprend tout le temps. Les tendances, les attentes des clients, la technologie bougent sans cesse. Si vous êtes figé, vous êtes vite obsolète.
La deuxième qualité est l'intégrité intellectuelle. Dans une industrie compliquée et compétitive comme la nôtre, si vous ne savez pas reconnaître vos succès et vos échecs, vous êtes mal parti.
La troisième est le sens de la performance. Dans l'industrie, l'essentiel n'est pas de savoir, mais de transformer le savoir. L'exécution est très importante.

L'objectif de zéro dette que vous avez fixé à Nissan n'est-il pas destructeur de valeurs ?

Zéro dette n'est pas un objectif financier, mais de management. De 1990 à 1999, la dette de Nissan a toujours été supérieure à un milliard de dollars. Pendant ces années, même un bon projet était refusé car le niveau d'endettement ne permettait pas de le financer. L'objectif de zéro dette signifie que l'on veut pouvoir financer des projets et des idées. La contrainte est le retour sur investissement. Aujourd'hui, le retour sur les capitaux investis est de 20 % chez Nissan. C'est le top niveau de l'industrie automobile. Nous n'avons plus de contrainte de cash. C'est grâce à cela que nous avons pu faire des investissements au Brésil, aux Etats-Unis, en Chine, que nous sommes revenus en Indonésie et que nous négocions actuellement notre retour dans trois pays. Peut-être que dans trois à quatre ans, nous pourrons accepter une dette minimale.

Quel sera votre mode de management en 2005 chez Renault ?

Ma conviction est que le seul atout d'une entreprise est la motivation de ses gens. Ce ne sont pas les galons qui font le management. La motivation est quelque chose que les gens donnent ou pas. S'ils ne sont pas motivés, ils font le minimum et vous déclinez. Le seul pouvoir est la capacité à mobiliser et à motiver. Mes principes de management ne vont pas changer en 2005. Ils seront appliqués de manières différentes, mais les leitmotive seront les mêmes.

En quatre ans vous avez quintuplé le capital boursier de Nissan. Ferez-vous de même chez Renault ?

Le capital boursier, vous ne le commandez pas. Il dépend des résultats, mais aussi des perspectives. Les actions de Renault et Nissan sont sous-évaluées. Je ne peux pas vous dire de combien. Mais aucune des deux n'est à son plein potentiel.

Les qualités de manageur ne s'apprennent pas forcément à l'école. Qu'y avez-vous appris ?

J'ai une formation d'ingénieur à l'Ecole des mines de Paris. J'ai commencé chez Michelin à la fabrication, puis à la recherche. Vous ne savez rien en sortant de l'école. Cela ne veut pas dire que la préparation est inutile, mais rien ne remplace l'expérience. C'est là que commence le véritable apprentissage. Bien sûr, je ne pensais pas cela quand je suis sorti de l'X et des Mines. Mais après vingt ans de carrière, ce que j'y ai appris ne représente pas plus de 1 ou 2 % de ce que je sais.

Quelle place pour les nouvelles technologies dans la formation et la motivation des employés ?

L'intranet est très important, les gens sont sensibles aux informations en temps réel. Cela devient un outil très important. La communication va beaucoup plus vite avec ces outils. C'est une condition nécessaire bien que non suffisante.




CURRICULUM VITAE

  • Nom Ghosn
  • Prénom Carlos
  • Age 49 ans
  • Marié, né au Brésil le 9 mars 1954,
  • Il obtiendra, en 1974, le diplôme d'ingénieur de l'Ecole polytechnique puis celui de l'Ecole des mines de Paris en 1978. La même année, il entre chez Michelin où il restera 18 ans. Jusqu'en 1985, il occupera de multiples fonctions, toujours en France. En 1985, il prend le poste de directeur général de Michelin au Brésil et des activités en Amérique du Sud. En 1989, il devient directeur général pour l'Amérique du Nord, puis P-dg en 1990.
    En octobre 1996, il entre chez Renault et, dès le mois de décembre, il devient directeur général adjoint de Renault, avec 5 divisions rattachées. Il supervise également l'ensemble des activités du constructeur français dans le Mercosur.
    Suite à l'Alliance avec Nissan, Carlos Ghosn est nommé directeur général de Nissan en juin 1999. Un an plus tard, il en devient le président et depuis juin 2001, il est P-dg de Nissan Motor Co., Ltd.
  • La technologie peut améliorer la motivation, mais c'est le contenu qui est important, il ne faut pas que le message soit faible. Il faut un équilibre entre la substance et les moyens.

    Quel a été le rôle de la culture japonaise dans la renaissance de Nissan ?

    Je suis de ceux qui sont les plus optimistes sur le potentiel du Japon. Toyota, Nissan et Honda font partie des constructeurs mondiaux les plus grands et les plus profitables malgré la crise économique japonaise. La main-d'œuvre japonaise est l'une des meilleures au monde : disciplinée, loyale, dévouée et avec un excellent esprit.

