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Constructeurs

Dominique Thormann : Destin d’expatrié

Publié le 23 juillet 2004

Par Alexandre Guillet
10 min de lecture
Lorsqu'il entre chez RCI en 1989, Dominique Thormann a l'intention de "poser ses valises". Mais ce français d'origine allemande élevé aux Etats-Unis n'échappera pas à son destin d'expatrié. En 1999, il est embarqué dans l'aventure Nissan avec l'équipe de Carlos Ghosn. Parti avec un engagement...
Lorsqu'il entre chez RCI en 1989, Dominique Thormann a l'intention de "poser ses valises". Mais ce français d'origine allemande élevé aux Etats-Unis n'échappera pas à son destin d'expatrié. En 1999, il est embarqué dans l'aventure Nissan avec l'équipe de Carlos Ghosn. Parti avec un engagement...

...de 3 ans, il restera en définitive 4 ans et demi à Tokyo. De retour en France, il nous raconte cette aventure.


Elevé aux Etats-Unis, c'est à New York, au service outre-mer de la Chase Manhattan Bank, que Dominique Thormann débute sa carrière. Il est ensuite affecté pendant deux ans en Italie, d'abord à Rome puis à Milan, avant d'arriver à Paris en 1985. Marié à une française, il est heureux d'y poser ses valises. Mais, deux ans après, une nouvelle expatriation se profile. "Lors du mini-krach boursier de 1987, les banques à caractère commercial se replient sur elles-mêmes et la poursuite de ma carrière ne peut se faire qu'à Londres ou New York. C'est ce qui me décidera à chercher une solution ailleurs", explique Dominique Thormann. D'autant plus que sa femme, médecin anesthésiste, exerce un métier qui ne s'exporte pas.

"Ma première voiture, une P122 S Volvo de 1963..."

Or, un ancien collègue de la Chase Manhattan Bank, Alain Dassas, (aujourd'hui directeur des services financiers de Renault), à l'époque directeur financier de RCI (la société financière de Renault), cherche un trésorier. Depuis toujours, Dominique Thormann aime l'automobile et l'idée d'associer son métier de financier à cette passion le convainc. En 1989, il devient donc le trésorier de RCI. "J'ai toujours eu des affinités avec le monde automobile depuis ma première voiture en 1972 : une P122 S Volvo de 1963 de 300 000 milles achetée 400 dollars et qu'avec mes deux frères nous avions appris à entretenir." Ce n'est que cinq ans plus tard que son profil "international" et notamment sa bonne connaissance des milieux financiers anglo-saxons intéresseront la direction de Renault. Né à Paris d'un père américain (son grand-père d'origine allemande réfugié aux Etats-Unis pendant la guerre deviendra Américain en participant au débarquement à Omaha Beach comme interprète) et d'une mère française, Dominique Thormann a fait sa scolarité aux Etats-Unis. En 1994, Thierry Moulonguet (aujourd'hui directeur financier de Renault) dirige les relations avec les investisseurs de Renault. C'est le moment de la privatisation et le constructeur découvre la communication financière. Après avoir longtemps eu l'Etat pour seul actionnaire et à la suite d'une expérience malheureuse avec le constructeur suédois Volvo dans le cadre du rapprochement des deux entreprises, Renault doit désormais compter avec les institutionnels et les particuliers qui entrent dans son capital. "Début 1994, Renault découvrait un monde totalement inconnu avec les inévitables road-shows financiers entre Paris, Londres, New York, Boston, ...", rappelle Dominique Thormann. Celui-ci rejoint alors la communication financière de Renault. Il y est l'interlocuteur du constructeur avec les investisseurs, les analystes et les gérants institutionnels. "C'était plus un métier de communicant que de financier. Nous expliquions les perspectives et présentions les comptes dans le cadre de notre stratégie."

"Vous savez pourquoi vous êtes là ? Vendredi à 9 h nous faisons une réunion avec ceux qui partent."