    Comment expliquez-vous que le chiffre d'affaires de Renault n'ait pas augmenté depuis 1999 et que sa marge ait baissé ?

    Vous ne pouvez pas regarder Renault dans le cadre de Renault seul. Il a beaucoup investi dans la renaissance de Nissan. Il y a beaucoup de Renault dans Nissan. Les trente personnes qui sont parties chez Nissan étaient des experts d'un excellent niveau qui ont manqué à Renault, qui a également utilisé son cash pour acheter le capital et baisser la dette de Nissan. Il y a une profonde injustice à penser que Renault n'a rien à voir dans les résultats de Nissan. Mais la tendance va s'inverser et des gens de Nissan vont désormais aller chez Renault.

    Quelle sera votre stratégie à long terme pour vous démarquer sur le marché chinois ?

    Notre stratégie en Chine est simple : être présents sur tous les créneaux véhicules légers, utilitaires, camions et bus. Nous sommes les seuls à avoir toute la gamme avec nos deux marques : Dong Pheng pour les camions et bus, et Nissan pour les véhicules. Cette stratégie nous rend très différents des autres qui sont limités à leurs propres marques. Nous sommes très confiants. Nous avons une stratégie de croissance forte : accompagner la croissance et prendre des parts de marché. Avec les Etats-Unis, la Chine est un des pays les plus profitables et le restera.

    Comment organisez-vous la stratégie de Nissan en France et de Renault au Japon ?

    Dans les deux cas nous sommes partenaires et l'un est beaucoup plus important et expert que l'autre. Le plus gros se met un peu au service de l'autre. Bien sûr, ce n'est pas parfait. Nous demandons à chaque équipe de se responsabiliser et au petit de demander ce dont il a besoin. La synergie existe quand elle est profitable aux deux. Ainsi, Nissan en Europe n'avait jamais fait de profits de 1990 à 2000. Depuis l'Alliance, Nissan en a fait en Europe en 2002 et 2003.

    Que pensez-vous de la main-d'œuvre française et des 35 heures ?

    La force du Japon est sa main-d'œuvre, mais cela ne veut pas dire qu'elle n'est pas bonne ailleurs. Le Japon, qui est une île sans ressources, est devenu la deuxième puissance économique mondiale et la seule explication à cela est la valeur fondamentale de sa main-d'œuvre.
    La main-d'œuvre française est de qualité, mais plus difficile car elle a très peu de tolérance à la médiocrité du management. Quand vous savez en capter l'imagination et l'adhésion, elle est remarquable.
    Je n'ai pas vécu les 35 heures en France. Au Japon, le problème est de savoir comment faire pour que les gens partent en vacances. Sur 22 jours par an, notre objectif est qu'ils en prennent au moins 14. Je pense que je n'aurai pas ce genre de problème en avril 2005 lorsque je reviendrai en France.

    Comment voyez-vous l'automobile dans dix ans ?

    Nous aurons de plus en plus de mélanges de concepts. Ce sont les ventes d'hybrides qui ont augmenté le plus et qui feront le gros du marché. Je pense également que les motorisations hybrides feront leur entrée en Europe au détriment du Diesel. La voiture possédera autant d'outils de communication que le bureau. Les véhicules seront plus sûrs en sécurité active et passive. Je pense également qu'il y aura moins d'acteurs dans l'industrie automobile qu'aujourd'hui.


    Propos recueillis par Florence Lagarde


     





    ZOOM

    Citoyen du monde

    Sorti au cours de l'année 2003, Citoyen du monde, cosigné par Carlos Ghosn et Philippe Ries (journaliste à l'AFP longtemps en poste à Tokyo), est une sorte de biographie professionnelle de Carlos Ghosn. Ceux qui connaissent son parcours chez Renault et Nissan (déjà évoqué dans un autre ouvrage) apprécieront la partie retraçant sa carrière chez Michelin. Etonnamment précis et ouvert, Carlos Ghosn y détaille un grand nombre de situations professionnelles expliquant les décisions qu'il a prises. Instructif. Cet ouvrage rédigé par Philippe Ries est le résultat de 20 heures d'entretiens avec Carlos Ghosn. Ce type de livre est pour ce dernier "le moyen de communiquer et de marquer dans le temps une expérience". Edité en français, japonais et bientôt anglais et portugais, Citoyen du monde s'est déjà vendu en France à 18 000 exemplaires (une bonne vente commence à 8 000 !) et dépasse les 120 000 exemplaires au Japon. Un précédent ouvrage biographique de Carlos Ghosn, Renaissance (uniquement en japonais et en anglais), a déjà été vendu à plus de 300 000 exemplaires au Japon.

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