Il est donc aux premières loges, en 1998, quand débuteront les premiers contacts avec Nissan. "Au fur et à mesure que les discussions avançaient, la communication financière était impliquée", se souvient-il. Nissan est une entreprise au bord de la faillite dont personne ne veut. Privilégié par Nissan, DaimlerChrysler jette l'éponge. On se souvient de Bob Lutz ironisant : "Il y a plus simple pour perdre 5 milliards de dollars." C'est dans cette ambiance, l'été 1999, que Renault entre au capital de Nissan. Le président de Renault, Louis Schweitzer, demande à Carlos Ghosn (à l'époque DGA en charge de la recherche, l'ingénierie, les achats, le système industriel, l'activité mécanique et le Mercosur) de constituer l'équipe qui partira avec lui à Tokyo. Les choses vont vite. Un mercredi soir, Dominique Thormann est appelé dans le bureau de Carlos Ghosn. "Vous savez pourquoi vous êtes là ? Vendredi à 9 h nous faisons une réunion avec ceux qui partent." "Bien sûr, j'étais présent ce vendredi-là", s'exclame-t-il. A peine une soirée pour prendre la décision de partir avec femme et enfants s'installer à Tokyo. Mais même s'ils n'en avaient jamais parlé ensemble avant, Dominique Thormann, tout comme sa femme, sentait que plus le dossier avançait, plus ce départ au Japon s'avérait inévitable. "J'avais présenté cette opération aux analystes et je sentais que je serais mêlé à cette aventure. Même si je ne me suis jamais proposé pour y aller, j'avais sans doute mis cette hypothèse dans ma tête", reconnaît-il.

"Au Japon, les bureaux sont organisés en rang. Les plus éloignés de la fenêtre sont les plus jeunes..."

En juin 1999, il part donc chercher un appartement à Tokyo. Toute l'équipe sera logée dans le même immeuble, rebaptisé "la tour des Français". Pour toute la famille, le changement est radical. "Du jour au lendemain, vous devenez analphabète, raconte Dominique Thormann. Les conditionnements des produits de consommation courante sont radicalement différents, et rien n'indique ce que c'est. Sans parler du fait que vous ne comprenez aucune indication écrite. Le premier jour, nous avons pris de l'eau de Javel pour de la lessive." La barrière de la langue est totale : "Je parle trois langues et ma plus grande frustration est de ne pas avoir pu consacrer du temps à apprendre cette langue difficilement accessible." Après quatre ans et demi, c'est Madame Thormann qui, ayant pris des cours, sera capable de faire les courses ou de lire un menu et servira d'interprète à la famille. Pour les trois enfants, scolarisés au lycée franco-japonais, l'adaptation ne pose pas de problème. "Tokyo est une ville sûre, propre, où les gens sont polis, courtois, jamais agressifs, raconte Dominique Thormann. Tout se passe comme dans un village. D'ailleurs, Tokyo est une constellation de villages, ce qui donne cette impression de ville décousue." Au siège de Nissan, Dominique Thormann devient responsable de la communication financière. Il arrive sur un plateau de 80 personnes. Comme tous, il dispose d'un bureau de 1 m sur 80 cm, mais, étant le chef, il est placé en "tête de gondole". Au Japon, l'organisation physique des bureaux se fait en respectant la hiérarchie. "Les bureaux sont organisés en rang. Les plus éloignés de la fenêtre sont les plus jeunes, les moins gradés et généralement les femmes. J'étais donc dos aux fenêtres en position de chef devant les gens sous mon commandement. C'est un management visuel parfait."

"Il y avait 250 milliards de yens au porteur dans ce coffre et les clés étaient dessus."

Dans sa dotation, il reçoit un ordinateur, mais pas de fournitures. "Impossible de faire une photocopie. La société perdait des milliards et faisait des économies de bouts de chandelles", raconte-t-il. Autre illustration : un ascenseur est condamné avec un écriteau : "Fermé pour cause d'économie d'énergie". Dans un pays à la pointe de l'innovation technologique, Nissan vit à l'âge de pierre : un seul accès Internet pour l'ensemble du service, des remises de chèques à l'encaissement tapés avec papier carbone sur des vieilles Remington noires. Quant aux titres détenus par Nissan dans les fameux Kerietsu, ils sont déposés dans un coffre gris installé à l'étage. "Il y avait 250 milliards de yens au porteur dans ce coffre et les clés étaient dessus. Quand on vendait une participation, on y prenait les titres. A tour de rôle, un employé était responsable du coffre pour la semaine." Une situation inimaginable en France, qui montre l'honnêteté et la loyauté des Japonais. Sa mission, justement, est de vendre ces participations tout en "vendant" le NRP (Nissan Revival Plan) aux investisseurs. "Nissan était une entreprise qui allait très mal, mais ses banques allaient mal aussi et avaient la volonté de céder leurs portefeuilles. Nous devions donc trouver des actionnaires, et par conséquent expliquer ce qu'était Nissan et quels étaient nos projets." Les 36,8 % du capital que possède Renault ont été émis, ce qui a permis à Nissan de récupérer 5 milliards de dollars d'argent frais. Mais cela ne suffit pas et il faut aller vite. Pendant des mois, Carlos Ghosn prépare son plan et Dominique Thormann y participe activement. Il écrit avec lui le fameux discours qui annoncera aux équipementiers puis au monde entier le plan de sauvetage de l'entreprise.

"Après nos premiers résultats positifs, une directive nous a accordé de voyager en classe affaire"

Pour l'anecdote, la pénurie de moyens est telle que cette présentation sera préparée sur un ordinateur portable Renault dans la charte graphique du constructeur français avec des slides en jaune et bleu, les couleurs de Renault. De ces mois de disette, Dominique Thormann se souvient des aller-retour Tokyo/New York ou Paris en classe éco. Malgré l'inconfort et le décalage horaire, il fallait être opérationnel dès la sortie de l'avion, lors de réunions où il fallait convaincre des actionnaires peu enthousiastes. Et ce, chaque semaine. Une véritable prouesse physique. "Quand nous avons eu nos premiers résultats positifs, dès le lendemain, une directive nous accordait de voyager en classe affaire. Cela a été une grande joie." "Carlos Ghosn ne dit jamais quelque chose qu'il n'a pas l'intention de faire et ne fait jamais quelque chose sans l'annoncer" En 2002, Carlos Ghosn crée une direction de la communication unique qui lui est directement rattachée et dont Dominique Thormann prend la direction. Un poste qu'il occupera jusqu'à son retour en France, en décembre 2003. "Avant le NRP, il n'y avait aucune centralisation de la communication. Les messages d'un pays à l'autre étaient donc forcément différents et l'entreprise avait beaucoup de mal à donner une représentation cohérente d'elle-même. C'est autour de Carlos Ghosn que nous avons pu fédérer un message unique de communication." Une stratégie qui s'avère avoir eu un rôle non négligeable dans le redressement de la situation. Mais qui ne sera pas facile à mettre en place. Cette omniprésence de Carlos Ghosn dans la communication ne finira-t-elle pas par lui nuire ? N'en fait-il pas trop ? "Carlos Ghosn a positionné Nissan à la tête du classement de l'industrie automobile mondiale. C'est à la hauteur de cet événement qu'il faut mesurer son action. Quand, fin 1999, il annonce que si l'un des trois critères du NRP n'est pas réalisé, il met son mandat de président sur la table, il pose un acte puissant et déterminant dans sa crédibilité et celle de son action. Cela a été très mobilisateur pour le personnel." Cette transparence est une caractéristique fondamentale de la communication telle que l'a conçoit Carlos Ghosn. "Vous ne pouvez pas le mettre en difficulté, explique Dominique Thormann. Carlos Ghosn ne dit jamais quelque chose qu'il n'a pas l'intention de faire et ne fait jamais quelque chose sans l'annoncer. Tout est logique. Il n'y a donc jamais de contradiction entre son discours et celui de ceux qui doivent le dire. Il est très simple d'être son directeur de communication." Parti avec un engagement de trois ans, Dominique Thormann sera finalement resté quatre ans et demi à Tokyo. Ce sont les contraintes familiales et notamment la scolarité de ses enfants qui ont décidé de son retour. Retournera-t-il chez Renault ? "Je ne m'occupe que de mon poste et je ne me pose pas la question."


Florence Lagarde


 





Curriculum vitae

Nom Thormann
Prénom Dominique
Age 49 ans
1977 : obtient un Master de relations internationales de la Johns Hopkins Université.
1979 : intègre le département trésorerie de la Chase Manhattan Bank.
1989 : est nommé trésorier de RCI.
1994 : prend en charge les relations avec les investisseurs au sein de Renault.
1999 : part au Japon pour s'occuper des relations avec les investisseurs et de la stratégie financière de Nissan.
2002 : est nommé vice-président du département communication et relations avec les investisseurs.
2003 : revient en France en tant que senior vice-président administration et finance de Nissan Europe.

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